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Attention à la "bulle solidaire"

juin 2003, par Philippe Jacquot

La consommation citoyenne, c’est tout ou n’importe quoi ? Pour un esprit positif, c’est tout. Principalement des produits relevant de la consommation courante (alimentation, vêtements, des meubles, du papier, des sacs poubelles, des produits d’entretien...) mais aussi quelques services comme le tourisme, des énergies renouvelables ou encore les placements financiers éthiques ou solidaires. Pour un esprit négatif, c’est n’importe quoi : une pizza surgelée bio, du cola équitable, des produits de grande distribution, au mieux labellisés par un organe reconnu, au pire auto-déclarés et donc sujets à caution.
Au-delà de la critique tant quantitative que qualitative de la consommation, que représente aujourd’hui en terme de pratiques ce que d’aucuns appellent la consommation citoyenne ?

La dernière enquête Ipsos pour la Plate-forme française pour le commerce équitable (octobre 2002) constate une prise de conscience croissante de la part des consommateurs (de 9 à 32 % de notoriété du commerce équitable entre 2000 et 2002) sans que la courbe de passage à l’acte d’achat ne suive la même ligne. Selon cette enquête, 19 % des personnes interrogées ont acheté au moins une fois un produit qu’elles considéraient équitable. Mais chaque français consomme moins de 0,50 euros par an en produits issus du commerce équitable.
La consommation de produits biologiques, flanqués du label AB ne représente que 1,1 % du panier de la ménagère, bien que la surface exploitée en bio augmente de 15 % par an. Les écoproduits restent particulièrement méconnus, malgré des marques phares diffusées en circuits spécialisés et deux labels officiels créés il y a dix ans : la marque NF Environnement et l’écolabel européen. Ils certifient des articles ayant suivi un processus d’éco-conception visant à atténuer leur impact environnemental durant leur fabrication, leur usage et leur destruction (voir encadré). La marque NF Environnement n’est reconnue (enquête du CREDOC 2002) que par 1 % des consommateurs alors qu’elle est présente sur des produits de grande consommation comme des sacs poubelles, des peintures, des filtres à café. L’écolabel européen certifie notamment du linge de maison et des papiers essuie-tout sans recueillir une plus grande célébrité.
Dernière exemple, les produits de finances solidaires ont attiré 27000 personnes alors que d’après les sondages réalisés pour Finansol, l’association qui labellise ses produits, 35 % des français sont intéressés par la démarche et prêts à souscrire un produit financier qui leur rapporte moins mais qui leur garantit une utilisation ’éthique’ de leur épargne.

Au total, et derrière la diversité de l’offre (commerce équitable, bio, éco produits, épargne et tourisme solidaire…), des grands débats agitent structurent ces secteurs en émergence.

Le mode de distribution

Tous ces produits sont distribués en grande surface et en circuits spécialisés. Pour les uns, la présence en grande distribution permet de maximiser les ventes et donc, dans l’exemple du commerce équitable, d’augmenter le revenu d’un plus grand nombre de producteurs. Pour les autres, le mode de fonctionnement de la grande distribution fait encourir deux risques à ces filières : de servir d’alibi éthique qui justifiera au final le maintien de comportements économiques de prédateurs sur les dizaines de milliers de références ni bio ni équitables ; de trahir l’esprit de ces filières en mettant en avant un critère (par exemple le label AB) sans tenir compte de la logique alternative de production que portent ces produits. Dans le cas du bio, un lait bio d’une grande marque distributeur importé par camions de Scandinavie ou d’Autriche sans que le consommateur ait la moindre idée de la provenance répond-il aux critères de la consommation citoyenne ? L’éco-bilan positif lié au mode de production n’est il pas largement contrebalancé par l’impact négatif d’une traversée de l’Europe en camions ?

Le label

Si l’agriculture biologique répond à un règlement européen depuis 1991 et si le label AB est propriété du ministère de l’agriculture, rien de tel dans le commerce équitable, les finances solidaires ou le tourisme solidaire. Max havelaar ou Finansol sont des labels associatifs "privés" qui ne sont pas assis sur une norme ou un règlement public. Aujourd’hui tout le monde peut prétendre "faire du commerce équitable" surtout au niveau de l’artisanat où aucun label n’existe. Ces secteurs réfléchissent donc à la pertinence d’un label ou d’une norme publique qui garantirait aux acteurs une reconnaissance officielle et devrait permettre d’accroître les garanties accordées aux consommateurs. Mais comme pour l’agriculture biologique, le label ne résout pas tout. De nombreux producteurs bio n’ont pas les moyens de faire certifier leur exploitation. Que dire des coopératives de producteurs du Sud dans le cas du commerce équitable… Le label pousse à la concentration et à la normalisation des secteurs concernés. Artisans du monde, association pionnière du commerce équitable en France est aujourd’hui sceptique sur la mise en place d’une norme publique qui définirait ce qui "équitable" et ce qui ne l’est pas. Elle préfère privilégier une relation de confiance avec les producteurs. Si une année donnée une coopérative ne respecte pas tous les critères de la norme doit elle être exclue de la filière alors que l’un des principes même du commerce équitable est la pérennité des relations entre partenaires ?

Le niveau d’exigence

Pour les uns, toute amélioration de la qualité sociale et environnementale de l’offre économique est bonne à prendre. Le "tourisme éthique", par exemple, porté notamment par l’association Tourism for Development et des tours-opérators comme Voyageurs du Monde, permet de reverser un dollar par nuitée par touriste à une ONG local pour financier des projets de développement. Pour les promoteurs du "tourisme solidaire", il s’agit d’une démarche hypocrite destinée à donner bonne conscience aux consommateurs occidentaux et à redorer l’image des opérateurs sans changer réellement la donne sur le terrain. Les dollars récoltés lors d’un voyage labellisé "éthique" dans un hôtel avec golf ne suffiront jamais à compenser la perte pour les villages alentours qui ont été déplacés faute d’eau entièrement captée pour arroser le parcours de golf ! Et si les projets de développement concernent justement ces communautés déplacées, alors, on marche sur la tète.

La démocratisation

Mais plus le niveau d’exigence est élevé, plus l’offre est réservée à quelques privilégiés capables de payer le surcoût de la qualité sociale et environnementale. Les produits biologiques et équitables se situent systématiquement dans le haut de la gamme en terme de prix. Ne faut il pas se réjouir de voie un café labellisé Max Havelaar à 2 euros en grande distribution ?
La question de la démocratisation touche directement les finances solidaires. Pour épargner solidaire, encore faut-il épargner ! Une répondre apportée par Finansol est de proposer que la simple possession d’un carnet de chèques dans des banques solidaires comme la NEF (nouvelle économie fraternelle) ou le Crédit Coopératif permette de financer des projets alternatifs.

Avec 20 ans d’avance sur le commerce équitable ou le ’tourisme solidaire’, la filière bio illustre cette coexistence de produits attrape tout sans cohérence globale comme les surgelés bio et une offre réellement citoyenne qui parvient à associer respect de l’environnement, circuits courts de distribution et engagements sociaux, comme est la cas par exemple avec les jardins de Cocagne ou la filière Ensemble de Biocoop. S’il revient à chacun de séparer le bon grain de l’ivraie, c’est aussi au politique de prendre ses responsabilités pour faire apparaître le vrai coût social et environnemental des filières traditionnelles afin de rendre l’offre citoyenne compétitivité et accessible pour tous.


Les principes du commerce équitable

(ces principes ne reprennent pas une charte précise mais correspondent à une base consensuelle)
– Un prix juste et stable rétribue le producteur. La fixation de ce prix se doit de respecter les coûts de production, le coût de la vie.
– Le commerce équitable s’adresse à des coopératives de producteurs marginalisés, dont la surface cultivée ne dépasse pas un hectare. Cette variable dépendra aussi du type de culture (café, thé, banane …) ou de production.
– Le partenariat commercial réduit au strict minimum les intermédiaires et garantit une relation durable, notamment en assurant le préfinancement des récoltes.

Les principes de l’agriculture biologique

Ces principes sont fixés par les cahiers des charges européens de 1991. L’apposition de la marque AB est soumise à la vérification de ces critères par un certificateur indépendant (titulaire de la norme EN 45011).
– Production végétale : interdiction des pesticides de synthèse et des engrais chimiques, remplacés par les engrais naturels et les prédateurs naturels des parasites.
– Production animale : respect de la durée de vie, de l’espace vital de l’animal, stricte réglementation du nombre de traitements vétérinaires, notamment pour réduire les antibiotiques.
– Stricte séparation des bâtiments, des pâturages et de l’alimentation des troupeaux bio et conventionnels (à partir de 2005, l’éleveur bio devra convertir l’ensemble de ses troupeaux)
Au-delà de ces critères, des labels privés poussent les contraintes de culture pour approfondir la démarche : le label Nature & Progrès impose notamment une diversification des cultures dans l’exploitation qui sera labellisée entièrement et non par produit. L’usage de produits chimiques est totalement interdit et la limitation des traitements médicamenteux plus drastiques pour les élevages.

Les principes de l’éco-bilan et l’éco-conception

Connaître l’impact environnemental d’un produit pour en réduire la nocivité, tel est l’objectif de l’éco-conception, applicable à l’ensemble des articles du marché.
Cela passe par une analyse du cycle de vie du produit sur cinq étapes et selon une grille multi-critères. Les cinq étapes sont : l’extraction de la matière première, la fabrication du produit, sa distribution (et donc son acheminement), son utilisation et sa valorisation.
Pour chaque étape l’analyse du cycle de vie évalue la consommation d’énergie et de matière, les rejets dans l’air, l’eau, le sol et la production de déchet et la transformation des milieux naturels et du cadre de vie.