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Ecologie mentale et "droit au corps" (2e partie)

mardi 29 juin 2004, par Balthazar Alessandri

Quelle place accorder aux corps blessés dans notre société ? Et si le droit à la sexualité devenait l’une des composante du droit de tout citoyen ? Balthazar Alessandri poursuit son analyse du lien entre citoyenneté et handicaps (voir EcoRev’ n°2). Suivant l’approche de Félix Guattari, il propose d’approfondir la voie de l’écologie mentale comme moyen de comprendre la diversité des corps et d’accepter les différences au cœur même de l’intimité des pratiques sexuelles.

Dans la première partie de cette étude, j’ai essayé de montrer comment l’absence de reconnaissance de la nature sexuée des personnes handicapées faisait partie intégrante de la sous-citoyenneté qui était la nôtre et, par conséquent, comment la reconnaissance du droit des personnes handicapées à une vie affective et sexuelle était indissociable du combat pour la reconnaissance de notre humanité, cette humanité qui nous est reconnue juridiquement depuis 1945 et le désastre dont nous (nous aussi, devrait-on dire) avons été les victimes.
C’est en effet depuis cette date que la République a remplacé l’obligation d’"assistance" par celle d’un devoir de "solidarité", reconnaissant ainsi, au moins théoriquement, notre citoyenneté.

Mais dans la pratique, le combat pour cette citoyenneté demeure une obligation de tous les jours. Les bureaux de vote ne sont souvent pas aménagés pour accueillir des personnes à mobilité très réduite, c’est-à-dire se déplaçant en fauteuil roulant. Or, ces bureaux de vote sont souvent des écoles.
Ce qui signifie que deux composantes essentielles de la citoyenneté, l’éducation et le droit de vote, ne sont pas assurées à tous.
Lorsque l’on interrogeait à ce sujet le prédécesseur de Daniel Vaillant au Ministère de l’Intérieur, il répondait que les personnes handicapées pouvaient... déléguer leur vote !

Pour l’Association des Paralysés de France, avec qui je suis en contact régulier, ce sont ces combats qui sont prioritaires par rapport à la reconnaissance de notre nature sexuée. Les représentants de cette association estiment en effet que c’est lorsque la bataille de la mixité sociale sera gagnée, que la peur de la différence et du stigmate aura été surmontée, que des contacts réguliers entre enfants valides et handicapé/es auront lieu partout, que le reste suivra entièrement. Je ne partage pas entièrement cette analyse.
Certes, il semble qu’un changement s’amorce dans ce sens. Le film Nationale 7 par exemple évoque les difficultés d’une personne lourdement handicapée et vivant en milieu hospitalier à avoir une vie affective et sexuelle.
On peut aussi penser à un film comme "Crash" qui met en scène deux personnes aimant avoir des relations sexuelles avec des personnes gravement accidentées. Cela dit, il n’est pas certain qu’une spectacularisation de la difformité soit réellement pertinente pour aller au delà de cette difficulté.

Les livres de Wilhem Reich "Ecoute petit homme" et "Psychologie de masse du fascisme" ont le mérite de montrer comment une répression sexuelle entraîne chez l’individu moyen des névroses et un mal être pouvant être récupéré par des pouvoirs totalitaires. Foucault a critiqué Reich estimant que le sexe n’était pas réprimé mais construit dans une archéologie de la sexualité, passé de l’ars érotica du Moyen-Age au scientia sexualis (classement scientifique des comportements), de l’art à la science.
Par exemple l’homosexualité, qui du comportement sodomite condamné judiciairement au XVIIIe siècle devient la catégorie homosexuelle établie, incluant histoire personnelle, histoire familiale et type de sexualité.

Pourtant, il n’y a aujourd’hui pas ou peu de discours sur le problème de la sexualité des handicapé/es. Le discours totalisant qui s’est construit depuis le XIXe n’englobe pas ces personnes parce que justement la majorité des ces personnes vivent dans un univers qui n’est pas celui des valides et que la mixité sociale n’est pas répandue.

On assiste justement aux premières tentatives de mise en discours de ce thème à travers le film "My left foot" (la vie sexuelle d’un homme dont la jambe gauche est entièrement paralysée) ou le "Nationale 7" pré-cité.
D’une certaine façon, on peut se demander si la mise en discours actuelle n’est pas, de la même façon que cela a été le cas pour la classification homosexualité/hétérosexualité, une autre manière, sinon de réprimer, du moins de classifier et d’enlever ce qui fait l’essence de la sexualité, à savoir la spontanéité du rapport comme le dit Foucault : le discours que, sous la profusion du désir, on peut tenir sur la sexualité, rend finalement les rapports moins libres qu’au XVIe et XVIIIe siècles.
Par ailleurs, on peut citer Hebert Marcuse dans Eros et civilisation qui dit que le but de la révolution sexuelle est de considérer que le corps tout entier est une chose pour jouir. Or, dans la société actuelle, peu nombreux sont ceux/celles qui considèrent cela. Beaucoup ont même peur de leur propre corps.

Pour les handicapés, la peur de la difformité ou de la différence est encore plus grand, plus important, puisque la plupart des personnes handicapées ont honte de leurs corps et ont elles-mêmes souvent du mal à se respecter physiquement et à se considérer comme désirables.

Considérer leur corps tout entier comme une chose pour jouir est encore plus problématique. La réponse est probablement, dans l’écologie mentale dont parle Félix Guattari, la prise de conscience que l’humanité doit être solidaire du monde vivant (au risque dans le cas contraire de glisser vers sa propre destruction) et donc développer des formes de solidarité globales dans des relations inter-personelles.
Cette écologie mentale doit pour moi inclure quelque chose auquel Félix Guattari n’avait pas pensé, à savoir la reconnaissance d’une pleine citoyenneté des personnes handicapées, dont tous les partis politiques ne cessent de parler, mais doit également intégrer que ces personnes sont des êtres humains avec leurs émotions et leurs besoins affectifs.

Les personnes qui sont prêtes à reconnaître cela sont très rares. Cela doit être mis en avant dans un projet de société écologiste. Un projet qui ne serait que la mise en avant de la nécessité d’avoir un monde dépollué et conscient de ses effets sur l’environnement serait incomplet. Il doit aussi promouvoir la prise de conscience de la nécessité d’une solidarité globale dans les relations inter-personelles : on peut penser aux personnes handicapées, mais aussi aux personnes âgées, aux immigré/es, aux femmes et à l’ensemble des catégories minorisées par la société prédatrice actuelle.