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Greenpeace, des hippies au lobby

mercredi 3 mai 2006

Fondé par des pacifistes américains, l’organisation a rapidement développé une redoutable efficacité médiatique et managériale. Elle consacre aujourd’hui beaucoup de forces au militantisme de dossier.

Pour protester contre les essais nucléaires américains dans le Golfe de l’Alaska, un groupe de hippies fonde en 1971 à Vancouver le collectif Don’t Make a Wave (ne faites pas de vague). Un bateau emmène une dizaine de personnes s’interposer directement pour empêcher les essais. A son bord : déserteurs de la guerre du Vietnam, quakers, défenseurs déclarés des baleines et des indiens, membres du Sierra Club. Si l’action directe est un échec (le bateau a du rebrousser chemin), sa répercussion médiatique est énorme dans la presse nord-américaine et contraindra les Etats-Unis à renoncer à poursuivre les essais dans cette zone. Cette couverture ne doit rien au hasard puisque plusieurs membres sont journalistes et que des relais auprès de plusieurs médias ont été assurés.
Suite à ce succès, profitant des ressources dont ils disposent (goût du risque et connaissance des circuits médiatiques) et de l’attention des médias pour ce type d’actions, la marque de fabrique de Greenpeace - nom rapidement adopté - sera l’emploi d’actions directes non violentes mais intensément médiatisées. Nourris par l’éthique puritaine quaker mais aussi par les théories à l’époque triomphantes de McLuhan sur les médias et le "rétrécissement" du monde, devenu un "Village global", les membres de Greenpeace vont très vite inscrire leur combat dans une perspective mondiale.

Aux combats pour les phoques et les baleines des années 70 et 80, s’ajoutent dans les années 90 des campagnes "OGM", "Forêts Anciennes", "Toxique" où l’association va s’attaquer aux multinationales. En fil rouge, le combat contre le nucléaire, militaire mais aussi civil, verra Greenpeace se heurter aux Etats (et notamment à l’Etat français via l’épisode du Rainbow Warrior en 1985 et à Mururoa en 1995).

Parallèlement, à l’ère des aventuriers des premiers temps succède un triple processus de professionnalisation des répertoires d’actions (activistes formés via un "basic training", lobbyistes recrutés pour leurs compétences techniques, développement d’une expertise pointue, contrôle systématique de la production médiatique), une institutionnalisation (via la structure internationale pyramidale créée en 1979, le rôle du board dans le choix des campagnes à mener, l’importance de la quote-part reversée à GP International par les bureaux nationaux) et une managérialisation croissantes (importance du pôle communication-collecte de fonds, profils des dirigeants, importation de techniques issues du monde de l’entreprise, notamment pour la collecte de fonds).
Ce triple processus provoquera des scissions multiples, dont la fondation de la Sea Shepherd Society (1977) ou Earth First ! (1980). Si l’association a eu une influence majeure sur le mouvement écologiste en forgeant des répertoires d’action spécifiques et en obtenant des victoires notables face à des acteurs perçus auparavant comme intouchables, elle a pu servir aussi d’anti-modèle dont il s’agit de se distinguer au nom de dérives réelles ou fantasmées.

Dans la dernière décennie, Greenpeace a réorienté son action vers un important militantisme de dossier (lobbying et expertise), ajoutant à ses actions de confrontation médiatique auprès des grandes entreprises et des Etats des actions de concertations et de propositions de solutions alternatives. Bien que toujours soucieuse de son indépendance, Greenpeace, historiquement très rétive à toute collaboration, s’est repositionnée au sein de l’espace altermondialiste en participant plus activement aux réseaux, manifestations et combats engagés avec d’autres ONG.

Sylvain Lefèvre