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Qui a tué l’écologie ?

Fabrice Nicolino, Les Liens qui libèrent, 2011, 297 pages, 20,50 euros.

avril 2011, par Aurélien Boutaud, Pierre Thiesset

Soyons clairs : Fabrice Nicolino s’intéresse dans cet ouvrage à ce qu’il appelle lui-même le « mouvement écologiste ». Bigre ! Le terme est vague. Mais on comprend vite qu’il ne sera guère question d’écologie politique. Car par « mouvement écologiste », l’auteur entend parler d’un ensemble d’acteurs passionnés par la nature sous toutes ses formes, le plus souvent fédérés en associations de protection de ceci ou de cela. On y retrouve évidemment les multitudes d’associations locales regroupées sous la bannière de France Nature Environnement (FNE) ; mais aussi les ONG transnationales de l’écologie que sont le WWF et Greenpeace. Sans oublier une spécificité bien française – il en faut toujours une – à savoir la Fondation Nicolas Hulot. Une sorte de famille, quoi. Bordélique, foutraque, hétérogène à souhait. Mais une famille. En tout cas pour ce vieux briscard du mouvement écologiste qu’est Fabrice Nicolino.

Seulement voilà, on sait ce qu’il en va parfois des repas de famille ! Et s’il y a une table à laquelle l’auteur n’accepte pas d’aller manger, c’est bien celle du Grenelle de Sarkozy. C’est donc en acteur concerné (et consterné) que Fabrice Nicolino assiste au spectacle de cette drôle de famille d’écologistes se pressant à la table du Grenelle de l’environnement. Et comme il arrive dans les repas de famille, lorsqu’au détour d’une discussion le vrai visage de ceux qu’on croyait connaître apparaît soudainement au grand jour, les questions surgissent. Comment ont-ils osé ? Mais qui sont-ils réellement ? Ces questions, Fabrice Nicolino se les pose pour de bon. Attention, ça va barder !

Passons rapidement sur la petite dernière : la FNH. On ne l’a jamais beaucoup aimée, celle-ci. Pas vraiment de la famille, d’ailleurs. Avec sa gueule de premier de la classe, son comité d’experts qui expertisent en rond, son présentateur télé sponsorisé par Bouygues-TF1 et ses nucléocrates estampillés EDF. Rien à en tirer, passons.

C’est un peu plus compliqué du côté du WWF. Car l’ONG a quelques titres de gloire. On a pu aimer certains de ses combats. Mais la liste des casseroles commence à être bien longue. Trop longue. Beaucoup trop longue. A force de professionnalisation, l’ONG est tombée dans les pires vicissitudes, estampillant à tire larigot les multinationales les plus nauséabondes de son logo, verdissant à tour de bras les plus ordurières des entreprises, jusqu’à la nausée. Alors Nicolino fouille dans les poubelles du passé, histoire de nous persuader que l’ONG était pervertie depuis le début. On en apprend de belles, parfois ! Bon. Passons.

Plus dur encore avec Greenpeace. Après tout, contrairement au WWF, ceux-là n’ont jamais dragué les multinationales. Toujours refusé d’être financé par autre chose que les militants. Seulement voilà, les militants, ça ne suffit plus. Il faut élargir le panel. Attirer le chaland. Dans une pure logique concurrentielle de croissance ! Et c’est ainsi qu’on se met à gérer une ONG comme une… multinationale ! C’est effrayant. Passons.

Et que dire de FNE, fédération financée autant par l’État que par ses associations membres (elles-mêmes financées par… devinez) ? On est là sur un terrain particulièrement propice à la compromission. Et l’auteur de nous rappeler quelques perles en la matière ! Passons, passons, passons...

Évidemment, à ce jeu de massacre, l’auteur force un peu le trait. Il règle ses comptes. Se prend parfois les pieds dans le tapi – à trop chercher les méchants, ça nous emmène parfois bien loin. Et surtout, n’y passent que les traîtres du Grenelle : mais quid des autres ? On ne saura pas. On vous avait prévenu : c’est un règlement de comptes ! Mais ce que nous raconte ici Fabrice Nicolino, finalement, c’est à chaque fois la même histoire. Ou plutôt, deux histoires qui s’entremêlent :

D’un côté, l’histoire d’associations qui, à force de grossir, se professionnalisent et tombent dans le piège de la course au financement, mère de toutes les compromissions. Associations à but non lucratif hier ; associations lucratives sans but aujourd’hui.

D’un autre côté, l’histoire d’un mouvement qui s’est fondé sur un intérêt commun pour la nature, en agrégeant en son sein des personnalités aux cultures politiques on ne peut plus hétérogènes – ma brave dame, c’est qu’à l’époque, il fallait faire masse pour dénoncer la destruction ! Mais aujourd’hui qu’il faut entrer dans le dur, s’attaquer aux fondements du productivisme, on se rend compte qu’on n’est pas tous du même bord. On réforme ? On attend la révolution ? Mince !

Pendant ce temps, la Mégamachine avance. La nature recule. Et le dindon de la farce a un nom : le mouvement écologiste !

Bon livre.

Aurélien Boutaud

Autre lecture

L’écologie a perdu l’essence subversive qui la constituait dans les années 70. Elle est devenue omniprésente, dans les discours de politiciens fraîchement convertis, dans les plaquettes de communication des entreprises, dans les médias promoteurs du développement durable... Digérée par le capitalisme, institutionnalisée, elle a été « tuée ». « L’écologie, la vraie, a disparu dans le trou noir des embrassades et des réceptions avec petits-fours. »

« Qui a tué l’écologie ? », s’interroge Fabrice Nicolino dans son livre retentissant paru aux éditions Les Liens qui libèrent. Le journaliste accuse les quatre ONG environnementales dominantes en France : Greenpeace, le World Wildlife Fund (WWF), la Fondation Nicolas Hulot et France nature environnement. Acoquinée avec le pouvoir économique et politique, la bande des quatre oublie la confrontation avec l’État et les entreprises pour préférer les compromis.

D’une plume incisive, l’auteur boxe ces associations sans prendre de gants. Il démonte avec une écriture percutante leurs stratégies accompagnatrices. Un certain manque de modestie (« ce livre va faire mal », vante la quatrième de couverture) et une posture de résistant seul contre tous [1] peuvent irriter. D’autant plus qu’il n’est pas isolé : cette critique du mouvement écologiste institué est notamment porté avec constance par le journal La Décroissance.

Mais Fabrice Nicolino ne tombe pas dans le discours impuissant du « tous pourris ». A mi-chemin entre pamphlet et enquête, ce livre s’appuie sur des faits. Le lecteur apprend que le si sympathique défenseur des pandas, WWF, créé par des savants, aristocrates et affairistes, a compté parmi ses présidents un prince ex nazi et un ex directeur de Shell. Qu’il a été financé par des industriels sud-africains défenseurs de l’apartheid, soutenu par un dictateur du Zaïre, un ministre de la Défense états-unien en guerre contre le Vietnam avant d’officier à la Banque mondiale et chez Ford, un banquier pakistanais ami des réseaux terroristes, le cimentier Lafarge, le chimiste Hoffman Laroche... « Toute l’histoire du WWF montre qu’il a partie liée avec les intérêts industriels les plus contestables. » Aujourd’hui, le fonds mondial pour la nature soutient l’industrie des agrocarburants [2]

Selon Nicolino, Greenpeace, fondée par des hippies pacifistes et antinucléaires, s’est institutionnalisée, a délaissé le combat contre le nucléaire en allant jusqu’à participer au Grenelle de l’environnement, et sert de marchepied à des ambitieux comme Bruno Rebelle, dépeint en opportuniste. Nicolas Hulot, dont la Fondation est financée par des multinationales aussi vertueuses qu’EDF ou le bétonneur Vinci, glisse sous le tapis « l’indispensable rapport de force entre des intérêts si clairement contradictoires ». A l’instar d’un Yann Arthus-Bertrand, « rêve incarné des pouvoirs en place ».

Quant à France nature environnement… Celle-ci est accusée de s’être bureaucratisée, d’adoucir son discours. Elle, qui fédérait les luttes écologiques locales et se positionnait en contre-pouvoir, est désormais rangée, dépendante des subventions publiques. Révélateur de la « dégénérescence de ce mouvement », elle en vient même à s’associer au label commercial PEFC, sous couvert duquel des forêts primaires sont détruites.

Ces ONG, heureuses de fréquenter les hautes sphères du pouvoir, ont participé à l’opération de communication du Grenelle de l’environnement. Un Grenelle qui a exclu les questions trop dérangeantes (nucléaire, agrocarburants, chasse, nanotechnologies, téléphones portables, agriculture industrielle…) pour aboutir au plus petit dénominateur commun. Un consensus mou dont les faibles mesures ont même été foulées au pied par la suite, qu’il s’agisse de la taxe carbone, du projet de tripler les surfaces dédiées à l’agriculture biologique d’ici 2010, de moratoire sur les constructions d’autoroutes… Repeint en vert, le développement insoutenable continue sa course folle. Avec la caution des « écologistes de cour », devenus « appendice de l’appareil d’État et de cette vaste machine industrielle qui détruit le monde à sa racine ».

Les associations défendent leur stratégie : pour elles, le lobbying à l’anglo-saxonne permet de faire des petits pas, à défaut de grand soir [3]. Greenpeace, la FNE et même le WWF reconnaissent que ce militantisme de dossier doit être couplé à une lutte de terrain, sur le modèle des mobilisations contre l’exploitation des gaz de schiste. Être à la fois dans le pouvoir et le contre-pouvoir, le grand écart est-il tenable ? Quand FNE soutient PEFC, que le WWF apporte son patronage aux opérations d’écoblanchiment de la grande distribution, quand la Fondation Nicolas Hulot sert le nucléaire ou les autoroutes, comment les consciences ne seraient pas brouillées ? Nous sommes en plein dans la politique de l’oxymore décrite par Bertrand Méheust [4] : ces « figures de la conciliation impossible » contribuent à masquer le caractère destructeur de notre modèle économique et à faire croire que l’écologie est compatible avec une croissance sans fin.

Pour Fabrice Nicolino, la sentence est claire : « Non, ils ne sont pas sérieux. Ni Greenpeace, ni le WWF, ni la fondation Hulot, ni FNE. Ce serait charmant chez des enfants de cinq ans. Mais c’est tout de même moins plaisant chez des gens supposés sauver la planète. » Le journaliste estime que ces ONG sont devenues des obstacles. Que les luttes écologiques doivent assumer l’affrontement, se faire oppositionnelles, insurrectionnelles. Mettre fin aux concessions avec le système industriel, arrêter les compromissions avec les responsables du chaos, nommer l’adversaire. « Reconnaître la nécessité de combats immédiats et sans retenue. » L’effondrement en cours l’impose.

Pierre Thiesset


[1Illustration : « Il va de soi que ce livre sera vilipendé, et je dois avouer que j’en suis satisfait par avance. Ceux que je critique si fondamentalement n’ont d’autres choix que de me traiter d’extrémiste, et de préparer discrètement la camisole de force. »

[2Alternatives sud, Agrocarburants : impacts au Sud ?, Centre Tricontinental et éditions Syllepse, 2011.

[3Politis n°1148, du 14 au 20 avril 2011.

[4Bertrand Méheust, La Politique de l’oxymore, La Découverte, 2008.