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La nécessité d’une écologie radicale
Anne Frémaux, Sang de la terre, 2011, 187 pages, 14 euros.
avril 2011, par
« Nous ne pouvons transiger avec la folie du capitalisme vert », écrit l’incontournable Paul Ariès dans sa préface. Anne Frémeaux, professeur agrégée de philosophie (après un détour de quelques années dans les services marketing de multinationales), se situe dans la lignée des penseurs de la décroissance. Le titre de son livre l’indique clairement : face à l’effondrement en cours, notre organisation sociale doit être revue à la racine. « Notre mode de vie est sans avenir », soutient l’auteur. Il doit être radicalement transformé.
La débâcle actuelle constitue un moment charnière pour prendre la tangente. Le programme insensé d’accumulation infinie atteint les limites de la planète. Un nouveau projet collectif est à construire pour sortir du productivisme. Anne Frémeaux montre l’absurdité du PIB, indicateur destructeur érigé comme fin en soi : le PIB français n’a jamais été aussi élevé, nous n’avons jamais autant consommé d’antidépresseurs... Tout comme le bonheur ne réside pas dans la consommation débridée soutenue par l’endettement, le salut ne viendra pas de la technique, des marchés financiers de droits à polluer, des entreprises prédatrices même repeintes en vert.
Poursuivre le développement de manière durable est une utopie fomentée par de doux rêveurs. La philosophe inverse les représentations dominantes : les extrémistes, ce ne sont pas les lanceurs d’alerte qui montrent la nécessité d’une écologie radicale, mais les détenteurs du pouvoir qui martèlent l’impératif de la croissance et la nécessité de la relance. Notre horizon, c’est la décroissance, soutient Anne Frémeaux.
Pas une décroissance faute de mieux, imposée par un régime autoritaire parce qu’il n’y a pas d’alternative face à la pénurie. Mais une décroissance heureuse, qui invite à se libérer de nos existences frustrées de forçats du travail et de la consommation, à sortir de nos sociétés inégalitaires, fondées sur la compétition de tous contre tous, destructrices des liens sociaux. Décloisonner notre imaginaire façonné par le capitalisme libéral « individualiste et hédoniste » est un premier pas vers la conquête de l’autonomie et l’affirmation du sujet. A la démesure, l’écologie radicale oppose la limite, la sobriété, le contrôle des pulsions, le partage. Pour une vie plus riche, plus solidaire et plus heureuse.
Anne Frémeaux montre qu’un tel changement de perspective ne se fera pas que par la pratique individuelle de la simplicité volontaire. Seul un projet de transformation collective peut répondre à la « crise » économique, écologique et psychique actuelle. Une question essentielle devrait agiter le débat public : « Quels sont les biens civilisationnels qu’une société doit produire pour assurer à ses membres “une vie bonne” ? » Pour remettre l’économie à sa place de moyen, et non de fin ? Cette réorientation de la production ne peut être menée que par la délibération, par une véritable démocratie. Elle entre en conflit avec les intérêts de l’oligarchie et avec l’orientation libérale des grandes institutions, notamment de l’Union européenne.
Cet ouvrage égrène des pistes pour une société écologique et solidaire : revenu maximum, revenu solidaire, abolition du libre-échange, taxation de la consommation superflue, des transports pour relocaliser l’économie, biens communs rendus au peuple, partage du travail, des richesses, fermeture de la Bourse et fin de la financiarisation de l’économie, contrôle de la science, limite des profits et de la propriété, refonte de l’école... « En réalité, c’est d’une attaque sur tous les fronts, d’un changement multidimensionnel que nous avons besoin. »
Les lecteurs aguerris des textes antiproductivistes n’apprendront pas grand-chose de nouveau. Mais La Nécessité d’une écologie radicale se distingue par la clarté de son propos. Limpide, didactique, synthétique, au raisonnement implacable, ce livre offre une très bonne approche pour comprendre l’urgence de la décroissance. Un projet collectif en plein essor, capable de fédérer pour rouvrir les possibles et sortir de l’impuissance fataliste.