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La consommation critique

Collectif (sous la direction de Geoffrey Pleyers), Desclée de Brouwer, 2011, 321 pages, 26 euros.

avril 2011, par Pierre Thiesset

Dans les hypermarchés, l’alimentation biologique dispose de ses rayons spécifiques. Les labels « éthiques », « responsables », « équitables » se multiplient sur les étiquettes. Et la grande distribution se dit défenseur de la paysannerie locale en mettant en avant quelques produits du terroir... Quand des consommateurs demandent des marchandises plus naturelles, moins nocives pour la santé et l’environnement, le capitalisme sait prendre en compte ces aspirations pour s’ouvrir de nouveaux marchés. Le marketing et la publicité inventent des éco-produits, certifiés « authentiques ». Mais ce consumérisme vert n’est qu’artifice et simulacre.

Nulle trace d’un tel dévoiement dans cet ouvrage collectif. La Consommation critique n’est pas un de ces fumeux catalogues d’éco-citoyenneté moralisatrice sur papier recyclé. Ici, les auteurs traitent d’une consommation véritablement critique. Anticapitaliste, subversive et irrécupérable.

Ce recueil présente des réseaux de consommation alimentaire opposés à la grande distribution et à l’agriculture industrielle. En s’appuyant sur des entretiens et des études de terrain, il emmène le lecteur en Belgique, au Canada, en France, en Italie et en Grande-Bretagne. A la découverte des groupes d’achats communs, des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), des adeptes de la simplicité volontaire...

Ces groupes autogérés tissent des liens directs entre producteurs et consommateurs. Ceux qui s’engagent dans ces circuits de distribution oppositionnels ne le font pas uniquement par conscience environnementale. Mais aussi par gourmandise : ces épicuriens attachés à la vie bonne veulent accéder à des aliments de qualité, savoureux et sains. Acheter local aide les paysans et revivifie le territoire. Ce mode de consommation convivial permet de se rencontrer, de s’impliquer dans la vie collective, d’échanger. A mille lieues de la déshumanisation des supermarchés et de l’agro-industrie.

Les circuits courts offrent une rémunération juste aux producteurs, et des prix bas aux consommateurs. Cet ouvrage montre la filiation de la consommation critique avec le socialisme associationniste d’un Charles Fourier et le mouvement coopératif, très puissant jusqu’au début du XXe siècle. Les petits groupes autonomes de producteurs et de consommateurs fédérés échappent à l’emprise des intermédiaires parasites.

Si la consommation critique connaît un fort dynamisme ces dernières années – le nombre d’AMAP, passé de 1 en 2001 à 1.200 aujourd’hui, suffit à le démontrer –, ce livre ne tombe pas dans l’angélisme et montre les limites de ce mouvement. Que 100.000 personnes soient engagées dans les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne ou que le bio atteigne 1,9 % de part de marché en 2009, cela ne suffit pas à transformer la filière alimentaire. Les modes de consommation individuels et les initiatives collectives n’ont pas (encore ?) atteint une masse critique suffisamment forte. Investir le débat public et peser sur la sphère politique est indispensable pour changer d’échelle. Dans l’objectif de relocalisation de la production et de la consommation, le soutien apporté par les collectivités est primordial : celles-ci sont de plus en plus nombreuses à décider d’alimenter les cantines scolaires en produits locaux.

Ainsi nous pouvons reconquérir notre puissance d’agir, notre autonomie et reprendre la maîtrise de notre consommation. La Consommation critique invite à ne pas se résigner à une vision catastrophiste de l’avenir. Alors que la pénurie est devenue notre horizon officiel, que les appels à se serrer la ceinture se multiplient à la vitesse des plans d’austérité, que la jeunesse au chômage est officiellement qualifiée de « sacrifiée » par l’Organisation internationale du travail, ce livre exhorte à vivre avec délectation, ici et maintenant. A changer son quotidien, par la sobriété, la solidarité, l’autoproduction. C’est en détruisant nos capitalismes intérieurs par nos pratiques que nous pourrons en finir avec la consommation de masse issue d’un capitalisme fordiste à l’agonie. La vie quotidienne est un champ de bataille.