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Malheur aux vaincus

Philippe Labarde et Bernard Maris

octobre 2002, par Jean-Louis Peyroux

MALHEUR AUX VAINCUS, Philippe Labarde et Bernard Maris
Albin Michel, Paris, 2002, 184 pages, 14,90 euros

Le 11 septembre a arrêté le mouvement antimondialisation pour un petit
moment. Ce mouvement, présent à chaque cérémonie des « importants », ne
recherchait pas le « grand soir » mais une économie « régulée ». Les auteurs
n’y vont pas par quatre chemins : le capitalisme actuel est « l’autre nom
du darwinisme social ». De 1815 à 1914, il a vécu en paix, au prix des
inégalités croissantes, de la colonisation et de l’exclusion. Puis « deux
guerres ont nivelé les inégalités et réintroduit l’Etat et la propriété
publique au coeur du développement ». Depuis, c’est l’inverse qui s’est
reproduit, à partir de 1970. Tout d’abord, si la croissance s’est ralentie,
les dividendes du capital ont crû vertigineusement. La génération qui
arrive à l’âge du travail découvre les méfaits sociaux, sanitaires,
écologiques légués par les prédécesseurs. Son emploi est précaipe, elle ne
jouit pas de la baisse d’impôt qui va augmenter les revenus des riches.
Comme l’écrivent les auteurs, pendant les Trente Glorieuses, le taux de 60%-
70% pour la tranche supérieure des revenus n’a pas tué l’économie, bien au
contraire. Tandis que la politique de l’offre et les baisses d’impôts ont
un but : liquider la classe moyenne.
La deuxième chapitre est consacré aux différences entre « riscophiles » et
« riscophobes ». Denis Kessler, l’assureur et n° 2 du Medef, adore les
risques. Non seulement, il y a des risques naturels mais le risque de
guerre subsiste. Curieusement, ceux qui encensent leur amour pour les
risques ont une fâcheuse propension à externaliser leurs problèmes.
Autrement dit, comparent les deux auteurs, l’externalisation ressemble au
syndrome NIMBY (« pas dans mon jardin »). Autre secteur touché par la
politique du risque : les salaires eux-mêmes, remplacés par l’épargne
salariale. Labarde et Maris fustigent les soi-disant « responsables » : les
pollueurs, les bétonneurs (notamment celui qui a mis la main sur la
télé...), les utilisateurs de main-d’oeuvre infantile en Grande-Bretagne,
ceux qui ont transformé la Bretagne en une immense usine porcine, les
vaches en carnivores et l’eau en lisier.
Au fond, si les riches pouvaient rester entre eux, ils n’auraient plus de
souci. Dans cette « société en sablier » (concept inventé par Alain Lipietz),
l’absence de classe moyenne, la grosse base pauvre seraient les fondements
de leur propre richesse. Dans le chapitre 3, on voit plus comment
l’organisation de la peur s’est étendue dans la société. Les CDD remplacent
les CDI. Les licenciements abondent. Pourtant, rappelle Labarde et Maris,
les compressions de personnel sont contre-productives : « Il faut faire
appel à des entreprises extérieures, plus coûteuses, reformer des gens dont
on n’est pas sûr, etc. » Dans le chapitre 4, ils détaillent leur postulat :
le libéralisme est l’enfant du darwinisme social. Ainsi, la SNCF et Usinor
ont fait travailler leurs salariés avec de l’amiante. De même, on tue les
troupeaux plutôt que de les vacciner. C’est dans le chapitre 5 que l’on
voit le mieux les horreurs du capitalisme libéral. La concurrence
(antithèse de l’altruisme, de la solidarité) engendre le darwinisme social.
Le sixième chapitre est consacré à la régulation du marché. Les deux
auteurs ironisent : après le 11 septembre, les firmes touchées par
l’attentat terroriste ont apprécié l’aide de l’Etat-providence. « On
n’assiste plus les exclus mais les actionnaires. » C’est pourquoi seuls les
choix politiques peuvent maîtriser le capitalisme. « Comme toujours, (celui-
ci) fonctionne sur la massification et la suppression de la diversité :
promotion de quelques stars, marketing agressif des produits dérivés »,
résume Labarde et Maris quand ils décrivent les affres de la culture dans
le nouveau capitalisme, chapitre 7. « Cette société de marché, obsédée par
la lutte contre la mort, au fond, n’aime pas la vie », concluent les deux
auteurs pour qui la vie, c’est la gratuité. Un bon petit livre, plein
d’humour et de pertinence.