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Protéger les libertés sur Internet

lundi 1er août 2011, par La Quadrature du Net

Nous sommes à un moment clé de l’Histoire d’Internet. HADOPI [1], le G8 décidant le contrôle du Net [2], l’ACTA [3], la réaction des gouvernements américain et français à WikiLeaks [4] ,le développement galopant des mesures de censure [5], y compris dans les régimes démocratiques, ne sont que quelques unes des menaces qui pèsent sur son devenir. Face à ces menaces, il est urgent que les citoyens agissent pour s’assurer qu’Internet reste un instrument au service de la démocratie, du développement humain et de l’innovation. C’est dans cette perspective que La Quadrature du Net a présenté le 22 juin 2011 ses propositions [6]. L’organisation citoyenne invite les citoyens à s’en saisir pour en discuter autour d’eux et auprès des décideurs politiques.

"À l’heure où la tension est à son comble entre ceux qui veulent prendre le contrôle d’Internet et ceux qui entendent jouir sans entraves de leurs libertés et de nouvelles potentialités, il est indispensable de se faire entendre et d’agir."
Jérémie Zimmermann, porte-parole de l’organisation citoyenne La Quadrature du Net.

Les propositions suivantes visent à adapter notre législation aux réalités technologiques et sociales de l’ère numérique afin qu’Internet tienne toute ses promesses.

Les droits de l’Homme dans la société numérique

La liberté de communication et d’expression est première dans l’ordre démocratique. Elle permet l’échange des idées, des opinions et des informations qui façonnent notre vision du monde ; elle est le fondement des sociétés libres. En ce qu’Internet offre à tout a chacun l’occasion d’émettre et de recevoir l’information de son choix constitue une révolution technique et politique. Mais pour que le champ des possibles reste ouvert, la liberté de communication et les autres droits fondamentaux doivent être rigoureusement protégés sur Internet. La garantie de ces droits passe par l’application rigoureuse des principes de l’État de droit à l’espace public en ligne.

Garantir la présomption de légalité pour toute publication en ligne

– Toute obligation de filtrage visant à empêcher la publication des contenus en ligne doit être rejetée. Il s’agit d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, incompatible avec les valeurs de l’État de droit.
– Les procédures de retrait de contenus par les hébergeurs sur demande de tiers doivent être rigoureusement encadrées afin de faire prévaloir, sauf cas exceptionnel, le droit à la liberté d’expression.
– Chaque citoyen doit notamment être suffisamment informé des demandes de retrait le concernant afin, le cas échéant, de s’y opposer et d’en assumer la pleine responsabilité juridique.
– Pour plus de détails, voir notre réponse à la consultation sur la directive européenne relative aux services de la société de l’information [7].

Garantir le droit au procès équitable

– Sauf cas exceptionnel, toute mesure imposée par les pouvoirs publics et ayant pour effet de restreindre la liberté d’expression ne peut être mise en œuvre qu’à l’issue d’un procès équitable.
– De telles mesures doivent respecter le principe de proportionnalité et d’efficacité. Ces critères doivent conduire à disqualifier le blocage de contenus en ligne.
– Pour plus d’informations, voir l’étude [8] d’éminents juristes européens sur les mesures de blocage des contenus en ligne, ainsi que notre mémoire [9] transmis au Conseil constitutionnel sur la loi LOPPSI 2. Là encore, voir notre réponse à la consultation sur la directive européenne sur les services de la société de l’information [10].

Réfléchir aux limites de la liberté d’expression dans une sphère publique renouvelée

– Dans l’espace public en ligne, n’importe qui peut s’exprimer, et nombre d’interdits de parole visant à policer le discours public ont perdu de leur pertinence.
– En particulier, les poursuites envers des personnes critiques de l’autorité publique ou de ses représentants vont à l’encontre de l’idéal démocratique (diffamation, droit à l’oubli, etc.).
– Il importe de garantir la possibilité de s’exprimer anonymement en ligne.

L’accès à un Internet libre et ouvert

Internet et tout son écosystème s’est développé sur la base de principes techniques simples qu’il importe de protéger. Le plus important d’entre eux est sans doute le caractère décentralisé du réseau, qui maximise la liberté de communication, et donc la libre expression et l’innovation en ligne. De manière générale, il s’agit de mettre chaque personne en capacité de créer, d’échanger avec ses pairs, d’accéder à une plus grande diversité de biens informationnels.

Protéger dans la loi la neutralité du Net

– Il est urgent d’inscrire dans la loi une définition d’Internet assise sur le principe de neutralité, afin de garantir la pérennité de son architecture technique.
– Le principe de neutralité doit s’appliquer à tous les réseaux Internet, quel que soit leur mode d’accès (fixe ou mobile). Les exceptions à ce principe doivent être rigoureusement encadrées.
– Les atteintes à la neutralité du Net par les opérateurs doivent faire l’objet de sanctions dissuasives.
– Sur les réseaux, les conditions d’équilibre entre les services gérés et Internet doivent être pérennes, afin de préserver la qualité de l’accès Internet.
– Il est nécessaire d’encadrer l’utilisation des technologies d’inspection des paquets de données afin de protéger le secret des correspondances et l’intégrité des communications électroniques.
– Pour plus d’informations, voir le rapport parlementaire sur la neutralité du Net d’avril 2011 [11], notre réponse à la consultation européenne sur le sujet [12] ou notre rapport [13]. À lire également notre tribune [14] parue dans les cahiers de l’Arcep.

Encourager le développement de réseaux sans fil partagés

– Le spectre hertzien doit redevenir une ressource publique, grâce à l’ouverture de nouvelles bandes de fréquences à des accès partagés et sans licence, sur le modèle du WiFi.
– Il faut expérimenter au plus vite l’utilisation de technologies radio permettant la mise en place de réseaux sans fil partagés (technologies radio « intelligentes » et femtocells).
– Les personnes partageant des accès Internet sans fil doivent pouvoir le faire sans risque juridique.
– Pour de plus amples informations, lire la tribune "Le spectre de nos libertés" [15] et la présentation de l’Open Wireless Movement [16].

Soutenir le développement de terminaux et de serveurs contrôlés par les usagers

– Afin d’éviter toute distorsion de concurrence, il incombe aux régulateurs de garantir l’interopérabilité des terminaux avec différents systèmes d’exploitation.
– Les pouvoirs publics doivent encourager l’utilisation de logiciels libres, notamment dans le cadre des marchés publics.
– Les ressources essentielles du réseau, notamment les serveurs, doivent être rendues plus accessibles afin de garantir le caractère décentralisé de l’architecture d’Internet.
– Au sujet de la promotion des logiciels libres, voir les recommandations de l’April [17]. Sur la manière dont les utilisateurs d’Internet peuvent reprendre le contrôle des ressources essentielles du réseau, voir la présentation du projet « Freedom Box » par Eben Moglen [18].

Le partage de la culture et des connaissances

Internet et les technologies numériques permettent à chacun de partager librement l’information numérique. La réappropriation et modification des œuvres (remix) devient en outre une pratique d’expression pour toute une génération. Aussi, les droits intellectuels sur l’information, quelle qu’elle soit, doivent s’adapter à cette nouvelle donne afin d’encourager l’accès à la culture et à la connaissance. Cela suppose de mettre un terme à la guerre contre le partage d’œuvres culturelles, et d’adopter des politiques permettant la réappropriation de la culture et de la connaissance par le public.

Reconnaître le partage en droit et en fait

– Il faut reconnaître la légitimité du partage d’œuvres culturelles entre individus sans but de profit en le plaçant hors du champ d’application du droit d’auteur, par exemple par la création d’une nouvelle exception.
– Les verrous numériques et autres dispositifs anti-copie devraient être abandonnés. Ils doivent être déclarés illégaux lorsqu’ils empêchent des usages licites.
– Les outils de partage, tels que les logiciels peer-to-peer, doivent pouvoir se développer en toute sécurité juridique.
– Pour plus d’information, lire Internet et Création de Philippe Aigrain [19], ainsi que son article sur la légitimité du partage [20]. Voir aussi la réponse de La Quadrature à la consultation européenne sur le futur de l’économie culturelle [21]. Sur l’interdiction des DRM abusifs, voir enfin l’ancien projet de loi de réforme du droit d’auteur au Brésil [22].

Explorer de nouveaux modèles de financement de la création, de l’information et des médias

– Il est grand temps de créer une « contribution créative » pour le financement de la création et de l’expression publique à l’ère numérique, mutualisée entre tous les usagers et contributeurs d’Internet.
– Un observatoire indépendant et rendant compte au public analysera des données fournies volontairement par les utilisateurs pour définir les clés de répartition.
– Les ressources dégagées par la contribution créative récompenseront les auteurs et créateurs (y compris bien sûr pour les œuvres sous licences libres), et serviront à financer de nouvelles productions.
– Il faut enfin créer les conditions pour le développement de modèles économiques innovants, en facilitant l’accès à l’exploitation commerciale des droits d’auteur sur Internet.
– Outre Internet et Création [23], lire l’article de Philippe Aigrain sur les "droits et modèles de financement adaptés à l’ère numérique" [24], ainsi que le guide du Free Culture Forum [25].

Renforcer le domaine public et libérer le patrimoine numérique

– Après des années d’une politique infondée en la matière, il est nécessaire de revenir à une durée raisonnable des droits d’auteurs et des droits voisins.
– Les pouvoirs publics doivent s’engager dans un politique ambitieuse en faveur des données publiques ouvertes.
– Il faut repenser les stratégies de numérisation du patrimoine, et encourager un modèle distribué permettant le concours de chacun à ces politiques culturelles.
– Pour plus d’informations, lire le Manifeste pour le domaine public [26] et la réponse de La Quadrature du Net sur la numérisation du patrimoine culturel européen [27]. Sur l’ouverture des données, voir les travaux de Regard Citoyens [28].

La Quadrature du Net