Accueil > Les dossiers > De l’hiver-printemps 2011 à l’automne 2011, du n° 36 au 38 > N° 37 (été 11) / Réseau(x) et société de l’intelligence - Le (...) > Dossier > Internet et les partis : quels positionnements politiques ?

Internet et les partis : quels positionnements politiques ?

lundi 1er août 2011, par Christian Paul (PS), EcoRev’, EELV, Martine Billard (PG)

Comment se servir d’Internet pour transformer l’espace public, mobiliser les citoyens et libérer l’expression démocratique ? En quoi le numérique peut-il contribuer à la réorganisation de la société et à la relocalisation de l’économie ? Quelle politique devrait être défendue pour garantir la liberté sur le réseau et favoriser l’égalité de tous devant Internet ? Nous avons posé ces questions à trois formations politiques, par ordre alphabétique : Europe Ecologie - Les Verts, le Parti de Gauche et le Parti Socialiste. Voici leurs réponses par ordre d’arrivée.

Parti socialiste
"Internet aide la prise des Bastille du XXIe siècle"

EcoRev’ - Selon vous comment le numérique pourrait-il contribuer fortement à la rénovation de l’espace public ?

Christian Paul (député de la Nièvre, président du laboratoire des idées du Parti Socialiste) - Jamais les citoyens, les militants, les électeurs n’ont disposés d’autant d’informations pour fonder leurs engagements, leur choix et leurs décisions. La société numérique offre des outils, des données sans limites, mais aussi des capacités à agir en réseaux et à mobiliser comme à nul autre moment de notre histoire. Les révolutions démocratiques en Méditerranée l’ont confirmé de façon éclatante, mais cela vaut aussi pour d’autres causes, par milliers chaque jour. Oui, internet aide la prise des Bastille du XXIème siècle.
Pour autant est-ce que notre démocratie se porte mieux en numérique ? Ce n’est pas gagné. Je crois dans le pouvoir de transformation du numérique, mais ce n’est pas une fin en soi, ni un Quand la démocratie est abimée, les réseaux ne suffisent pas forcément à réenchanter la politique. Il faut pour cela un projet politique fort, où la contribution de chacun est réellement sollicitée. A ce prix, la rénovation de l’espace public devient possible.

Comment comptez-vous utiliser le numérique pour mobiliser les électeurs pour 2012 et éviter l’abstention ? Utiliserez-vous un langage particulier pour cela ?

La mobilisation se gagne à chaque étape : l’élaboration et la diffusion du projet, la mobilisation pour les primaires, l’animation de la campagne.
Chaque campagne conduit à forger une parole publique. Je ne crois pas que le numérique conduise à changer cela. Mais dans la forme, internet exige un style, une syntaxe nouvelle et une pensée…condensée.

En admettant que le numérique est amené à plus ou moins long terme à bouleverser la société, quelles seraient les grandes lignes de vos propositions pour organiser au mieux la période de transition dans les secteurs suivants :

– économiques et sociaux (les modes de production, l’énergie, la recherche, la santé, la formation, la culture, les services publics, etc.)

Internet ne transforme pas nos valeurs, il les transporte. Mais nous défendons l’idée que les usages numériques transforment l’action publique comme nos vies quotidiennes. Pour la sobriété énergétique, par un meilleur pilotage des consommations de chacun. Pour la recherche, par l’organisation de l’intelligence collective. Pour la santé, avec la médecine prédictive, la télémédecine, les réseaux de santé. Pour la formation à distance, les campus numérique, le partage des savoirs. Pour la culture, avec l’intégration du numérique et de la création, avec de nouveaux modèles de diffusion qui égalise l’accès aux œuvres de l’esprit. Enfin, avec la possibilité de personnaliser la relation avec les services publics

- techniques (accès Internet haut débit, fracture numérique, logiciels libres, etc.)

Après 2012, notre priorité ira à une nouvelle étape de déploiement du très haut débit (FTTH), dans chaque foyer, pour les entreprises, les espaces publics. Je plaide pour avec une meilleure cohérence de l’initiative publique. Dans ce domaine, le marché ne peut pas tout. Et le retard français s’installe.
Nous encouragerons le logiciel libre, dans les institutions publiques, et bien au-delà. Nous défendrons également aussi l’ouverture des données publiques (open data), un autre enjeu citoyen et économique, dont l’impact pour l’innovation est considérable.

- juridiques (droits d’auteurs, neutralité du réseau, vie privée, etc.)

L’abrogation des lois répressives comme Hadopi ne suffira évidemment pas. Nous devrons saisir la révolution numérique comme une chance pour la création, soutenir les nouveaux modèles de diffusion, défendre les droits d’auteurs en les adaptant, ce que chaque époque a su faire depuis deux siècles !
La neutralité doit être défendue comme la clé de voûte du code des réseaux. Une loi sera nécessaire pour écrire ce principe dans notre droit. Les menaces se multiplient : elles s’ s’apparentent à une privatisation du réseau pour des usages privilégiés. Le droit à la connexion devra compléter cette construction juridique dont nous traçons l’architecture pour préserver des réseaux neutres et ouverts.

Dans le cadre d’une relocalisation industrielle au service des usagers plutôt que des consommateurs, comment utiliseriez-vous les opportunités offertes par les FabLabs aux coopératives locales ?

Dans notre projet anti-déclin, nous considérons comme possible la relocalisation de productions en France et en Europe. Cette nouvelle politique industrielle, bien loin des velléités actuelles, exige des réseaux d’innovations, une compréhension de la transition écologique et une réelle compréhension des nouveaux systèmes productifs que le numérique réorganise radicalement, peu à peu, ou parfois très vite…Dans l’économie créative que nous voulons, l’innovation réside dans le produit en lui-même, mais aussi dans le process de production, la personnalisation, la réactivité. Les fab labs sont l’une des illustrations de ces grandes transformations.

Plus largement, comment mettre le numérique au service de la mobilisation de l’intelligence collective ?

De mille manières…j’en cite volontiers deux. D’abord, en affirmant la société créative comme un projet politique qui appelle la mobilisation de tous. Nous l’avons illustré dans le livre Pour changer de civilisation, écrit avec Martine Aubry et cinquante chercheurs et citoyens (éditions Odile Jacob, 2011). Ensuite en expérimentant sur tous les terrains, les services publics en première ligne, la co-conception avec les usagers. La 27ème région, initiée avec les Régions de France relève ce défi sur les territoires. La encore, le numérique devient un outil de transformation au service de l’innovation collective.

Propos recueillis par Emmanuel Dessendier et Anita Rozenholc

Europe Ecologie - Les Verts
"Les nouvelles technologies doivent permettre à chacun de prendre part à la vie collective"

EcoRev’ - Selon vous comment le numérique pourrait-il contribuer fortement à la rénovation de l’espace public ? Plus largement, comment mettre le numérique au service de la mobilisation de l’intelligence collective, au cœur de l’écologie politique ?

Commission numérique d’Europe Ecologie - Les Verts - Le numérique offre à l’ensemble des citoyens des opportunités nouvelles de participation à la vie politique, culturelle et économique. Si les outils techniques sont présents dans la vie de beaucoup d’entre nous avec l’Internet, les nouveaux médias, les nouvelles générations de téléphones ou les réseaux sociaux, leur intégration à un projet politique d’organisation ou de réorganisation de la société doit sérieusement être pensée afin de tirer le meilleur parti possible de ce potentiel. L’accès aux savoirs et les usages qui peuvent en être faits sont au cœur de mutations sociales et économiques que nous devons accompagner et orienter pour promouvoir une société plus juste et plus démocratique dont la transformation écologiste doit être initiée.
La mise en œuvre d’un tel projet politique repose sur la mobilisation d’énergies individuelles contribuant aux transformations que nous souhaitons voir advenir. S’appuyer sur l’intelligence collective impose en premier lieu d’assurer :
1. L’accès de tous aux outils techniques comme conceptuels : notamment en systématisant les points d’accès public et gratuit à l’internet à haut débit et en renforçant l’accès à une éducation de qualité – à l’opposé de dégradation actuelle de l’éducation. L’enjeu est clair : les nouvelles technologies doivent permettre à chacun de prendre part et de contribuer à la vie collective et non renforcer l’exclusion des personnes déjà isolées socialement et en difficultés.
2. La systématisation de la mise à disposition des décisions, données publiques et productions ayant bénéficié de financements publics (bilans, sites, études, rapports, etc). L’ensemble des institutions publiques et notamment les collectivités territoriales doivent appliquer la loi « Cada » de 1978 qui impose aux administrations de tenir et de porter à la connaissance des usagers un répertoire de leurs données publiques. Ces éléments de connaissance, financés par l’agent public, doivent par ailleurs, comme le prévoit l’ordonnance du 6 juin 2005, être réutilisables pour faciliter mutualisation et travail en réseaux. Les biens publics doivent être pensés et construits comme une source et une ressource pour le développement collectif.
3. Parce que l’avenir est à inventer et que nourrir l’invention nécessite de favoriser le partage et les échanges d’idées, dans chaque collectivité territoriale et institution publique, il est indispensable que les recherches subventionnées soient accompagnées d’une publication en archive ouverte exposant les enjeux de la recherche comme ses résultats, et que soit encouragée la mise en biens communs des contenus culturels et des connaissances. L’inventivité et la créativité doivent être appréhendées comme des processus collectifs ouverts aux citoyens.
4. Pour revenir à un aspect technique, dans un environnement où la participation et la coopération dépendent massivement de la communication numérique, les outils dont nous (individus, entreprises, institutions publiques, etc) nous servons doivent être les plus ouverts possibles. Les pouvoirs publics doivent promouvoir et soutenir l’utilisation de logiciels libres, au code ouvert, librement utilisable, diffusable et modifiable, et de données diffusées dans des formats ouverts. De l’interopérabilité dépend la capacité de chacun à participer aux échanges. Les enjeux sont autant politiques, écologiques, qu’économiques.

Comment comptez-vous utiliser le numérique pour mobiliser les électeurs pour 2012 et éviter l’abstention ? Utiliserez-vous un langage particulier ?

Eviter l’abstention, c’est d’abord susciter l’intérêt et l’envie de participer au processus politique chez les électeurs. Les outils numériques nous donnent la possibilité d’un contact plus direct avec certains individus dont c’est le mode dominant de communication. Ils favoriseront l’interaction inter-individues dans le contexte du nouvel objet politique que constitue la Coopérative EELV qui doit être un espace foisonnant de fabrication du politique. Notre ambition est d’utiliser ces vecteurs pour élaborer et fournir du contenu, pour faire entendre nos idées et propositions, susciter la mobilisation des électeurs à aller voter, mais aussi la mobilisation politique en générale. Réseaux sociaux, vidéos virales, twitts, nous sommes prêts à faire feu de tout bois. Les Journées d’été d’EELV permettront d’ailleurs de débattre de la façon dont nous entendons utiliser tous ces outils…
 
En admettant que le numérique soit amené à plus ou moins long terme à complètement réorganiser la société - au même titre que l’imprimerie en son temps - quelles seraient les grandes lignes de vos propositions pour organiser au mieux la période de transition dans les secteurs suivants :

– économiques et sociaux (les modes de production, l’énergie, la recherche, la santé, la formation, la culture, les services publics, etc.)

Dans le contexte de mutation actuel, le mot d’ordre doit être de favoriser la coopération et l’échange plutôt que la concurrence et l’accaparement. Nous avons besoin de nouvelles sources d’énergie, propres et réellement renouvelables, de nouveaux modes de production, de consommation, de distribution, de nouveaux outils et de nouvelles approches pour prévenir et combattre les maladies, de dispositifs de solidarité revisités, de processus démocratiques plus transparents, etc. Il nous faut répondre au défi de faire émerger ces innovations le plus efficacement et le plus rapidement possible. A l’opposé de l’idéologie d’un modèle unique des « droits de propriété intellectuelle » basés sur l’attribution de droits exclusifs et de monopoles à toutes les sphères d’activités, c’est en diversifiant les modèles que nous pourrons mieux promouvoir la création et l’innovation. La théorie économique a depuis longtemps démontré à quel point la logique de rente peut constituer un frein au développement de l’activité créative. Aujourd’hui, des modèles économiques alternatifs émergent dans les domaines artistiques, scientifiques (prix à l’innovation sans octroi de droits exclusifs, par ex) et techniques, plus adaptés aux formes d’échange et de travail qui se développent avec les nouvelles technologies. Les pouvoirs publics doivent être capables de faire évoluer les outils et les mécanismes destinés à soutenir la création, l’innovation et la recherche, et ne pas enfermer la société dans des modèles injustes pour le plus grand nombre et qui deviennent rapidement obsolètes.

- juridiques (droits d’auteurs, neutralité du réseau, vie privée, etc.)

La première et impérative mesure à prendre est l’abandon des politiques répressives et sécuritaires de type HADOPI ou ACTA, inutiles, couteuses et dangereuses pour les libertés publiques individuelles et les fondements de notre justice. La neutralité du réseau est en outre un principe fondamental qui ne doit en aucun cas être remis en cause quel que soit le contexte législatif.
Le droit d’auteur doit nécessairement être adapté à l’ère numérique. Mais il est également primordial de résoudre le problème de l’inéquité et l’absence de transparence de la perception et la redistribution des revenus issus du droit d’auteurs. En outre, les débats autour de ces questions ne doivent pas occulter le fait que la plupart des artistes ne vivent pas du droit d’auteur, et que le soutien de la création nécessite de s’interroger sur le statut de l’artiste et la législation sur les contrats qui ne protègent pas suffisamment leurs droits face aux firmes qui exploitent commercialement leurs œuvres.
 
Dans le cadre d’une relocalisation industrielle au service des usagers plutôt que des consommateurs, comment utiliseriez-vous les opportunités offertes par les FabLabs aux coopératives locales ?

Pouvoir fabriquer des objets à volonté et pratiquement « à domicile » est une véritable révolution. Installer un FabLab dans chaque quartier favorisera la créativité personnelle, l’autonomie des petits collectifs et les circuits ultra-courts. Avec la philosophie contributive qu’ils partagent avec les logiciels libres, les Fablabs seront à l’industrie ce que sont les Amap à l’agriculture : une alternative réaliste et écologiquement soutenable face aux insoutenables modèles encore dominants.

Propos recueillis par Emmanuel Dessendier et Anita Rozenholc

Parti de Gauche
"Le numérique sera un des outil de la révolution citoyenne"

EcoRev’ - Selon vous, comment le numérique pourrait-il contribuer fortement à la rénovation de l’espace public ?

Martine Billard (co-présidente du Parti de Gauche) - Il me semble que le numérique contribue déjà largement à modifier l’espace public. On peut avoir accès à une quantité phénoménale d’information, améliorer la participation aux débats citoyens, investir les lieux de décision politique. Surtout, l’accessibilité et la vitesse de circulation de l’information de l’outil numérique ont permis un degré d’expression directe en contournant les schémas habituels d’expression et de partage des savoirs. D’une certaine manière, il a rendu possible l’expression de tous les sans-culottes. C’est un outil puissant contre la pensée dominante !

L’exemple récent le plus intéressant est celui des révolutions arabes. Les Tunisiens et les Égyptiens ont su mobiliser l’outil numérique comme moyen de ralliement face aux détenteurs du pouvoirs, aux médias aux ordres et à la police omniprésente. C’est pour cela qu’Internet a été coupé avant que la répression vise les places occupées ! De même en Chine, Internet permet la diffusion d’informations et de revendications qui ne trouveraient aucun autre canal pour toucher un public aussi large. La jeunesse éduquée de tous les pays s’est emparée d’Internet comme outil de contournement des pouvoirs en place et de mobilisation. En réaction, toutes les oligarchies s’inquiètent de ce nouvel espace de liberté qui échappe à leur contrôle.

Le rôle du politique est de comprendre l’outil numérique comme facilitateur de démocratie et de lui donner les moyens de jouer pleinement son rôle. Il faut donc d’abord le démocratiser largement. La multiplication des points d’accès, la gratuité des usages de base ne sont pas suffisants. Il faut pouvoir empêcher toute forme d’exclusion sociale et de discrimination. Cela passe par l’apprentissage des outils. Enfin, Internet doit être un espace de liberté, donc protégé de ceux qui voudraient le contrôler, le soumettre aux intérêts privés, ou en faire un vaste centre commercial.

Désormais, des sites permettent de rendre contrôlable le travail des élus, par exemple Regards Citoyens, et c’est une bonne chose pour la démocratie. Les nouveaux médias en ligne permettent une pluralité d’information mise à mal par l’emprise des grands groupes sur les médias traditionnels. Le développement d’une information citoyenne comme celle du Bondyblog y contribue également.

Comment comptez-vous utiliser le numérique pour mobiliser les électeurs pour 2012 et éviter l’abstention ? Utiliserez-vous un langage particulier ?

Les médias ont formé aujourd’hui un espace qui est largement dominé par le divertissement. Les émissions politiques, notamment à la télévision, ne sont plus que des arènes où l’on réagit sur ce qu’a dit untel ou unetelle, mais où les programmes politiques et les idées disparaissent petit à petit. Cela décrédibilise le politique et participe à la démobilisation de l’électorat.

A l’inverse, la grande leçon de la bataille contre le Traité Constitutionnel Européen de 2005 a été de montrer ce que les citoyens et les militants ont été capables de produire ensemble comme argumentaires, propositions, comme savoir collectif. La campagne du Front de Gauche sera à cette image. Le web mais aussi les meetings, les assemblées citoyennes du Front de Gauche comme les comités thématiques ou sectoriels rentrent dans un large système que nous constituons comme un espace collectif conscient, réactif et créatif.

La question n’est donc pas tant de savoir quel langage utiliser, que de permettre à toutes celles et tous ceux qui le souhaitent de s’emparer de la campagne du Front de Gauche. C’est ainsi que la contribution du Parti de Gauche au Programme populaire partagé du Front de Gauche est entièrement accessible sur Internet et discutable via un outil wiki. Le numérique sera donc un des outils de la révolution citoyenne que j’appelle de mes vœux car il permettra l’intelligence collective contre l’institutionnalisation de la pensée dominante.

En admettant que le numérique soit amené à plus ou moins long terme à complètement réorganiser la société – au même titre que l’imprimerie en son temps – quelles seraient les grandes lignes de vos propositions pour organiser au mieux la période de transition dans les secteurs suivants :

– économiques et sociaux (les modes de production, l’énergie, la recherche, la santé, la formation, la culture, les services publics, etc.)

Pour garantir un accès égal à tous quel que soit son lieu ou son niveau de vie, nous ferons appel au service public – avec le retour de France Télécom dans le giron public par exemple, afin de sortir de la logique où l’accès libre, illimité et rapide est réservé aux plus riches. Ce service public aura en charge la gratuité des usages de base pour tous et l’égal accès au réseau très haut débit sur le territoire.
Tous les secteurs – recherche, énergie, éducation, santé, industries – sont impactés par le numérique parce qu’il permet à la coopération et à l’accès libre de percuter la concurrence et la privatisation des connaissances. Les échanges pair-à-pair sont un bon exemple de la construction coopérative dans le domaine de la recherche. Il est donc question pour nous de les encourager et surtout pas de les interdire. Le numérique facilite la production d’énergie décentralisée, la recherche collective et l’innovation. Il faut que le politique multiplie ces lieux de productions et d’échanges collectifs et rende les données publiques et libres d’utilisation.
Le débat sur les droits d’auteurs et la création artistique nous semble devoir articuler réflexions économiques, sociales et juridiques. Il ne peut également se limiter au seul débat du numérique face à la précarité des intermittents. Mais il constitue une nouvelle révolution technologique comme à l’époque l’introduction de la radiodiffusion puis de la télévision. La rémunération de la création artistique doit donc s’adapter. Puisque ce sont les opérateurs de téléphonie mobile et d’accès à Internet qui en tirent le plus profit, il est normal qu’ils participent au financement de la création par une redevance qui viendrait alimenter un fond spécifique dédié à la création.
Enfin, beaucoup des mesures que nous proposons sont contraires à la logique de l’Europe libérale qui impose une vision contraire à celle de l’intérêt général. Notre projet repose donc sur la désobéissance à nombre de directives comme la directive services, ou la ratification du traité Acta.

- techniques (accès Internet haut débit, fracture numérique, logiciels libres, etc.)

Nous serons très attentifs à ce que l’accès de tous au numérique ne conduise pas à une saturation par des ondes électromagnétiques de notre environnement, dangereuses pour la santé, via la multiplication notamment du Wi-Fi. A ce titre, nous sommes favorables, comme de nombreuses associations, à la limitation des seuils d’émissions et au recours à la fibre optique toutes les fois où c’est possible.

Ensuite, à l’inverse du traité Acta par exemple, nous proposons de faire reconnaître par la loi le copyleft et toute la gamme des licences alternatives de type Creative commons. Nous voulons aussi privilégier les logiciels libres contre les logiciels propriétaires détenus par quelques monopoles privés, et en premier dans les collectivités et les administrations qui ont le devoir d’exemple. Les politiques publiques doivent favoriser le développement des entreprises travaillant dans ce sens plutôt que de soutenir les multinationales.

- juridiques (droits d’auteurs, neutralité du réseau, vie privée, etc.)

En 2012, la droite aura gouverné en France pendant 10 ans. Il faudra commencer par abroger les lois liberticides que sont DADVSI, HADOPI 1 et 2 et contre lesquelles nous avons mené des batailles acharnées.

Il faudra aussi, y compris contre l’Europe libérale, garantir la neutralité du Net. Cela passe par la limitation du droit des fournisseurs d’accès à être fournisseurs de contenu et par l’interdiction des discriminations des flux transitant par leurs réseaux. Mais au delà de ces mesures à prendre, il faut bien mesurer l’enjeu de société que recoupe la neutralité du réseau. Le refus de la marchandisation et la défense d’un idéal démocratique exigeant passent par là.

Dans le cadre d’une relocalisation industrielle au service des usagers plutôt que des consommateurs, comment utiliseriez-vous les opportunités offertes par les FabLabs aux coopératives locales ?
 
La relocalisation de la production en France est un aspect central du programme du Front de Gauche. Nous voulons sortir du capitalisme fou et du productivisme qui exploite les travailleurs et l’écosystème humain. L’intérêt général commande donc de revenir à une production localisée, à des circuits limitant les intermédiaires et prenant en compte tant les réalités sociales qu’écologiques. Il faut combattre l’obsolescence programmée des produits, leur remplacement plutôt que leur réparation. Les choix technologiques doivent aussi être orientés par la moindre consommation d’énergie.

Plus largement, comment mettre le numérique au service de la mobilisation de l’intelligence collective, matière première de la révolution citoyenne ?

D’une façon générale, il faut que le numérique puisse prendre pleinement son essor en tant que support d’émancipation, d’apprentissage, de création de savoirs collectifs. En démocratiser l’usage c’est le rendre accessible autant qu’apprendre à s’en servir. Nous avons donc la responsabilité d’enseigner l’usage du numérique à nos enfants en leur ouvrant l’univers des possibles de cet outil bien plus qu’en se contentant de leur montrer la seule surface des choses par la bureautique ou la navigation sur Internet. Et même dans ces domaines où ils apprennent vite en autodidactes, la formation à la recherche de manière structurée, au regard critique sur l’information recueillie et à l’appropriation des données reste indispensable. Notre rapport à la technique ne peut rester purement consumériste, ou de l’ordre de la fascination. Il en va des technologies numériques comme de l’ensemble des sciences et techniques : c’est un regard citoyen qu’il est nécessaire de construire, avec une appropriation des enjeux et des choix d’orientation décidés démocratiquement.

Propos recueillis par Emmanuel Dessendier et Anita Rozenholc