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dossier : enfermement de la misère, misère de l’enfermement

"Enfermement de la misère, Misère de l’enfermement", ce titre sous son apparente simplicité, tend à délimiter le parcours d’un questionnement sur la fonction carcérale aujourd’hui. Pourquoi mettre en question cette institution qui ne se rappelle à nous que sporadiquement à l’occasion d’un rapport, d’une évasion, d’une mutinerie ? Pourquoi et comment parler de cet obscur outil de la peine que nous tenons à distance, comme si, à trop le regarder, c’est notre propre image que nous pourrions y voir ?

La politique volontairement répressive du gouvernement et la redéfinition des illégalismes (L.Bonnelli, G.Chantraine) conduit à un accroissement sans précédent du nombre de détenus dans les prisons françaises. Ce sont aujourd’hui près de 60 000 détenus (pour un taux d’occupation moyen de 125%) dont 37% de prévenus qui, chaque jour, vivent le quotidien de l’incarcération, luttent contre la promiscuité, le bruit, la saleté, la violence comme le constate l’Observatoire International des Prisons dans son dernier rapport (entretien avec P.Marest).

Et ce sont les populations les plus fragilisées qui sont les plus incarcérées (L.Wacquant pour l’exemple des Etats-Unis). Comment ignorer que près des deux tiers des entrants sont sans emploi et ont un niveau d’instruction primaire, qu’un tiers déclarent une utilisation prolongée et régulière de drogue, et plus de la moitié souffrent d’au moins un trouble psychiatrique ? Comment ne pas s’interroger sur la sur-représentation des étrangers dans nos prisons, qui pour un simple défaut de papiers, sont criminalisés et enfermés (C.Boe) ? Comment ne pas s’indigner devant une surpopulation et une précarisation implacable qui ne font qu’entraîner une dégradation des conditions de détention dans tous les domaines de la vie carcérale, au mépris des droits de tout individu : destruction lente des liens familiaux, hygiène déplorable, non accès aux soins, non prise en charge des toxicomanies, pas d’accès à un emploi, ni à une formation, ni à une véritable aide à la sortie (A-M.Marchetti, A-S.Rousset) ?

Plus que jamais, la prison semble constituer l’instrument d’exclusion et de défense sociale de nos sociétés, une "gestionnaire du risque" (G.Chantraine, L.Bonelli). Dans notre société où prime les possessions, ceux qui ne possèdent rien ou presque rien (travail, capital social, culturel, économique) deviennent rapidement dangereux et sont désignés comme tels. Et malgré ces constats, la prison continue à faire partie de nos certitudes, seule, unique, indépassable. Jusqu’où notre société acceptera t-elle d’aller dans cette inflation carcérale ? Quand estimera t-on "qu’assez est assez" ?

Oui, il est urgent de déconstruire ces certitudes, de relire M.Foucault (entretien avec F.Boullant). Urgent de rappeler que la prison ne se réduit pas à une technologie du pouvoir mais qu’elle incarne et traduit des normes, une construction culturelle, une façon de penser les déviances, une façon de penser les individus.

La rédaction