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Parution du n° 46 - Aux frontières de la mondialisation
jeudi 16 août 2018, par
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« Penser global, agir local ». Si pour bon nombre de militants écologistes, ce slogan est indissociable et caractéristique de leur engagement, son origine, son cheminement au sein et en dehors des cercles militants et l’histoire des différentes stratégies qu’il sous-tend, nous éclaire à la fois sur sa pertinence toujours actuelle et sur ses limites. L’article de Willy Gianinazzi qui ouvre le dossier met ainsi en lumière les possibles stratégies de l’écologie politique qui nous intéressent et qui ne se laissent pas enfermer dans une simple formule.
En effet, s’il peut être tentant de percevoir la reprise de ce slogan comme une victoire idéologique de l’écologie politique – rendant désormais impensable à toute politique sérieuse de postuler que global et local puissent être déconnectés –, il faut avant tout admettre que le capitalisme mondialisé a une longueur d’avance sur cette nécessité de faire système à l’échelle mondiale, se jouant de toutes frontières (institutionnelles, culturelles et politiques), en les reconfigurant en permanence au gré de ses besoins, avec pour conséquences immédiates des dégâts sociaux et environnementaux toujours plus désastreux. Si, comme le souligne Dominique Plihon dans l’entretien avec Alice Sternberg, l’articulation du local et du global est aujourd’hui très bien mise en œuvre par le capitalisme dans le but d’optimiser les rendements financiers, comment résiste-t-on dès lors à la tentation de rejeter cette articulation en prenant le risque de se retrouver sur les mêmes lignes politiques de repli que les mouvements réactionnaires – nationalistes et identitaires – qui fleurissent à travers le monde ?
Si pour cela, il convient de requestionner, redéfinir et enrichir les catégories de local et de global, il nous semble à ce titre incontournable de savoir d’abord de quel contexte politique nous partons : un contexte qui, adossé systématiquement à la mondialisation capitaliste, brouille très souvent les pistes quant aux possibilités de la dépasser. C’est ici que l’article de Jean Zin pose un cadre politique pertinent : le dépassement du capitalisme mondialisé ne peut être une utopie isolée, il doit « s’intégrer dans un mouvement mondial fédérant les initiatives et les communs, mettant en place des réseaux alternatifs ». Pour cela, « au lieu de prendre une perspective utopique lointaine pour une bonne raison de ne rien faire maintenant », il vaut mieux « reconnaître notre situation désespérée pour agir sans tarder localement, poser les premières pierres de la fondation d’un système plus écologique exploitant tout le potentiel du numérique ». Or, contrairement aux visées réactionnaires et xénophobes, aux « paradis fiscaux » et autres « zonages » du capitalisme mondialisé, « le local n’a pas besoin de frontières et nous laisse une grande autonomie pour gérer notre territoire et y organiser des circuits courts ou le développement humain ».
Se pose alors la question de savoir ce que sont ces frontières considérées par les tenants comme par les opposants de cette mondialisation capitaliste ?
En partant de ce questionnement, nous sommes allés à la rencontre d’auteurs d’ouvrages récents – Alain Deneault, Claude Serfati et Ghassan Hage – qui nous offrent de nombreuses clés d’analyse. Dans cette même optique, nous reproduisons une communication inédite en français de Giorgio Agamben, qui fait elle-même écho à un texte de Gilles Deleuze figurant dans la rubrique « Classiques ». Tous ces auteurs s’interrogent sur quelques questions essentielles, parmi lesquelles :
- Qui gouverne et oriente le capitalisme mondialisé ?
- Qui en est le gendarme et le bras armé ?
- Quels en sont les mécanismes de contrôle social ? Son ordre disciplinaire d’exception est-il destiné à se muer en régime ordinaire ?
- Comment se déploie culturellement sa domination ?
Si toutes ces questions et leurs réponses peuvent être anxiogènes en donnant l’impression qu’une logique implacable est à l’œuvre, nous postulons avec André Gorz qu’elles circonscrivent en fait le problème en mettant en lumière les « misères du présent » et dessinent en creux la possibilité de mettre en œuvre l’écologie politique à la mesure des enjeux d’une sortie civilisée du capitalisme : à l’échelle mondiale donc…
Dès lors, l’article de Jérôme Baschet et celui d’Anita Rozenholc et Emmanuel Dessendier qui referment ce dossier, tout comme celui classique de Murray Bookchin et ceux de la rubrique « Kit militant », déclinent autant de pistes de réflexion et d’action pour nous aider à cartographier de toute urgence une autre mondialisation. Une altermondialisation capable, en s’appuyant sur « une autre économie, d’autres rapports sociaux, d’autres modes et moyens de production et modes de vie », d’opposer au capitalisme une tendance à la « multiplicité de mondes », à la création d’espaces libérés (de type zapatiste, zadiste et « métropolitain »), gérés « par des éco-communautés localement situées, mais convergentes – et possiblement interconnectées – dans leur effort d’autonomie et de mise en commun. »
La rédaction