Accueil > Les dossiers > De l’automne 2002 à l’été 2003, du n° 10 au 13 > N° 13 (été 2003) / vivre et consommer autrement > dossier : vivre et consommer autrement > De la gratuité partielle à la gratuité totale - Mouvements de précaires et (...)

De la gratuité partielle à la gratuité totale - Mouvements de précaires et anarchistes

juin 2003, par Bureau d’études

En France, le mouvement des chômeurs et précaires est riche en actions revendiquant la
gratuité de certains biens et services. Actions en direction d’EDF-GDF pour réclamer la fin
des coupures (autrement dit, si on ne peut pas payer, l’accès à l’électricité et au gaz doit
être assuré) ; actions Transports Gratuits Voyageurs (réquisition de trains pour les
déplacements massifs, refus de payer les billets, carte AC !) ; opérations "caddies" au cours
desquelles les précaires envahissent les grandes surfaces pour se réapproprier des biens de
consommation fondamentaux ; actions contre la taxe d’habitation qui sont des ébauches de demandes de logements gratuits ; etc.
De même, en Italie, le Mouvement des invisibles regroupe des chômeurs et précaires dont les revendications portent sur la conquête d’un revenu qui se décline sur deux niveaux : d’une part, une partie monétaire (revenu d’existence) ; de l’autre, l’accès gratuit ou fortement réduit au logement, à la santé, à la formation permanente, aux transports et autres fluides (électricité, gaz, téléphone), à la culture et au divertissement. Leur revendication concerne également la liberté de circulation pour tous et donc la fermeture des Centres de détention administrative des Sans papiers.
Le Collectif sans ticket (Belgique) a mis en œuvre la gratuité des transports et la liberté de circulation, c’est-à-dire la possibilité de voyager en groupe gratuitement lors de manifestations et autres événements, la possibilité de voyager individuellement à des conditions accessibles aux plus précarisés de notre société, ainsi que l’ouverture d’un débat public sur la mobilité en général, celle de tous les sans comme des autres.
Différents squats s’inscrivant dans une filiation proudhonienne visent à la généralisation du droit de possession sur le droit de propriété. Proudhon distingue en effet entre possession (le fait d’habiter un endroit) et propriété (posséder un logement en l’utilisant pour faire du profit). La possession ou usage est la source de création de biens. En effet, c’est l’usage d’une terre agricole qui permet de produire des légumes et c’est l’usage d’un bâtiment (et non sa propriété) qui en détermine l’utilité individuelle ou sociale.
Dans un même esprit, le Mouvement des Sans Terres au Brésil s’est développé pour mettre fin à une injustice : 1 % des propriétaires possèdent plus de 40 % des terres, mais n’en exploitent qu’à peine 15 %. Le reste étant conservé dans un but spéculatif. Parallèlement, plus de 10 millions de paysans ne possèdent toujours pas de terre, alors que la réforme agraire qui impose la redistribution des terres non exploitées est inscrite à la Constitution brésilienne de 1946. De nuit, des dizaines ou des centaines de paysans sans terre s’installent sur des terres laissées en friche. Ils édifient en quelques heures des campements de fortune dans lesquels ils s’installent au nez et à la barbe des autorités. En 1995, 140 000 familles étaient installées sur 7 millions d’hectares légalement expropriés.

(…) Un magasin pillé, c’est un ensemble de gens qui prennent ce dont ils ont besoin là où cela se trouve, en court-circuitant le processus marchand, en niant la valeur marchande des objets pour leur reconnaître une valeur utilitaire. C’est l’affirmation de la gratuité contre le commerce, du vol comme mode de protestation politique et moyen de vivre décemment dans un monde où rien n’est accessible sans argent, pas même la satisfaction de ses besoins vitaux. Un mur tagué est vu comme un petit espace urbain ré-approprié, comme une attaque contre les surfaces grises, mornes et asceptisées. Une façade devient alors un lieu d’expression vivant et coloré, donnant la parole à ceux et celles qui en sont d’ordinaire dépourvu-e-s. L’impact visuel d’un slogan écrit sur un mur à la bombe rivalise avec celui du panneau publicitaire, de l’affiche officielle ou du spot télé qui s’imposent comme uniques modes d’information et d’expression. Ces moments d’action contribuent à la création momentanée de situations où tout semble possible, où l’ordre bascule, où la ville semble "libérée" en certains points. Ces "zones autonomes temporaires" laissent entrevoir aux gens le fait qu’autre chose est possible.