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SIDA et Brevet : la guerre aux pauvres est déclarée

2004

À l’initiative d’Act-Up Paris et du Réseau Médicaments et Développement (ReMeD), un sommet international pour l’accès aux génériques est en préparation [1]. Après la première victoire du procès abandonné de Pretoria l’enjeu de ce sommet est essentiel : pour que les malades du Sud accèdent aux traitements anti-VIH, il faut changer les règles internationales sur les brevets imposés dans le cadre de l’OMC afin de permettre aux pays du Sud de produire des génériques à bas prix.

La mortalité due au SIDA a chuté de manière spectaculaire en Europe et en Amérique du Nord depuis l’introduction des trithérapies en 1996, au point de semer l’illusion dangereuse que nous en avions fini avec cette maladie. Ces succès en occident ont une face sombre : l’oubli et le désintérêt pour la catastrophe que représente le SIDA pour les pays du Sud et l’Afrique sub-saharienne en particulier.

Afrique : une hécatombe silencieuse !

Le nombre de décès dus au SIDA en Afrique dépassera bientôt le nombre de victimes - 20 millions - de l’épidémie de peste qui a ravagé l’Europe au XIVe siècle. En 2000, 2,4 millions de personnes sont mortes du SIDA en Afrique sub-saharienne (640 millions d’habitants), ce qui représente 80% des décès causés par cette maladie.

Et le pire est sans doute à venir puisque sur le continent africain vivent aujourd’hui 22 millions de personnes séropositives. Dans certains pays d’Afrique noire, le SIDA est en train de détruire la société et d’emporter tout espoir de développement : en Côte d’Ivoire, 5% de la population est séropositive, 10% en République Sud-africaine et 12,5% au Zimbabwe...

Cette hécatombe se déroule dans l’indifférence la plus totale tant l’opinion publique en Occident paraît s’être accoutumée à l’idée de voir sombrer l’Afrique dans les catastrophes.

Une catastrophe naturelle ?

Au Nord, l’épidémie a été enrayée par la combinaison des campagnes de prévention, de l’accès aux traitements pour tous et de la mobilisation des malades et de la société civile. Tout cela doit être possible au Sud.

Aujourd’hui, les États du Sud ne peuvent accéder aux traitements anti-SIDA aux prix pratiqués par les laboratoires pharmaceutiques occidentaux. À titre d’exemple : au prix actuel des trithérapies (en prenant pour base la moyenne de 12 000 $/an/patient), le Zimbabwe devrait consacrer 18 milliards de $ au traitement de sa population séropositive soit 265% de son PNB.

Résultat, sur 22 millions de séropositifs en Afrique, seuls 10 000 sont traités par trithérapie !

Le Brésil s’est lancé en 1998 dans la production locale de médicaments génériques - copies de médicaments produits par les laboratoires au Nord - afin de rendre possible la distribution gratuite de traitements contre le VIH. Les résultats sont spectaculaires et ont été salués par l’ONUSIDA et l’OMS : 90 000 malades brésiliens (sur 500 000 séropositifs) bénéficient de ces traitements, la mortalité due au SIDA a été réduite de moitié et le gouvernement brésilien a économisé entre 1997 et 1999 l’équivalent de 422 millions de $ d’hospitalisation et de soins médicaux. L’accès généralisé aux soins s’est en outre traduit par une réelle mobilisation sociale pour endiguer l’épidémie. En 1994, un rapport de la Banque mondiale prévoyait que le Brésil compterait 1,2 millions de séropositifs en 2000. Il y en a aujourd’hui moins de la moitié. L’exemple du Brésil montre que le tiers-monde peut contrôler l’épidémie de SIDA .

La République Sud-africaine a adopté en 1997 une loi qui doit lui permettre de suivre cette voie en recourant à l’importation de médicaments génériques. Mais ces deux États sont aujourd’hui la cible du gouvernement américain et des laboratoires pharmaceutiques qui leur reprochent de violer les accords internationaux sur les brevets : les USA ont déposé en février une plainte à l’Organisation Mondiale du Commerce contre le Brésil et 39 laboratoires pharmaceutiques ont porté plainte contre l’état Sud-africain... La guerre aux pauvres est déclarée ! Sous la pression d’une vaste campagne menée dans l’opinion publique, les laboratoires ont finalement battu en retraite et ont retiré leur plainte à Prétoria. Les militants, les malades et le gouvernement sud-africain ont crié victoire. C’en est indéniablement une, mais une longue bataille reste à mener pour gagner l’égal accès aux soins.

Laboratoires pharmaceutiques : une santé insolente !

Parmi les groupes qui avaient engagé des poursuites judiciaires contre l’Afrique du Sud, le groupe GlaxoSmithKline, n°1 mondial du secteur, a déclaré un bénéfice de 8 878 milliards d’euros en 2000, en hausse de 13% ; le groupe Aventis a annoncé le 2 mars une hausse de 63% de son bénéfice net en 2000 soit 1,126 milliard d’euros ; les laboratoires Roche annoncent un bénéfice net de 8,6 milliards de francs suisses (+50%).
Le montant des bénéfices de Glaxo équivaut au PIB du Sénégal et la vente de médicaments anti-VIH a rapporté à ce groupe en 2000 autant que le PIB du Tchad soit 1,6 milliards de $.

Ces firmes géantes, qui justifient le prix élevé de leurs produits par les coûts de la recherche consacrent en réalité autant de fonds au marketing qu’à l’innovation - respectivement 11,3% et 14% du chiffre d’affaires pour les laboratoires français [2].

L’industrie pharmaceutique forme un puissant lobby qui influe fortement sur la politique des États. Aux États-Unis, le Pharmaceutical Research and Manufacturers of America a consacré 20 millions de $ (140 millions de francs) à la campagne électorale de Georges W. Bush et salarie 297 lobbyistes au chevet du Congrès à Washington… C’est sous la pression de ce lobby que le gouvernement américain a porté plainte devant l’OMC contre le Brésil. En Europe, la pression du lobby pharmaceutique paraît moins forte : l’UE après avoir pris fait et cause pour les labos les appelle à moduler leurs prix pour pouvoir défendre le régime international des brevets (cette position est également celle de Jospin qui l’a exprimée dans son discours sur la mondialisation lors de son voyage au Brésil).

Une politique cynique

À cette demande Bernard Lemoine, directeur du Syndicat National de l’Industrie Pharmaceutique, répond : "Je ne vois pas pourquoi on exigerait de l’industrie pharmaceutique des efforts spécifiques. Personne ne demande à Renault de donner des voitures à ceux qui n’en ont pas !" Cette formule résume bien le cynisme des industriels de la pharmacie face aux besoins des États du Sud et la nécessité absolue pour ces derniers de recourir aux génériques pour contourner le pouvoir sans partage des industries du Nord.

En effet, les réductions de prix qui ont été annoncés par certains laboratoires sont un leurre car comme le dénonce le président de Treatment Action Campaign (une ONG Sud-africaine) "ces offres de baisser les prix ne sont accompagnées d’aucun cadre légal qui empêcherait ces laboratoires, une fois qu’ils tiendraient le marché, de réviser à la hausse les tarifs". Ainsi, "Malgré l’annonce fracassante faite par 5 laboratoires en mai dernier en partenariat avec l’ONUSIDA, les seules réductions tarifaires consenties concernent un nombre limité de molécules pour quelques centaines de malades dans 3 pays (Sénégal, Ouganda, bientôt le Rwanda) pour une durée limitée (5 ans)" [3].

La seule issue pour les pays du Sud est de briser la situation de monopole des grands laboratoires pharmaceutiques du Nord : ces États doivent gagner le droit de produire localement ou d’importer des médicaments génériques.

Brevets : l’OMC dicte sa loi

En 1994, à la naissance de l’OMC ont été adoptés les accords sur les ADPIC ("Aspects des droits de
propriété intellectuelle relatifs au commerce", TRIPS en anglais). Tous les États membres se sont engagés à mettre leurs législations en accord avec ces règles internationales au plus tard en 2006 sous peine de sanctions économiques. Ces accords obligent les États à accorder des brevets protégeant les médicaments pour une durée de 20 ans.

Cette uniformisation de la législation sur les brevets est une arme des grands groupes pharmaceutiques du Nord contre les industries locales qu’ont développés certains pays du Sud. L’extension du droit de propriété intellectuelle inscrit dans les accords ADPIC se traduit aujourd’hui par une privatisation des connaissances et un véritable pillage des ressources intellectuelles du Sud. L’extension du droit de propriété intellectuelle, justifiée par la nécessité de rentabiliser des recherches coûteuses, est en fait une véritable entrave au progrès scientifique qui se construit nécessairement sur le partage des connaissances.

Les accords ADPIC prévoient cependant des clauses d’exception : en cas d’urgence sanitaire ou d’entraves à la concurrence (refus de vente du détenteur du brevet ou prix trop élevés), les États ont la possibilité de recourir aux "licences obligatoires" et aux "importations parallèles" :

– On parle de "licence obligatoire" quand un gouvernement émet d’office une licence d’exploitation d’un brevet, autorisant la production, la vente et l’importation d’un produit sans la permission du détenteur du brevet.

– Les importations sont dites "parallèles" dans le cas où un état importe un produit qui est protégé par un brevet auprès d’un pays tiers où il est moins cher plutôt qu’auprès du propriétaire du brevet.

La loi brésilienne sur les brevets prévoit que si un produit breveté n’est pas fabriqué localement dans les trois ans suivant le dépôt du brevet, le gouvernement peut accorder une licence obligatoire à un producteur local. C’est pour faire annuler cette clause que les Etats-Unis ont déposé le 8 janvier un recours devant la commission des litiges de l’OMC.

En 1997, l’Afrique du Sud a adopté une loi sur les médicaments dont un article prévoit le recours aux importations de génériques. C’est pour faire invalider cette disposition que l’Association de l’Industrie pharmaceutiques d’Afrique du Sud et 39 laboratoires attaquaient le gouvernement Sud-africain en justice.

C’est contre la mise en œuvre des mesures d’exception pourtant prévues dans les accords ADPIC que les multinationales de la pharmacie et les USA sont entrés en guerre. Pour les États du Sud pourtant, le terme "d’urgence sanitaire" est depuis longtemps un euphémisme ! Les médicaments ne sont pas une marchandise comme les autres : aujourd’hui la réglementation internationale sur les brevets condamne des millions de malades au Sud. Ne laissons pas l’Organisation Mondiale du Commerce dicter les politiques de santé publique.

Pierre André et Collectif Copy=Right

Le collectif Copy=Right Lyon, soutenu par Act-Up Lyon et ATTAC-Rhône, relaie localement la campagne internationale Copy=Right initiée entre autre par Act-Up Paris, Act-Up Philadelphie et ReMed.
(contact : Copyright Lyon c/o ATTAC Rhône. ESGC 44 rue St Georges. 69 005 Lyon)


[1Ce sommet devait se tenir en mai 2001 à Ouagadougou et a dû être reporté. Il rassemblera des associations de personnes atteintes engagées pour l’accès aux traitements dans plus d’une trentaine de pays, majoritairement africains. A l’issue du sommet, les acteurs de terrain inviteront les bailleurs de fonds internationaux et les responsables politiques à prendre des mesures concrètes afin que cette initiative débouche au plus vite sur une disponibilité effective des génériques dans les pays du Sud. Le sommet est organisé par : Act-Up Paris, ReMed (réseau international de professionnels qui a pour but d’améliorer la disponibilité, la qualité et le bon usage des médicaments notamment en Afrique), Act-Up Philadelphia, ANSS (Association nationale de personnes atteintes du Burundi), Comité Burkinabé (comité formé au Burkina Faso pour participer à l’organisation du sommet), Health Action International (réseau international composé de plus de 180 associations), Health GAP (coalition d’associations américaines impliquées dans la lutte contre l’inégalité d’accès à la santé entre le Nord et le Sud), Médecin Sans Frontières, Oxfam (Organisation pour le développement et la mise en œuvre de solutions durables pour la souffrance et la pauvreté dans le monde), Planet Africa (People living with Aids NETwork : réseau visant à faciliter les échanges entres les associations de malades de différents pays d’Afrique), Renaissance Santé Bouake (association de personnes atteintes de Côte d’Ivoire), RAP+ (Réseau Africain de Personnes séropositives), Treatment Action Campaign (association de personnes atteintes d’Afrique du Sud qui milite pour l’accès aux traitements), WOFAK (Women Fighting Aids in Kenya).

[2(2) L’industrie pharmaceutique : réalités économiques 1999, document édité par le Syndicat national de l’industrie pharamaceutique.

[3Action, n°72.Mars 2001.