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Pour l’économie, le retour de l’espoir, ce n’est pas rien...

vendredi 13 mai 2005, par Bernard Guibert

Un bilan d’une politique économique est toujours un exercice difficile car il faut faire la part des choses entre les facteurs exogènes et la résultante de la politique économique. Bernard Guibert, responsable de la commission économie des Verts, s’exerce à cette tâche. Bien que tirant un bilan mi-figue mi-raisin, son optimisme l’emporte et il termine sa réflexion en proposant une stratégie d’action politique.

La relecture du texte politique commun entre les Verts et le Parti Socialiste de janvier 1997 provoque une véritable désillusion. Et encore se limite-t-on ici aux seuls volets économiques et sociaux. Mais si les objectifs qui avaient été fixés alors sont loin d’avoir été atteints, les conditions sociales et idéologiques pour les atteindre semblent à portée de la main, ce qui manifeste une révolution invisible des mentalités absolument extraordinaire.

Je ne ferai pas un bilan exhaustif. Je me contenterai de privilégier trois dossiers :

– la lutte contre le chômage et l’exclusion, la réduction du temps de travail, la prétendue "refondation sociale" et l’ambition du retour au plein-emploi ;

– la réforme de la fiscalité, la réconciliation avec le service public et la promotion du tiers secteur ;

– la lutte internationale de plus en plus souvent victorieuse contre la mondialisation libérale.

I. La lutte contre le chômage et l’exclusion, la réduction du temps de travail, la prétendue "refondation sociale" et l’ambition du retour au plein-emploi

Il s’agissait de combattre le chômage et l’exclusion par un ensemble législatif cohérent portant sur la durée du travail, la durée de la vie active et les formes de garanties dépassant le contrat salarial. Certes on a mis en œuvre une loi sur les 35 heures. Mais on devait ouvrir des négociations pour passer aux 32 heures et à la semaine de quatre jours dans le cadre de la législature. Même la loi sur les 35 heures a du mal à s’étendre à l’ensemble des entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises qui emploient une grande partie de l’ensemble des salariés. En marquant le pas cette loi risque de consolider les tendances de notre société à devenir duale.

Certes les avancées sont à ce point probantes que la perspective du plein-emploi ne paraît plus relever de l’utopie inaccessible. Et l’effort particulier en faveur de l’emploi des jeunes (nouveaux services emplois jeunes : NSEJ) et les mesures actives pour favoriser l’emploi en abaissant les charges sur les bas salaires n’ont pas été pour rien, bien au contraire, dans la croissance spectaculaire de l’emploi ces trois dernières années (autant en trois ans que pendant les trente glorieuses). Mais ces résultats, d’après ce que reconnaît lui-même Jean Pisani-Ferry, sont essentiellement dus au retour de la croissance économique, et d’une croissance riche en emplois : sur dix emplois créés, six viennent de la croissance, et un et demi seulement viendraient de la réduction du temps de travail si l’on raisonne en moyenne sur trois ans. Mais en 2000, année exceptionnelle sans doute, c’est trois emplois sur dix qui seraient dus à la RTT. Qu’est-ce que ce serait si l’on étendait cette mesure aux PME !

Une part importante vient également de la réduction du coût du travail peu qualifié par réduction des cotisations sociales. Dans le langage des économistes les incitations financières semblent donc relativement efficaces pour diminuer le chômage "volontaire". Mais on sait qu’une grande partie du chômage de longue durée relève du chômage involontaire encore appelé chômage structurel. Faut-il renoncer à éradiquer ce chômage structurel, ce que Jacques Chirac a appelé en 1995 la "fracture sociale" ?

Maintenant que la conjoncture se dégrade que faut-il faire ? Si on ne veut pas baisser la garde par rapport à la réduction du chômage de longue durée et par rapport à la lutte contre l’exclusion, on peut craindre que les incitations financières ne soient pas suffisantes et qu’il faille plus de volontarisme et plus "d’huile de coude" et de soutien psychologique intense plutôt que quelques oboles financières. La controverse se développe à l’heure actuelle. Mais ce qui est radicalement nouveau c’est qu’on ne croit plus "qu’on a tout essayé".

II. La réforme de la fiscalité, la réconciliation avec le service public et la promotion du tiers secteur

A - La combinaison de l’IRPP et de la CSG pour introduire une progressivité dans la fiscalité sur les revenus

Les accords de janvier 97 comprenaient également un volet ambitieux de réforme de la fiscalité qui intégrait la montée en régime de la fiscalité environnementale (les écotaxes), une intégration de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et une cotisation sociale généralisée (CSG) rendue progressive du côté des ménages. Du côté des employeurs il était prévu de jouer sur la TVA et les cotisations sociales. On se souvient que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) est devenue une peau de chagrin.

Là encore nous sommes à la croisée des chemins : notre ministre des finances, Laurent Fabius, ne rêve que de baisser la fiscalité et en particulier la fiscalité sur le revenu des personnes physiques. Dans la conjoncture actuelle il avait un souci de justice sociale puisqu’il devait y avoir, grâce à la prime de retour à l’emploi, une augmentation du revenu des ménages modestes.

B - La controverse sur le taux marginal d’imposition sur les hauts revenus

Mais si on en croit les travaux de Thomas Piketty sur les très hauts revenus en longue période, il serait extrêmement dangereux d’imiter le modèle américain où un ciseau extraordinaire entre hauts et bas revenus restaure une économie de rentiers, celle qui était observée avant la guerre de 1914-1918, et qui était non seulement inique, mais en outre vampirisait et stérilisait la production de richesse. Selon ce chercheur, il convient de résister aux sirènes de ce capitalisme de rentiers débridé et de restaurer la progressivité et l’universalité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Cela impliquerait de revenir sur le mécanisme de l’avoir fiscal et sur la technique, non progressive, de taxation du bénéfice des sociétés et des entreprises de manière générale.
Les autres chantiers de la fiscalité, la fiscalité locale et notamment la taxe professionnelle, n’ont pas été ouverts.

C - La fiscalité écologique

Mais là encore il ne faut pas sous-estimer l’impact dans les imaginations de l’instauration de la taxe générale sur les activités polluantes et les différents rapports sur l’énergie et sur l’eau qui rencontrent un écho de plus en plus croissant dans l’opinion publique. À tel point que même la FNSEA et les hommes politiques de droite font semblant de reprendre à leur compte les principes fondamentaux de l’écologie politique, la nécessité de lutter contre le changement climatique, la nécessité d’appliquer le principe pollueur-payeur, notamment dans l’agriculture et dans le domaine de l’eau.

D - Le développement du tiers secteur

Bien sûr on a demandé à Alain Lipietz de faire un rapport sur le tiers secteur, on a créé le secrétariat d’État à l’économie solidaire et celui-ci a mis en chantier un projet de loi cadre sur le tiers secteur qui pourra peut-être être adopté en première lecture d’ici les prochaines échéances électorales.
C’est peut-être un peu tard. Et on ne sait pas là comme ailleurs si ce n’est pas trop tard par rapport à ces échéances.
Mais là encore il y a eu un intense travail au niveau des "représentations", un travail "symbolique" comme disent les psychanalystes, qui a légitimé un certain nombre d’entreprises. Le chemin avait été d’ailleurs en partie déblayé par les débats sur les "emplois de proximité" et l’opération "nouveaux services emplois jeunes" (NSEJ). Enfin ces problèmes ont été évoqués à nouveau au moment des élections municipales lorsqu’on a constaté partout qu’il était nécessaire de restaurer des services publics au niveau local. La montée de l’insécurité dans les quartiers et la nécessité d’améliorer les transports en commun en ville ont réhabilité la notion d’action publique et celle de services publics. Ce retour en grâce des deux composantes non marchandes de l’économie plurielle est une divine surprise qui devrait faciliter les développements ultérieurs du tiers secteur, même en cas de victoire de la droite.

E - La politique des revenus, les minima sociaux et le revenu social d’existence

Les accords de janvier 1997 avaient prévu de mettre en place une conférence nationale des salaires permettant de relancer la négociation sociale. Il était également prévu l’extension du revenu minimum d’insertion aux jeunes entre 18 et 25 ans. Sur ces deux points il n’y a pas eu d’avancée.
La question des retraites sur laquelle le gouvernement Juppé s’était fracassé, a suscité des controverses de telle sorte que le dossier a été remis à plus tard.
Il est vrai qu’entre-temps le patronat s’était lancé dans une vaste offensive idéologique appelée "la refondation sociale". La victoire à la Pyrrhus de la gauche plurielle a consisté à voir l’offensive patronale avorter.
C’est la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. À supposer d’ailleurs que la moitié pleine de la bouteille à moitié vide ne soit pas elle-même à moitié vide.

III. La nouvelle internationale contre la mondialisation libérale

Ces avancées sont "symboliques" au mauvais sens de ce mot. Mais d’autre part, il ne faut pas mépriser les aspects positifs du mot "symbolique". En effet nous avons vécu une révolution dans l’ordre de la légitimité des représentations. Souvenons-nous en effet que lors de l’hiver 1995 l’atmosphère était au désespoir. Aujourd’hui comme on dit la "confiance" est de nouveau de retour. Et même si cela ne se traduit pas de manière quantitative par des avancées extraordinaires, le climat a tellement changé qu’un certain nombre d’idées de l’écologie politique qui étaient considérées comme absolument utopiques paraissent désormais raisonnables.
Une des idées les plus importantes est sans doute que le plein-emploi n’est pas quelque chose d’inaccessible.
Les dates et les événements symboliques de cette révolution des mentalités sont peut-être la faillite des accords multilatéraux investissements (AMI), l’échec de la conférence de Seattle, le succès d’un mouvement comme ATTAC ou de la Confédération Paysanne.
L’événement inouï est que les jours de l’hégémonie de la pensée unique sont désormais comptés. Bien évidemment cette pensée a encore de beaux restes et les politiques économiques qui continueront à s’inspirer d’elle vont faire encore beaucoup de dégâts. Mais désormais les certitudes des gourous de la politique économique sont ébranlées.

Dans ce bouleversement des mentalités, est-ce que les alliances politiques de la gauche plurielle et en particulier les accords de janvier 97 sont pour quelque chose ? Dans la première période de gouvernement il y a eu un certain nombre de mesures spectaculaires comme l’abandon du projet de canal Rhin-Rhône et la fermeture de super Phœnix.
Mais si on reprend la chronologie des événements marquants, il faut bien reconnaître que c’est plus la société civile qui a été motrice que les formations politiques traditionnelles (parmi lesquelles, au sacrilège !, je compte les Verts) : cela a commencé avec les accords multilatéraux d’investissements (AMI), cela a continué avec le mouvement ATTAC et la lutte contre la mondialisation libérale.
D’autre part, il ne faut pas oublier que la force d’entraînement principale de cette période de croissance économique considérable qui a vu une résorption du chômage assez spectaculaire a été une croissance ininterrompue de l’économie américaine. Il ne faut pas pour autant faire chorus avec la droite en minimisant l’habileté et l’efficacité de la politique économique du gouvernement. Lorsqu’on compare la situation française à celle des autres pays en Europe, il y a tout lieu de se féliciter de la politique économique qui a été conduite dans notre pays. Mais justement on arrive à ce point où pour faire des progrès supplémentaires il faudrait que cette habileté ne soit pas cantonnée à un seul pays et soit reprise à l’échelle européenne.
Dans la mesure où le moteur de l’économie productiviste traditionnelle américaine s’essouffle, il convient de sortir des ambiguïtés précédentes et d’explorer sérieusement les alternatives à ce mode de croissance productiviste. Or la tendance spontanée du Parti Socialiste consiste à exercer une force de rappel vers un modèle de croissance productiviste classique, de telle sorte que l’ambition, que nous partageons tou-te-s de toute façon, de retrouver un plein-emploi de manière durable, passe pour lui (mais certes pas pour nous !) par la poursuite d’une croissance productiviste à un taux maximal. Si nous pensons que les solutions sont plutôt des modes de production alternatifs, il faut nous appuyer sur les forces qui au prix de nombreux tâtonnements explorent ces voies et nous mettre à leur service pour les mettre en œuvre.

Conclusions

Si on fait le bilan quantitatif des avancées en quatre années dans le domaine économique et social, de prime abord cela paraît assez faible. Mais le désespoir total n’est plus là. Comme dit le Petit Prince : "l’essentiel est invisible pour les yeux". Si nous nous souvenons du désespoir malgré lequel nous nous sommes révolté-e-s en novembre décembre 1995, alors la situation actuelle est extrêmement mobilisatrice. Les conditions sont réunies pour que nous puissions mettre en œuvre réellement une stratégie nationale de développement durable et faire partager cette stratégie par nos partenaires en Europe. Bien évidemment la condition nécessaire pour ce bond en avant en faveur de l’écologie politique est que la gauche plurielle gagne les élections l’année prochaine. Mais il faut que le Parti Socialiste comprenne que le succès de la gauche plurielle dépendra de la place qu’il accordera à nos idées. S’il les méconnaît un peu trop ou si, ce qui revient au même, nous sommes trop conciliant-e-s vis-à-vis de ses tentations en faveur du social libéralisme dans le but d’avoir une représentation parlementaire suffisante, nous sommes sûr-e-s de perdre les élections législatives.
(Entre parenthèses le calcul qui consiste à mettre de l’eau dans son vin en échange d’un certain nombre de circonscriptions réservées est un mauvais calcul. En effet les électeurs et électrices préféreront l’original du libéralisme à la copie socialiste et nous aurions perdu sur les deux tableaux, et notre âme, et nos postes de député-e-s.)
Mais même, ce qui me paraît malheureusement le plus probable, si nous perdions les élections, est-ce que nous retomberions dans le désespoir de 1995 ? Je ne le pense pas. Bien évidemment ce serait un contretemps tragique de plusieurs années dans la mise en œuvre de notre stratégie au service de l’écologie politique. Mais ce qui s’est passé depuis quatre ans nous montre que les capacités de résistance populaire sont restaurées et énergiques, de telle sorte que désormais l’espoir ne s’éteindra pas de sitôt et que le mouvement social continuera à enregistrer des succès, même si ces succès ne seront que défensifs et ne permettront pas une mise en œuvre positive de ses aspirations qui viennent de plus en plus coïncider avec les valeurs de l’écologie politique.