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Quelle politique d’immigration ? Bilan et propositions programmatiques

vendredi 13 mai 2005

La commission nationale immigration des Verts a été ces dernières années une des commissions les plus actives des Verts, tant par la qualité de sa réflexion collective que par son implication dans les luttes de sans-papiers et sur toutes les questions de citoyenneté. Nous reproduisons ici de larges extraits d’un texte bilan de cette commission, présenté lors du CNIR (le parlement des Verts) de juin dernier, entre bilan critique de la mandature et esquisse d’une autre politique de l’immigration.

Un bilan de la mandature

L’accord Vert-PS prévoyait, au chapitre démocratie et citoyenneté :
"Étendre les libertés individuelles des citoyens et des résidents étrangers : une nouvelle législation se substituera aux lois Pasqua en ré-instaurant notamment le droit de vivre en famille, le droit d’asile, le droit du sol. Favoriser l’intégration civique et sociale selon les principes de la laïcité républicaine. Examiner la situation des sans-papiers sur la base des propositions du comité des média-teurs, ouvrir la perspective du droit de vote des résidents étrangers aux élections locales."

La circulaire de régularisation du 24 juin 1997

Elle avait fait naître de grands espoirs chez les sans-papiers, d’autant que dans un premier temps les cartes de séjour furent généreusement attribuées. Mais il est très vite apparu que le gouvernement avait mal évalué le nombre des demandeurs et qu’il n’était pas capable d’assumer politiquement une régularisation massive. Si l’application de la circulaire a permis la régularisation de plusieurs dizaines de milliers de sans-papiers, le souci gouvernemental d’"équilibre" devait se traduire par la mise en œuvre d’une logique de quotas conduisant à des injustices flagrantes, d’autant que les agents de l’administration ont vite compris que le nouveau gouvernement ne reviendrait pas sur la logique d’arbitraire et de suspicion qui prévalait depuis 15 ans.

La loi Chevènement et sa mise en œuvre

En matière d’immigration, force est de constater la persistance d’une logique de contrôle policier et de dissuasion. Si la loi comportait quelques avancées et semblait rompre avec le postulat de l’immigration zéro, la logique d’ensemble restait essentiellement répressive, avec un leitmotiv, "pour maîtriser les flux migratoires, organisons l’exclusion afin de dissuader les arrivées."

Cette impression d’ensemble a largement été confirmée lors de la mise en œuvre de la loi par l’administration. Entre instructions ministérielles et véritable créativité des différents agents, toutes les avancées sur le papier ont été vidées de leur substance et l’on a aujourd’hui effectivement abouti à un blocage total. Ainsi, l’article 12 bis 7°, vanté comme l’aboutissement de la reconnaissance du droit au respect de la vie privée et familiale, a bénéficié en 1998 à 1996 étrangers, et à 5207 en 1999. Résultat dérisoire pour une disposition qui aurait été en mesure, par sa souplesse, de régler positivement le sort de la plupart des exclus de la circulaire de régularisation.

Au bilan :

– Le "stock" de sans-papiers a été largement reconstitué, avec tous les dégâts sociaux sur eux et leur entourage ;

– Les filières de passeurs, avec leurs relais dans les ambassades, les consulats et les préfectures, n’ont jamais été aussi nombreuses ;

– La protection de la justice administrative contre les abus de pouvoir reste souvent théorique ;

– L’exigence républicaine d’égalité continue d’être bafouée par un État qui s’est adjugé un rôle original : non pas la protection des plus fragiles mais la mise en œuvre de leur destruction psychologique et de leur exclusion programmée ;

– Les prisons continuent d’être remplies d’étrangers qui n’ont commis comme seul délit que de résider en France.

Quant à la vision de l’avenir, elle est totalement absente. Alors que les milieux de droite ou patronaux recommencent à parler de la nécessité d’une immigration de travail, le sujet reste tabou au sein de la gauche gouvernementale. Cette absence de réflexion laisse présager le pire, à savoir que brutalement se mette en place une immigration sous le signe de la déréglementation du travail et de la concurrence entre les travailleurs.

En matière d’asile, on a assisté à l’éclatement des statuts de demandeur d’asile et de réfugié. Éclatement qui résulte des contradictions d’une politique très restrictive, qui s’est appuyée d’une part sur une interprétation de la convention de Genève en complet déphasage avec la situation internationale et l’évolution du besoin de protection des individus, et, d’autre part, sur la volonté de ménager une opinion publique sensible au devoir de protection des États à l’égard des personnes menacées, ce qui rend difficile le renvoi des personnes dès lors que leur situation a été médiatisée.

Alors que la convention de Genève est suffisamment souple pour permettre une évolution de l’interprétation française de la notion de persécution qui lui rende sa pleine efficacité et corresponde à son objectif, le gouvernement a choisi de privilégier des effets d’annonce qui masquent mal la persistance d’une logique de suspicion et de précarisation des demandeurs d’asile, ainsi qu’une instrumentalisation géopolitique de la question de l’asile. L’instau-ration d’un asile constitutionnel, "pour les combattants de la liberté", n’a, à ce jour, jamais été appliquée. D’autre part, l’instauration d’un asile territorial, destiné à entériner la non-application pleine et entière de la convention de Genève, confie au seul ministre de l’intérieur, et par une décision non-motivée, la reconnaissance ou non des menaces pesant sur le demandeur. Le bilan en est éloquent : malgré les violences quotidiennes en Algérie, il a été accordé 97 asiles territoriaux en 1998 et 320 en 1999 ! D’autre part, l’accès au territoire et à la procédure des personnes menacées reste dans la droite ligne du dispositif Pasqua-Debré : filtre préfectoral, scandale des zones d’attente toujours interdites de présence permanente des associations, obligation pour des transporteurs privés de se substituer au pouvoir d’appréciation de l’État sous peine de lourdes sanctions potentielles. Tout concourt à ce qu’une personne menacée ne puisse accéder au territoire pour y déposer sa demande de protection.

Enfin, l’examen de la demande par l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides) reste toujours aussi partiel et partisan (tout demandeur doit fournir une attestation de persécution par l’agent persécuteur), pour un bilan global cependant largement négatif (près de 80 % de refus). Si bien que la mise en œuvre du droit d’asile a désormais atteint la cote d’alerte.

Intégration, lutte contre les discriminations : un dispositif encore insuffisant

La fin des années 1990 a été marquée par la prise de conscience par les acteurs sociaux et les pouvoirs publics des discriminations graves qui frappent les étrangers et au-delà, ceux qui paraissent étrangers, dans l’accès à l’emploi, à la formation professionnelle, au logement, etc. Le point très positif de la mandature a été l’expression pour la première fois d’un discours officiel reconnaissant la réalité de ces discriminations et leur caractère inacceptable. Mais la politique mise en place s’est surtout donné pour objectif la connaissance et la mise en débat public de ces discriminations. C’est ainsi qu’a été créé le Groupe d’Etude et de Lutte contre les Discriminations (GELD). La politique manque maintenant d’un volet action, qui reste à l’heure actuelle bien pauvre.

La double-peine : un scandale qui perdure

Des personnes qui ont leurs attaches en France, qui sont devenues délinquantes en France et qui ont déjà payé pour les crimes et délits qu’elles y ont commis, sont renvoyées dans un pays où elles n’ont pas d’attaches. La persistance de cette forme moderne du bannissement, aberration juridique dans un État de droit, aux conséquences sociales et humaines dévastatrices pour les intéressés et leur entourage, reste un des grands scandales de la mandature.

Un bilan de l’action de Verts sur les questions de l’immigration

Au cours de la mandature, deux questions ont tout particulièrement mobilisé les Verts. En premier lieu, la question des sans-patries ; d’un côté, les députés ont joué un rôle important dans la critique de la loi Chevènement qu’ils n’ont pas votée parce qu’elle ne remettait pas en cause la logique antérieure qui avait abouti à l’existence de centaines de milliers de sans-papiers. D’un autre côté, les militants ont été très actifs sur les conséquences de la circulaire de régularisation.

En second lieu, il y a eu une forte implication sur les questions de citoyenneté, avec le droit de vote et la bataille pour l’élargissement démocratique : l’une des deux "niches parlementaires" des Verts a été utilisée pour mettre à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale ce droit. Et les militants ont su être dans la bataille nationale en association avec les collectifs d’associations issues de l’immigration.

A contrario, les Verts, sauf cas particulier, ont été plus faibles sur plusieurs autres questions, notamment la double peine, les discriminations dans le travail (en particulier pour les emplois réservés [1]) et les discriminations en général.
S’ils ont su dénoncer l’impasse de la logique de fermeture des frontières et un certain nombre de ses conséquences, ils n’ont pas su proposer une véritable politique alternative de l’immigration. Enfin, il convient de faire une mention particulière à la question des banlieues. Même si elle soulève une série d’interrogations qui ne recoupent pas complètement celles de l’immigration, elle l’interpelle quand il s’agit du droit de vote (parents étrangers, enfants français ayant le droit de vote), de l’exclusion et des discriminations, de "la fracture urbaine", de la mémoire et la transmission de l’histoire, du multiculturalisme, etc.

Propositions programmatiques

Comme le montre l’histoire récente et le bilan de la mandature, toute instauration de mesures ponctuelles est vouée à l’échec. Il faut arrêter de percevoir une politique de l’immigration comme une simple réglementation de l’entrée et du séjour et au contraire promouvoir une rupture politique forte, organisant l’ouverture des frontières, séparant fondamentalement les problématiques de l’immigration et de l’asile, supprimant l’idée même de législation discriminatoire pour les étrangers.

Pour une ouverture des frontières qui ne soit pas néo-libérale

On ne peut que constater les conséquences désastreuses de la "fermeture des frontières" et des impasses humaines et politiques auxquelles elle a abouti : milliers de clandestins, droits humains bafoués, non-respect du droit du travail, arbitraire administratif et policier qui ébranle l’état de droit.
À l’opposé de cette orientation, la politique de l’immigration devrait se construire autour d’un projet politique et social, basé d’une part sur la solidarité et la coopération pour un développement soutenable, et d’autre part sur le respect des principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Ayons le courage politique de poser le principe de la liberté de circulation et d’installation, comme seule alternative politique. Le débat doit être mené, d’autant que des associations (MRAP, FASTI, GISTI, CIMADE, etc.) s’y sont déjà attachées.

Sur la question de l’asile, il s’agit bien d’assurer l’effectivité du droit d’asile en l’instaurant comme un droit des personnes et non un droit discrétionnaire des États.

L’accès au territoire et à la procédure doit être assuré, l’éclatement des statuts des demandeurs et des bénéficiaires de l’asile doit être abrogé, l’octroi du statut de réfugié doit être assuré par un organisme véritablement indépendant du pouvoir politique et permettant de faire échapper la nécessaire protection des personnes aux considérations de politique intérieure et extérieure, en pleine application de la convention de Genève.

En outre, il est indispensable de rétablir l’autorisation de travail pour les demandeurs d’asile, de réexaminer le statut des apatrides, de façon à les faire bénéficier de la pleine citoyenneté européenne de résidence, et plus généralement, de sortir le statut des demandeurs d’asile de la précarité, par le renforcement du dispositif d’accueil et par l’octroi des droits sociaux, notamment le RMI.

En ce qui concerne la lutte contre les discriminations, il faut afficher clairement un objectif de lutte contre les discriminations avec des moyens spécifiques, notamment en personnel, un système d’évaluation des actions engagées, et un pôle administratif renforcé pour coordonner cette politique. L’enjeu est que le discours de dénonciation puisse aboutir à des évolutions concrètes, à défaut de quoi on aura seulement suscité un grand désir de justice qui restera insatisfait, avec toutes les dérives que ce type de déception peut entraîner. Sur le plan juridique, il faut modifier les textes qui limitent l’accès des étrangers à certains emplois ("emplois réservés"). Il faut aussi qu’une politique nationale ambitieuse de formation des agents de guichet des administrations publiques ou parapubliques soit engagée afin que ces services soient irréprochables dans ce domaine. Il faut enfin obtenir l’abrogation de la double peine.

L’égalité civique et sociale, la lutte contre les discriminations, l’accès de plein droit au choix de la nationalité, sont les conditions d’un "vivre ensemble" démocratique qui permettra de faire face aux dérives xénophobes et racistes comme aux enfermements communautaristes. De ce point de vue, notre priorité est, en premier lieu, l’adoption de la citoyenneté de résidence. Avec, comme première étape, l’alignement des droits de tous les étrangers résidents sur celui des ressortissants de l’Union Européenne, c’est-à-dire obtenir que la loi votée par la seule Assemblée Nationale le 3 mai 2000 soit adoptée. À plus long terme, nous proposons la pleine citoyenneté pour tous les résidents étrangers, à toutes les élections. Enfin, et sans attendre ces mesures législatives, nous sommes favorables à la mise en place de toutes les initiatives qui permettent une participation civique de tous les résidents étrangers, aux côtés des citoyens français. En second lieu, il nous semble prioritaire d’adopter un code de la nationalité garantissant un plein droit du sol et l’extension du droit à la naturalisation, l’instauration de la règle de la carte de dix ans et l’acquisition de la nationalité par déclaration lors du renouvellement.

Et pour l’avenir...

À bien considérer l’accord passé entre les Verts et le Parti Socialiste, ainsi que la politique d’immigration de la majorité plurielle, aucune hésitation n’est possible : le bilan de la législature 1997-2002 est globalement négatif. Si tout compromis politique entraîne des sacrifices, l’immigration aura constitué l’une des parties sacrifiées du contrat passé en début de mandature. Constat attristant mais qui ne nous décourage pas ! Les questions de l’immigration, des sans-papiers, de l’asile, de la double peine, se retrouvent au cœur de ce qui fait la spécificité de l’approche écologique : la prise en compte des solidarités au niveau planétaire et le refus de considérer le reste du monde comme un simple réservoir de matière première et de main d’oeuvre ou une décharge où nous irions déposer nos rebuts. Parce qu’elles sont au point de rencontre des inégalités entre pays "riches" et "pauvres" (Nord/Sud, Est/Ouest), entre pays en paix et pays en guerre, ces questions ne relèvent pas d’une logique compassionnelle et humanitaire, elles touchent au fondement de toute politique écologique.

Dans ces conditions, et forts de l’expérience toute récente, les Verts ne sauraient rester enfermés dans un compromis dépassé. Les rapports de force ont changé au sein de la gauche et il est de notre responsabilité de faire entendre une voix plus claire, plus déterminée, plus originale, dans un domaine où se joue l’avenir de nos villes mais aussi celui de l’Europe. Il faut donner une autre perspective politique, montrer que la seule politique d’immigration acceptable est celle basée sur l’ouverture des frontières, une ouverture qui ne soit pas néo-libérale, mais respectueuse des droits fondamentaux des personnes. Il ne saurait être question, sans dommage pour notre crédibilité, de sacrifier la politique d’immigration sur l’autel du "réalisme politique".


[1Les étrangers, en particulier non communautaires, sont exclus de plus de 4,5 millions d’emplois : de la quasi-totalité des emplois de fonctionnaires, d’un grand nombre d’emplois du secteur public et nationalisé (EDF-GDF, SNCF, RATP, Air France) et d’une liste interminable d’emplois salariés et de professions libérales du secteur privé (transports, assurances, communication, santé...).