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Les faucheurs volontaires, la désobéissance civile en pratique

mercredi 25 janvier 2006, par Christophe Noisette

Christophe Noisette est rédacteur du journal Inf’OGM (édité par l’association éponyme). Il revient dans cet article sur l’émergence du mouvement des faucheurs d’OGM : groupe informel qui s’est organisé en 2003 et qui est en partie chapeauté par la Confédération Paysanne... En 2005, c’est plus de la moitié des essais en champ qui ont été fauchés, entraînant la comparution des activistes devant la justice française.

Eté 2003, sur le plateau du Larzac, les altermondialistes se réunissent sous un soleil de plomb... De nombreux débats s’organisent sous les chapiteaux, la foule se presse... Ainsi, un débat démarre sur la question des arrêtés municipaux contre les cultures d’OGM (Organismes génétiquement modifiés)... Non seulement le chapiteau est plein, mais plusieurs rangées de personnes, debout autour du chapiteau, souhaitent participer au débat... Tout le monde y va de son petit couplet, de sa petite proposition... En émerge alors une, portée par un homme maigre, aux cheveux gris, âgé d’une soixantaine d’année. C’est Jean-Baptiste Libouban, de l’Arche [1] : il lance un appel à la création d’une brigade de faucheurs volontaires... Les trois jours suivants, plusieurs centaines de personnes s’inscrivent...

En juin 2005, ce sont plus de 4800 femmes et hommes qui ont envoyé à l’association, basée à Millau, leur engagement de faucheur volontaire http://monde-solidaire.org... En y apposant leur signature, tous reconnaissent l’irréversibilité des atteintes à l’environnement de la culture de plantes génétiquement modifiées et refusent la brevetabilité du vivant. Faisant le constat de l’impossibilité de recours démocratique, ils se "portent volontaires pour neutraliser les cultures de plantes transgéniques de plein champ", tout en respectant "les consignes de l’action non-violente". Les faucheurs se situent dans une logique de "légitime défense" et à ce titre évoquent le concept juridique de "l’état de nécessité" pour justifier le passage de l’illégalité de l’action à sa légitimité. Donc, l’acte de fauchage se définit clairement dans le cadre de la désobéissance civile, du moins en ce qui concerne les faucheurs volontaires. En effet, parallèlement à ce collectif de faucheurs (organisé, revendicatif et opérant à visage découvert), existent d’autres groupes tels que "les pyrales enragées" ou "les limes à grains" qui agissent anonymement, et ne souhaitent pas "perdre du temps en procès". À la différence des faucheurs volontaires qui ont fait le choix de transformer les prétoires en lieu de débat public, de la même manière que les scientifiques ont transformé les champs en laboratoires...

Mais revenons un peu en arrière... Ce mouvement, initié par Jean-Baptiste Libouban, a une histoire. En France, le premier fauchage eut lieu en 1997 : 300 personnes, dont de nombreux militants de la Confédération Paysanne, avaient décidé de "décontaminer" un champ appartenant à Monsanto, sur la commune de Saint-Georges d’Espéranche (Isère). Notons que Monsanto n’a porté plainte qu’en 2003, soit au moment où les faucheurs volontaires s’organisaient. Trois agriculteurs de la Confédération Paysanne ont été jugés pour "destruction grave de biens appartenant à autrui", le 23 avril 2004 à Vienne (Isère). Par la suite, de nombreuses destructions de parcelles d’essai en champ ont été opérées, à l’initiative de la Confédération Paysanne. Parmi les plus spectaculaires, relevons la destruction par la Confédération paysanne, accompagnée d’une centaine de paysans indiens, d’une expérimentation de riz génétiquement modifié, menée dans les serres du CIRAD [2] et destinée à être disséminée en plein champ en Camargue (juin 1999). Ou encore, en janvier 1998 à Nérac, lorsque ce syndicat a dévoyé une production de semences de maïs transgéniques (maïs Bt 176), dans un entrepôt de Novartis, en les mélangeant avec des semences conventionnelles... Ces semences, tout juste autorisées par le gouvernement Jospin, étaient destinées à être diffusées dans le Sud-Ouest de la France.
En 2001, le combat prend de l’ampleur... En effet, l’AFSSA [3] annonce au cours de l’année que 41% des lots de semences de maïs conventionnelles sont contaminées. Aussitôt, le 25 juillet 2001, la Confédération paysanne lance un ultimatum au gouvernement, lui demandant de procéder lui-même à la destruction des essais, source de contamination, et ce avant le 12 août, sous peine d’engager un vaste mouvement de décontamination. Aucune réponse n’ayant été obtenue, le syndicat lance alors plusieurs actions en août et en septembre 2001... Et depuis, chaque été, ce sont plus ou moins la moitié des essais en champ qui sont fauchés en France !
Mais comment a réagi la justice française face à ces actes que le gouvernement qualifie de "vandalisme", opérés par "les croisés de l’anti-tout", selon les mots de la FNSEA [4] ? Globalement, elle a répondu par la fermeté, en condamnant systématiquement ces actions. Toutefois, pour l’instant, seuls José Bové et René Riesel ont purgé une peine de prison ferme (condamnés pour la destruction du riz modifié du CIRAD par la Cour d’Appel de Montpellier, le 20 décembre 2001). Les autres procès ont parfois donné des peines de prison avec sursis et ont infligé des amendes et des dommages et intérêts...
La fermeté de la justice se situe aussi au niveau de son refus de prendre en compte l’aspect collectif des actions et donc les "comparants volontaires". C’est lors du procès de Toulouse qu’est apparue cette notion. En novembre 2004, les avocats ont précisé dès l’ouverture de la séance qu’ "il était absolument impossible de poursuivre neuf personnes alors que plus de 250 étaient prêtes à comparaître volontairement et que sur ces 250 il y en avait 89 dans la salle". La présidente du Tribunal Correctionnel de Toulouse a entendu la demande des inculpés et a fait comparaître les 259 personnes qui se sont déclarées spontanément et volontairement responsables du fauchage. C’est la première fois dans l’histoire de la justice française qu’une telle demande est acceptée. Le procureur de la République a immédiatement fait appel de ce jugement. Ainsi, le 14 avril, le Tribunal d’Appel de Toulouse a jugé recevable l’appel interjeté par le parquet et a donc refusé la convocation devant le tribunal correctionnel de 222 "faucheurs volontaires". Le même scénario s’est déroulé lors du procès de Riom... Par conséquent, à l’heure actuelle, seuls les "meneurs" sont jugés.
En guise de conclusion, précisons que des fauchages ont eu lieu et auront lieu dans d’autres pays, en Europe, en Amérique du Nord, en Asie du Sud-Est...

Christophe Noisette


[1La Communauté et le Mouvement de l’Arche pratiquent la non-violence, simplifient leur mode de vie, leur relation à l’environnement et à la société.

[2Le CIRAD est un organisme scientifique spécialisé en agriculture des régions tropicales et subtropicales.Voir leur site

[4Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, syndicat majoritaire et concurrent de la Confédération Paysanne.

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