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Le réchauffement global, éléments scientifiques pour le débat

novembre 2000, par Marc Robert

Où l’on mesure l’ampleur du changement climatique en cours, et où l’on découvre les rôles respectifs des variations de l’activité solaire et des dégâts du productivisme.

Le climat de la terre dépend du bilan entre l’énergie solaire reçue sous forme de rayonnement visible et l’énergie solaire émise par la surface terrestre sous forme de rayonnement infrarouge. Les gaz à effet de serre* (voir glossaire p.7) piègent une partie de ce rayonnement infrarouge, permettant ainsi de maintenir notre planète à une température moyenne globale d’environ 15 °C. Sans cet effet de serre naturel, assuré à plus de 60 % par la vapeur d’eau, la terre serait un désert glacé… Le détail du bilan radiatif de la Terre montre en fait que plusieurs paramètres sont critiques pour son équilibre thermique, principalement la constante solaire*, la quantité de gaz à effet de serre et l’albédo*. Une variation, même modeste, de ce bilan, est susceptible d’entraîner une modification climatique majeure, comme la " petite glaciation " du XVIIe siècle, au cours duquel la baisse de quelques pour cent de la constante solaire a provoqué un refroidissement général, de l’ordre de 0,5 à 1 °C, ainsi qu’une série d’hivers particulièrement rigoureux.

Parmi les gaz à effet de serre, certains sont d’origine naturelle, comme la vapeur d’eau, ou d’origine partiellement naturelle et anthropique*, comme le dioxyde de carbone* et le méthane*, ou d’origine totalement anthropique, comme les oxydes d’azote* (notamment le protoxyde d’azote), l’ozone troposphérique* et les composés halocarbonés* (CFC, HFC, HCFC). Le rôle de la vapeur d’eau est primordial pour le climat en raison de son abondance dans l’atmosphère. Elle contribue ainsi deux fois plus à l’effet de serre que le CO2. Par transport avec le vent des régions tropicales vers les régions de plus hautes latitudes, elle joue un rôle prépondérant dans le transport de l’énergie. Condensée sous forme de nuages, elle a également un rôle régulateur, car ces derniers réfléchissent une partie de l’énergie solaire incidente, ce qui augmente l’albédo planétaire. Mais les nuages participent aussi de l’effet de serre ! Le bilan de ces différents effets montre que les nuages refroidissent plus qu’ils ne réchauffent (rétroaction globale négative). Cet exemple du cycle de l’eau montre déjà comment la complexité est au cœur de la description des phénomènes climatiques.

Le rôle des aérosols* est lui aussi très important, qu’ils soient d’origine volcanique, biologique (formés au dessus des champs et des forêts par la photosynthèse*), marine (débris organiques formant une couche superficielle de quelques microns au dessus de la surface de l’eau et encapsulées dans de très fines gouttes d’eau projetées vers le haut) ou industrielle. Ils jouent un grand rôle dans la formation de la pluie en servant de noyaux de condensation de la vapeur d’eau et ils augmentent l’albédo de surface, contrebalançant ainsi l’effet de serre.

Les régulations thermiques terrestres sont en outre assurées par la circulation atmosphérique des masses d’air, qui tend à réduire le déficit thermique entre l’équateur et les pôles, et la circulation océanique, qui joue un double rôle d’une part en étant capable d’absorber une grande quantité d’énergie (car l’albédo océanique est très faible) et de la conserver, et d’autre part en se mettant en mouvement et en transportant l’énergie sur de grandes distances, en particulier là aussi des basses vers les hautes latitudes (circulation thermohaline dont la manifestation de surface dans l’Atlantique Nord est le Gulf Stream, courant chaud qui adoucit le climat de l’Europe occidentale et revient vers les tropiques sous la forme d’un courant très étalé et lent ; cette circulation est très lente et on évalue par exemple à près d’un millier d’années le temps entre la plongée des eaux et leur remontée dans le Pacifique).

Le climat résulte bien d’un ensemble complexe de phénomènes dus au couplage entre océans, biosphère, atmosphère (mouvement et composition) et surface terrestre. Ce système peut être perturbé par divers éléments comme le volcanisme (forte production d’aérosols) ou par une variation de l’insolation engendrée par l’activité solaire. Par exemple, partant d’un état climatique donné, augmentons l’insolation de notre planète. Les océans, en se réchauffant, vont libérer du CO2, amplifiant ainsi le réchauffement par effet de serre (rétroaction positive). Mais dans le même temps, l’évaporation augmente et donc la nébulosité* aussi, ce qui tend à réduire l’insolation au sol, et accroît la circulation atmosphérique entraînant une meilleure distribution de l’énergie vers les hautes latitudes. De plus, le climat, devenant plus chaud, permet une extension vers les plus hautes latitudes de la végétation diminuant ainsi l’effet d’albédo, mais favorisant l’émission de méthane par le dégel des sols des régions sub-polaires...

On le voit, la multiplicité des paramètres à intégrer rend problématique toute tentative de modélisation globale. Il est de plus très difficile de valider complètement, sur un plan théorique, l’ensemble des processus amplificateurs brièvement évoqués ci-dessus. Leur modélisation pose de sérieux problèmes, en particulier pour la nébulosité (c’est vrai aussi du rôle modérateur des aérosols d’origine industrielle comme le dioxyde de soufre SO2). De plus, on ne peut être certain que toutes les rétroactions significatives ont été inventoriées. Les modèles actuels, dits " modèles couplés ", prennent en compte les circulations atmosphérique et océanique ainsi que leur couplage. Les calculs sont effectués en plusieurs points à la surface de la terre (le nombre doit être important pour tenir compte en particulier de la spécificité des continents et des différences d’albédo entre ces derniers et les océans ; en conséquence, les temps de calculs sont très, très longs et demandent l’utilisation des ordinateurs les plus puissants).

Au-delà de la complexité des phénomènes, quels sont les faits et sur quoi s’accordent les différents modèles ? D’une part le soleil est dans une phase d’augmentation d’activité, qui durera jusque vers les années 2040, ce qui va provoquer un réchauffement naturel. En ce qui concerne les gaz à effets de serre, leur quantité dans l’atmosphère augmente continûment depuis deux siècles maintenant. Le cas du carbone est emblématique. Si en 1860, avant le développement massif d’industries polluantes, la quantité annuelle de carbone injectée dans l’atmosphère (sous forme de CO2) était faible (moins de 100 millions de tonnes), elle est aujourd’hui de l’ordre de 6 milliards de tonnes (Gt) et poursuit sa croissance suivant un rythme exponentiel (c’est à dire qu’elle double tous les 16 mois environ !). Les eaux et la biosphère marine sont le plus grand réservoir de CO2 (38 000 milliards de tonnes) et absorbent environ la moitié de ces 6 Gt. La biomasse (plantes, forêts) absorbe environ 1,5 Gt par an, bien que ce puits de carbone soit menacé par les déforestations, notamment dans les régions tropicales. Reste 1,5 Gt, mystérieusement absorbés par un puits non identifié (en espérant qu’il ne sature pas à court terme…). Parallèlement, la concentration en CO2 est passée de 280 ppmv (partie par million par volume) durant l’ère pré-industrielle à 360 ppmv actuellement, soit 0,0036% de l’atmosphère terrestre (le taux d’augmentation est de 0,4% par an), entraînant un effet de serre additionnel important.

De la même façon, le méthane, produit à 535 millions de tonnes par an, dont 70% sont d’origine anthropique, augmente au rythme annuel de 0,6% (malgré sa destruction dans la troposphère par l’hydroxyle OH) et contribue lui aussi à un effet de serre additionnel. Les oxyde d’azote ont une faible incidence sur le climat, au contraire des CFC, qui bien qu’interdits, provoquent un effet de serre égal à 15% de celui du CO2 du fait de leur accumulation initiale dans l’atmosphère et de leur longue durée de vie. à terme, la production des HCFC, censés les remplacer, provoquera le même effet. Enfin, il faut noter que l’ozone semble lui aussi participer d’un effet de serre additionnel, malgré sa destruction partielle dans la couche stratosphérique. Les aérosols d’origine anthropique ont un effet de serre " négatif " non négligeable (baisse de la température par augmentation de l’albédo), mais très variable géographiquement ; dans tous les cas, celui-ci est loin de compenser l’effet de serre " positif ".

Les modèles climatiques intégrant les effets des augmentations des gaz précédents ainsi que ceux de la variation de l’activité solaire montrent un excellent accord quantitatif avec l’augmentation de température observée depuis 1860 (+ 0,6 °C), laissant peu de doute sur leur fiabilité, ainsi que sur leur capacité à prévoir les grandes lignes du climat futur. D’autre part, la prise en compte d’un effet de serre anthropique est bien nécessaire pour rendre compte des modifications du climat de ces dernières années. Les dernières estimations (septembre 2000, compilation des résultats disponibles) montrent que d’ici à 2100, la température moyenne devrait augmenter de 1,3 à 4°C, le niveau moyen des mers de 17 à 90 cm. Les changements climatiques régionaux seront sans doute variables mais il est très probable que les précipitations augmenteront aux hautes latitudes de l’hémisphère nord et diminueront aux basses latitudes. Il est maintenant clair que les coûts sociaux et écologiques de la modification du climat seront d’une part plus élevés que les bénéfices, d’autre part inégalement répartis suivant les pays, alors même que les outils politiques et institutionnels pour faire face à cette nouvelle donne n’existent pas et que nos sociétés ne sont pas préparées à affronter ce choc climatique. Pour tous les événements climatiques extrêmes (tempêtes, ouragans, inondations…), il faudra encore attendre de nombreuses décennies pour vérifier statistiquement si leur multiplication apparente résulte bien des évolutions climatiques en cours, mais il existe bien un risque, heureusement de faible probabilité, mais d’un impact potentiel énorme, d’une déstabilisation générale du climat, qui pourrait avoir lieu par exemple en cas de libération massive de CO2 par les océans si le réchauffement actuel venait à s’amplifier.

Des changements climatiques majeurs sont en passe d’affecter la totalité de notre environnement. Malgré les incertitudes scientifiques, qui pour partie demeurent, l’aspect explosif du problème est face à nous, bien réel, car c’est désormais suivant un rythme de croissance exponentielle que les gaz à effet de serre sont émis dans notre atmosphère. Différer les décisions permettant d’inverser la tendance relève désormais d’une irresponsabilité totale, car l’enjeu est bien celui de notre survie à long terme.


Références :

– Histoire solaire et climatique, Elisabeth Nesme-Ribes et Gérard Thuillier, Belin, 2000

– Rapports et documents de l’IPCC (Intergouvernemental Panel on Climate Change), disponibles sur Internet (http://www.ipcc.ch/)

– Is the Temperature Rising ? The Uncertain Science of Global Warming, S. George Philander, Princeton University Press, 1998

– The Science of Climate Change, Global and U.S. Perspectives, Tom. M.L. Wigley, National Center for Atmospheric Researches (Pew Center on Global Climate Change), 1999, rapport disponible sur Internet (http://www.pewclimate.org/projects)

– Climate Change and Extreme Weather, P. Vellinga et W.J. van Verseveld, Institute for Environmental Studies, rapport publié par WWF, septembre 2000, disponible sur Internet (http://www.panda.org/resources/publications/climate/xweather/)