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Quartier en voie de respiration

2006, par Simon Barthélémy

Réunis dans l’association Les Amis de l’EcoZAC, des citoyens veulent faire d’un nouveau quartier parisien la vitrine de l’urbanisme écolo en France. Leur projet retient un peu l’attention des décideurs et beaucoup celle du public...

Une ligne de chemin de fer désaffectée, quelques tôles sur les toits qui claquent et des conteneurs qui débordent. Nous sommes en plein cœur de la friche industrielle de "la place de Rungis", dans le XIIIe arrondissement de Paris. Ici, deux visions s’entrechoquent. Celle de la mairie d’arrondissement qui entend bâtir sur cette ancienne gare, des logements et des bureaux et celle de l’association des Amis de l’EcoZAC de la Place de Rungis, qui rêve d’en faire le premier quartier 100% écologique de France.

Dans la rue, ces derniers imaginent des vélos et des voitures électriques en prêt gratuit. Des panneaux solaires sur les toits et des jardins qui recueillent l’eau de pluie pour la chasse des toilettes. Un compost auquel chacun verse ses épluchures pour les jardins, des HLM et des bureaux aux murs épais d’un mètre... Bref, un petit village résistant à l’envahisseur carbone, pour diviser par quatre les émissions de CO2 issues des chauffages et des transports, comme s’y est engagée la France. "Nous voulions passer des beaux discours sur le changement climatique à du concret", argumente Philippe Bovet, fondateur de l’association. Ce journaliste, spécialiste des questions énergétiques, connaît bien les expériences menées en Europe, comme le village BedZED (Beddington Zero Energy Development) près de Londres ou le quartier Vauban, à Fribourg en Allemagne. Bien isolés et équipés en solaire thermique et photovoltaïque, leurs bâtiments sont énergétiquement autonomes ; grâce à la mixité habitat-bureau, les transports sont réduits de moitié ; l’eau de pluie et les déchets sont recyclés au maximum.

Voitures en libre-service

Lorsque démarre en 2003 la concertation sur ce quartier, Philippe Bovet vient en voisin soumettre ses idées. Mais associations et élus font la sourde oreille. Même les Verts n’ouvrent pas ses dossiers. Avec des membres de Greenpeace et de négaWatt , groupe d’experts en économie d’énergie, il fonde une association. Les Amis de l’EcoZAC rabattent les habitants pour des débats dans un bistrot du quartier. Parmi les nouveaux venus quelques riverains mais surtout beaucoup d’écolos convaincus. Comme Olivier, architecte en reconversion dans l’éco-construction, qui vient offrir ses services : "La démarche globale que propose cette association est plus intéressante que la norme HQE (haute qualité environnementale), qui n’impose pas le respect de ses 14 critères pour être délivrée." "Nous ne souhaitons pas créer un ghetto pour écolos avec des maisons en bois", tempère un brin provocatrice, Elsa Gheziel, permanente de l’association.

Lobbying tout terrain, voyages d’études à BedZED ou Fribourg organisés pour les élus locaux... Ces Don Quichotte mettent le paquet pour prendre le moulin d’assaut. La Semapa, société d’économie mixte de la mairie de Paris en charge du projet, a suivi leurs idées et prévu d’ajouter un chapitre au cahier des charges qui doit être rendu à la mi-2006 : "Produire 5% de l’électricité des bureaux via des panneaux solaire et récupérer la pluie pour l’arrosage des jardins." Trop modeste encore pour l’EcoZAC, qui ne baisse pas les bras tant que le projet final n’est pas bouclé. L’écho médiatique rencontré par ces militants leur vaut désormais d’être écoutés. "Le bureau d’étude chargé du dossier par la Semapa ne connaissait pas un logiciel permettant de calculer l’ombre portée des bâtiments, et donc de les exposer plus judicieusement. Nous le leur avons présenté", affirme Elsa.

"Bobos-parisiens-toqués-d’écologie"

Gilles de Montmarin, de la Semapa, affirme que "sa structure n’émet aucune réserve sur les objectifs du développement durable, décrétés par la Ville de Paris, mais [celle-ci] doit aussi veiller au désenclavement du sud du XIIIe arrondissement". Pas question donc de limiter les voies réservées aux voitures. Le rêve un peu fou d’un quartier tout propre en plein Paris est-il mort-né ? "Nous verrons", dit Elsa, forte de l’appui de certains dirigeants politiques comme Yves Contassot, adjoint Vert à la mairie de Paris.

Le grand public est curieux de leur projet et des volontés de fonder des EcoZAC se multiplient autour d’autres projets d’urbanisme. La place de Rungis achevée, les militants veulent aider à fédérer ces nouvelles organisations. Et de se départir d’une image de bobos-parisiens-toqués-d’écologie. Selon eux, rapprocher lieux de travail et de logement pour éviter les transports, économiser sur les factures d’énergie et créer de nouveaux emplois dans l’éco-bâtiment répond à des besoins sociaux dépassant l’écologie. "Les factures de chauffage représentent des sommes considérables pour les locataires de HLM", souligne la responsable logement d’une commune de Seine Saint-Denis lors d’une rencontre de l’association. "Il faudrait donc que les revendications de l’EcoZAC soient poussées dans chaque projet de l’ANRU" - l’agence nationale de renouvellement urbain qui finance les démolitions-reconstructions de quartiers HLM. Mais il reste quelques murs d’incompréhension à faire tomber.

Simon Barthélémy