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La décroissance en politique

Entretien avec Vincent Cheynet

dimanche 15 avril 2007, par EcoRev’

À 20 ans, il s’engage politiquement chez les Jeunes Démocrates Sociaux. Durant dix ans, il a été directeur artistique à Publicis, premier groupe européen de communication, spécialiste de la publicité. Puis, en 1999, il co-fonde la revue Casseurs de pub. Parallèlement, et ce depuis 1995, il milite dans différentes associations écologistes radicales. En octobre 2005, il co-organise les Etats Généraux de la décroissance à Lyon. En avril 2006, il co-fonde le Parti Pour la Décroissance (PPD). Il en sera le candidat aux élections législatives dans la 2e circonscription du Rhône en 2007.

EcoRev’ - En juillet 2001, avec Bruno Clémentin, co-fondateur de la revue Casseurs de pub, vous imaginez le concept de “décroissance soutenable”. Pourquoi ?

Vincent Cheynet - Pour moi, l’aspect politique est crucial. Ainsi, parallèlement à l’association Casseurs de pub, j’ai participé à la création d’un petit groupe de réflexion sur l’écologie politique, Ecolo. C’est une double articulation indispensable. Nous avions vu toute la logique du “développement durable” qui montait et nous cherchions un terme, un concept pour s’opposer à celui-ci, de ce qu’il pouvait signifier dans l’opinion publique. À travers ce terme, il y avait un pervertissement total de l’écologie politique. Puis, j’ai lu le livre de Nicholas Georgescu-Roegen sur la décroissance. Et, avec Bruno Clémentin, en réfléchissant, nous sommes tombés sur le terme de “décroissance soutenable”. Nous allions pouvoir opposer ce concept à l’idée de “développement durable”. Il est possible que cela soit lié au fait qu’au départ, je suis un homme de communication. Je comprenais, comme beaucoup d’autres, que nous sommes dans une société, où l’économisme prime. Ainsi, quand nous projetons un terme comme “développement durable” dans notre société, il va être compris dans son sens économique exactement comme le mot “croissance”. C’est très binaire comme démarche, mais nous sommes dans une logique de communication. Il faut toujours penser la communication comme une image importante pour comprendre. Prenons l’exemple du titre d’un livre. Dans un titre, on ne dit pas tout. Mais, l’objectif est de capter l’attention de quelqu’un qui se promène dans une librairie par exemple, pour ensuite faire passer un discours plus complexe. C’est comme cela qu’est née l’idée de “décroissance soutenable”, en opposition au concept de “développement durable”.

Aujourd’hui, le mot “décroissance” est synonyme, à tort, de “simplicité volontaire” pour un grand nombre de citoyens, et ce, même chez certains militants écologistes. Pourtant, si nous analysons ces deux termes, il apparaît qu’il s’agit en réalité de deux concepts qui s’opposent, en particulier sur l’importance et le rôle du politique. Qu’en est-il ?

Dès la sortie du livre de Nicholas Georgescu-Roegen en France, nous avons parlé de la décroissance. Ce terme était uniquement utilisé dans un sens écologique. Toutefois, il est bon de rappeler que le mot ne trouve encore à cette époque pas ou peu d’écho. Nous étions dans une sphère scientifique fermée. Dès que nous avons travaillé cet aspect, il était hors de question pour nous de ne pas avoir d’articulation collective. En effet, nous pensons qu’il ne faut pas confondre ce qui relève de la simplicité volontaire et ce qui relève de son articulation collective, qui est la décroissance. La “simplicité volontaire” est un mouvement de société, à base plus individuelle qu’institutionnelle, qui propose à chacun de réduire sa dépendance à l’argent et à la vitesse, à libérer du temps pour la communauté plutôt que de l’utiliser pour gagner plus d’argent, de favoriser les comportements écologiques et respectueux de la société. Or, nous trouvons aujourd’hui beaucoup de personnes qui ont l’impression d’être dans la décroissance, alors qu’elles sont dans des strictes logiques individuelles qui ne relèvent pas ou très peu de la décroissance. C’est la simplicité de vie pour chacun. À l’opposé, la décroissance est cette articulation collective. Aujourd’hui, il y a un décalage total entre l’enjeu de société que représente la décroissance et la réponse politique de notre société. Nous risquons de basculer dans des systèmes autoritaristes, un chaos qui conduira à la barbarie. Notre discours, c’est de dire qu’il faut absolument que nous intégrions la logique de la décroissance.

Démocratie représentative, démocratie participative ou démocratie directe. Quelle forme de démocratie préconisez-vous pour la décroissance ?

Aux dernières élections législatives, en 2002, je me suis engagé pour présenter la décroissance à mes concitoyens. La raison ? C’est que je pense que les partis politiques et la participation aux élections sont indispensables dans une démocratie moderne. Ainsi, je ne partage pas l’avis des personnes qui se revendiquent de l’esprit libertaire et qui sont opposés à ces notions. Leur vision a trouvé ses limites. Il y a beaucoup de confusion chez un certain de nombre de libertaires. Ils confondent ce qu’était l’esprit libertaire dans son sens historique et sont incapables de concevoir le politique. Ainsi, ils sont beaucoup plus proches des mouvements comme les libertariens aux États-Unis que de l’esprit libertaire, qui n’a rien à voir avec la logique dont ils font la promotion. Quant à la démocratie participative, je ne suis pas foncièrement contre. Mais, tout comme la démocratie directe, elle a montré très vite ses limites. En effet, si nous voulons réfléchir à des échelles plus élevées, au-dessus d’un groupe de trente personnes, nous sommes obligés de passer par une forme de représentation. Dans le cas contraire, nous nous trouvons confinés à des visions tribales de la démocratie, qui nous empêchent de penser l’universalisme. Ce n’est pas pour rien que des groupes de droite extrême, comme ceux qui sont représentés par la nouvelle droite, proche d’Alain de Benoît, s’intéressent à cette forme d’"alternative possible". Je suis contre le fait d’opposer la notion de représentation et la notion de participation ; ce sont des choses complémentaires. Ce refus de la représentation dans lequel nous baignons trop fréquemment nous conduit sur des chemins politiques qui sont extrêmement glissants voire très dangereux. Il ne faut pas avoir peur de réaffirmer la représentativité, et même la notion de parti politique, comme des notions indispensables d’une démocratie dans le sens politique du terme.

Le 15 octobre 2005, vous avez co-organisé les Etats généraux de la décroissance à Lyon. Différentes sensibilités politiques y ont participé : les Alternatifs, les Verts, Ecolo, Réseau écolo libertaire... Cette journée a débouché sur la création d’une nouvelle force politique à côté de celle déjà existante. Pourquoi ?

Cette journée a été très clairement un échec. Il y a une haine du politique qui est sidérante dans notre société. Ces états généraux ont été organisés en vue des élections législatives et présidentielles de 2007. Et pourtant, il y avait une moitié de la salle, qui était présente pour nous expliquer qu’il ne fallait pas faire de la politique. Les groupes avaient des stratégies très différentes. Par exemple, les Alternatifs, cela ne les intéressait que très peu de partir avec nous, c’est le moins que l’on puisse dire. Idem pour le Réseau écolo libertaire. Je respecte leur choix. Quelquefois, les forces s’annulent, et c’est ce que nous avons conclu à Ecolo. Nous nous sommes donc dit qu’il fallait que chacun reparte travailler et essaie de diffuser chacun à sa manière les idées de la décroissance dans nos sphères respectives, et au-delà. C’est pour cette raison que nous avons créé le Parti pour la décroissance (PPD). Contrairement à ce qu’affirment nos détracteurs, rien n’était prémédité, nous avons tout simplement tiré les conclusions de ce qui s’était passé. En effet, le principe démocratique veut que, lorsque nos idées ne sont pas représentées dans la sphère électorale, il est du devoir des citoyens de s’engager pour les représenter. C’est aussi simple que cela. À l’heure actuelle, il n’y a aucun parti, y compris les Verts, qui milite pour la décroissance. Sincèrement, je ne crois pas qu’ils puissent se transformer un jour en un parti pour la décroissance. Au PPD, nous avons aussi décidé de présenter des candidats aux élections législatives. Car, en politique, tous les niveaux sont importants, le niveau local, le niveau national, le niveau continental et le niveau mondial. Ce n’est pas l’un contre l’autre. S’engager uniquement au niveau local, cela peut être très dangereux. Nous pouvons très vite être conduits à un renfermement sur nous-mêmes, alors que nous devons penser au niveau de la planète. Une articulation entre tous les niveaux est nécessaire. Par ailleurs, pour certaines idées de la décroissance, il est indispensable de les défendre à l’Assemblée Nationale. C’est le cas par exemple de l’application des ordonnances de 1944 sur la presse. Il n’est pas possible de défendre cette mesure seulement au niveau local. Et sans cette dernière, il est aujourd’hui impossible de défendre la décroissance.

La notion de décroissance n’est pas le monopole du Parti pour la décroissance. Elle agite également des militants d’autres organisations comme les Alternatifs et les Verts.

Les Alternatifs, je les connais un peu. À Lyon, ils font partie de la majorité municipale socialiste. Ce sont des navigateurs en eaux troubles, ils sont dans une logique très politique, au sens où ils vont essayer d’avoir un maximum d’élus. Par conséquent, le concept de décroissance les effraie, ou ils vont mettre de tels aménagements à ce concept qu’ils vont le vider de son sens. Par conséquent, j’ai moyennement confiance en eux, même si certains militants sont respectables et honnêtes. Du côté des Verts, c’est différent. Yves Cochet a fait campagne pour la candidature à la candidature pour la présidentielle du parti écologiste, sur le thème de la décroissance. C’est dommage qu’il n’ait pas pu se présenter. Il fait un travail tout à fait remarquable pour la décroissance. Par contre, je suis très surpris qu’il ait soutenu la candidature de Nicolas Hulot, au cours du mois de janvier. De même, lorsqu’il était ministre de l’Environnement sous la gauche plurielle, il a remis le prix du développement durable à l’aéroport de Satolas. Ainsi, nous ne partageons pas le même avis sur tout. Mais, il a le mérite d’engager le débat. Certains de ses propos sur la décroissance sont très bien. Par contre, nous allons nous différencier en ce qui concerne les stratégies politiques. Je trouve vraiment dommage que l’élection présidentielle n’ait pas été l’occasion d’entendre un homme politique parler de décroissance. Ils vont tous nous parler de croissance. Une candidature d’Yves Cochet aurait été éminemment plus positive pour la démocratie et la décroissance qu’une candidature de Dominique Voynet. S’il avait été candidat, je l’aurais soutenu. Les partis politiques, c’est très important, mais ils sont des outils pour diffuser les idées, pour faire vivre la démocratie, il faut donc être partisan au sens le plus restrictif du terme.

Et José Bové ?

Il parle de décroissance. Mais, à l’heure actuelle, il a un mal fou pour trouver une place dans la campagne présidentielle. Par ailleurs, il y a un véritable paradoxe. En effet, si nous voulons que José Bové parle pour la décroissance dans les élections à venir et étant donné qu’il est soutenu par une partie des collectifs anti-libéraux, il faut nécessairement derrière lui une force politique organisée pour peser politiquement. Mais, les objecteurs de croissance qui l’accompagnent aujourd’hui sont les mêmes individus qui, lors des Etats généraux de la décroissance en octobre 2005, refusaient l’engagement politique. Pour nous, José Bové c’est un ami. Nous avons toujours travaillé ensemble. Et, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous l’admirons pour son engagement. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR) défend ses positions et c’est tout à fait logique. Lors de la dernière présidentielle, ils avaient fait un très bon score. On ne voit pas en quoi aujourd’hui la LCR se désisterait au nom d’un candidat comme José Bové à qui ont peut reprocher justement sa légitimité. Excepté sa légitimité médiatique, quelle légitimité a-t-il ? Une légitimité militante certes, mais il n’a pas derrière lui une structure démocratique qui légitime le fait qu’il soit candidat. Le Parti communiste français (PCF) est dans la même logique. A l’heure actuelle, je pense que le PCF, c’est une annexe du Parti socialiste qui est là pour mettre la pagaille dans la gauche radicale. L’urgence est plutôt de développer des structures qui puissent permettre d’avoir des candidats sérieux qui défendent une vision anti-productiviste.

Quelles sont les perspectives et les enjeux pour les années à venir, de la décroissance en politique ?

L’objectif des années à venir, c’est de faire avancer les choses afin que l’idée de décroissance se répande dans toute la société. Pour cela, il faut que le PPD se développe, pour après, passer par exemple des accords avec Les Verts. Et, ainsi faire plier Les Verts sur ce sujet. D’autre part, Olivier Besancenot a indiqué qu’il y avait des choses intéressantes dans la décroissance. Et pourquoi pas aussi rêver que la LCR adhère à cette logique ? Rien n’est fermé. Les choses avancent et évoluent chez les marxistes, et plus largement dans toute la société. Je serais ravi également que des gens de centre-droit comme Corinne Lepage nous rejoignent. Elle a une évolution politique intéressante. Quoi qu’il en soit, il y a des visions différentes de la décroissance. Les gens débattent. Nous, par exemple nous avons une approche plus républicaine que les libertaires, ce qui ne nous empêche pas de reconnaître leur travail sur la décroissance. À l’heure actuelle, le plus important c’est qu’un maximum de personnes s’engagent dans l’écologie politique.

Propos recueillis par Mikaël Chambru
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