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Mondialiser la régulation politique de l’économie ?!

février 2000, par Didier Claude-Rod, Ludovic Bu

Seattle, Davos, la Taxe Tobin aux Parlements canadien et européen (et bientôt aux USA), les événements mondiaux s’enchaînent. Non que leur rythme augmente. Simplement, la mobilisation citoyenne suit beaucoup mieux les nouveaux enjeux de ces discussions internationales. Cette nouvelle échelle de négociations, puis de décisions, pose un grand nombre de questions. Nous tenterons ici d’ouvrir un certain nombre de pistes pour y répondre.

1. La fin des structures internationales du XXè siècle

1.1. Des instances moins démocratiques et plus privées

Face à la mondialisation des échanges commerciaux , de la concentration quasi monopolistique des multinationales (Renault - Nissan, AOL - Time - Warner, etc.), mais aussi devant la mobilité accrue des citoyens du monde, les institutions internationales qui ont vu le jour au milieu du XXè siècle paraissent totalement dépassées. Le meilleur exemple nous est donné par l’ONU, qui, criblé de dettes , ne peut décider seule de ses actions, puisqu’elles dépendent des financements que chacun de ses membres, et en particulier les plus riches, voudront bien lui accorder. De même, des conseils tels l’ONUSIDA (Programme des Nations Unies pour la lutte contre le SIDA) ou l’OIT (Observatoire International du Travail) sont-ils totalement démunis pour répondre aux problèmes qu’ils rencontrent, à cause d’un manque récurrent de moyens financiers et politiques

Seules les institutions ayant trait au commerce continuent d’être totalement financées, et d’avoir les moyens de leurs directives. C’est ainsi qu’on a vu apparaître des instances de moins en moins démocratiques, car non élues, et aux modes de décision opaques (FMI, Banque Mondiale, OMC), ainsi que de puissants lobbies privés tels le Club de Londres ou la Chambre Internationale de Commerce. Ces instances jouent un rôle grandissant, puisque, par exemple, le FMI oriente très fortement les politiques économiques des Etats qu’il aide.

1.2. Une réappropriation du civisme par les citoyens

Dans le même temps, les citoyens, que l’on disait désintéressés de la chose publique , se réapproprient le débat, au travers de luttes et d’organisations nouvelles (Coordination pour le Contrôle Citoyen de l’OMC en France, Tobin Tax Initiative aux USA, War on Won en Grande Bretagne, ATTAC un peu partout, ou dernièrement Alter Davos, pour ne citer que quelques exemples). Les mobilisations ont aussi une échelle mondiale. On se souvient entre autres de l’aide apportée par les paysans américains à José Bové pour payer sa caution.

Plutôt que de s’engager dans les partis politiques, ces citoyens se font les précurseurs de pistes pour réguler la fuite en avant des échanges économiques mondiaux . Les politiques suivent le sens du vent, et diverses initiatives, en particulier en faveur de la Taxe Tobin, voient le jour au quatre coins du globe, pour contrer le néolibéralisme croissant. Au Parlement européen, c’est un vote raté de peu pour que l’on étudie les modalités de mise en place de la Taxe, au Canada, cette étude est lancée par le gouvernement, à la demande des deux tiers du Parlement national (y compris des députés libéraux et ultra-conservateurs. Eux n’ont ni travaillistes anglais, ni trotskistes français...), aux Etats-Unis, le député De Fazio prépare une résolution allant dans le même sens . D’autres initiatives visant à contrer la libéralisation sauvage des échanges commerciaux trouvent tout autant d’échos auprès des citoyens, qu’ils soient occidentaux ou du Sud. Certaines institutions suivent. Ainsi, Daniel Lebègue, Directeur Général de la Caisse des Dépôts, déclare-t-il que "le besoin de régulation des marchés et des acteurs financiers n’est plus aujourd’hui contesté par personne". On assiste donc à une course de vitesse entre mondialisation néo-libérale et mondialisation citoyenne.

2. Inventer un gouvernement mondial pour le XXIè siècle ?

2.1. Pas d’OMC, mais...

Dans ce combat pour la Taxe Tobin et contre l’Organisation Mondiale du Commerce, les écologistes ont toujours été en pointe. Cette année, avec le relais de multiples ONG, ils ont pu dénoncer les méfaits de la libéralisation commerciale, tout en montrant du doigt les dysfonctionnements du Commerce Mondial, et de l’OMC, son organisation. Pourtant, chacun s’accorde à dire qu’il faut un ou plusieurs organismes pour réguler la vie sur Terre. En effet, il n’est pas concevable d’accepter un libéralisme absolu, tant en matière de commerce qu’en matière de santé ou encore d’environnement. Face à ce constat, les interrogations restent nombreuses sur la (les) structure(s) à proposer.

2.2. Mettre en œuvre la perception et la répartition de la Taxe Tobin

Si l’on admet la mise en place prochaine d’une taxe sur les transactions financières internationales à court terme, il faut également s’interroger sur les moyens de la percevoir, ainsi que sur les modes de décisions de sa répartition. Quel que soit le continent, tout le monde s’entend : il faut que l’argent d’une telle taxe serve à aider les Pays en Développement. Au Parlement européen, le rapport Schwaiger sur les négociations du Millenium Round débute sur un constat clair : « le processus actuel de libéralisation des échanges ne profite toujours guère à de larges secteurs de la population des pays en développement, notamment les pauvres, et (...) les intérêts et les préoccupations des pays en développement doivent, partant, être pleinementpris en compte dans le système commercial mondial » . Le Ministre canadien des finances, Paul Martin, déclare que la taxe serait « un moyen pour engranger de l’argent pour l’environnement et pour les problèmes du Tiers Monde ».

Pourtant, les moyens de préserver l’environnement ou d’aider les PVD ne sont pas compris par tous à l’identique. Devant la Commission du Développement du Parlement européen, le 23 novembre dernier, C. Michalopoulos, représentant de la Banque Mondiale, déclarait « Il est de notoriété publique que la Banque Mondiale voit le marché libre comme essentiel à la poursuite de l’objectif du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »... La Commission européenne et certains gouvernements entendent poursuivre leur croisade libre-échangiste par la mise en place d’un Nouveau Marché Transatlantique (NTM !). De même, le principe de précaution, que l’on retrouve désormais dans tous les textes officiels, n’est pas vu par tous sous le même angle. A propos du bœuf aux hormones, le tribunal de l’OMC décida que l’Union européenne devait lever son embargo, car le principe de précaution ne pouvait être appliqué jusqu’à ce que l’évaluation des risques soit achevée ! Ainsi, il convient de se pencher sur les modalités de construction d’un gouvernement mondial démocratiquement élu, qui ne laisse pas le pouvoir de décision à quelques experts très orientés.

2.3. Un pari fou : instaurer une instance internationale démocratique

En parlant des Etats, on dit qu’ils existent par trois fonctions : organiser leur défense, battre monnaie et lever l’impôt. Qu’en serait-il pour un gouvernement mondial ? Bien évidemment, son premier rôle serait de prélever la taxe Tobin et de la redistribuer au service des pays en développement, et plus généralement de diriger une fiscalité mondiale et des mécanismes de redistribution au service de l’intérêt général et de la préservation du système Terre. Pour ce qui est de la Défense, plus d’ennemis en vue, si ce n’est économiques. Donc, il faudra éviter les désordres et les crises, en créant des fonds de réserve pour l’aide et le développement de zones sinistrées ou de conflits. Bien sûr, une force d’interposition sera de vigueur, pour éteindre les incendies que les souverainistes de tous poils ne manqueront pas de déclencher.

Et, à l’exemple de l’Euro pour l’Europe, ou du dollar qui fait aujourd’hui office de monnaie mondiale, ce gouvernement pourraitbattre monnaie, ce qui aurait pour effet immédiat de ne plus permettre la spéculation sur les monnaies nationales, ce qui a provoqué tant de crises économiques. Cette monnaie serait un premier pas vers la régulation du commerce mondial, qui aurait comme but un mieux disant économique et social, c’est à dire qui permettrait d’accorder des avantages à des zones sinistrées ou en retard. On en viendrait également à une fiscalité commune, en faisant disparaître les paradis fiscaux, qui créent des appels d’air pour les mouvements de capitaux. Cette fiscalité mondiale permettrait la mise en place d’une politique de welfare mondialisée et de développement durable. Dans ce cadre pourrait s’envisager la dissociation partielle entre travail et revenu avec une éventuelle allocation universelle, assurant aux 8 milliards d’humains sur la terre dans 20 ans de vivre décemment et librement. Enfin, et c’est la condition sine qua non des précédents points, ce gouvernement mondial aurait pour mission principale de réguler la distribution de l’eau, qui sera la monnaie du XXIè siècle, et donc l’instrument de domination des uns sur les autres si rien n’est fait.

2.4. Quel construction pour un tel gouvernement ?

La construction de l’Europe dure depuis plusieurs décennies, et n’a pas toujours été facile. Aujourd’hui, à l’aube de l’adhésion d’une dizaine de nouveaux pays, les questions se multiplient sur les structures à adopter pour que l’élargissement ne soit pas un fiasco. Avec l’arrivée du FPÖ au pouvoir en Autriche, on voit également que les traités internes ne permettent pas de se prémunir contre la gangrène.

Dans l’optique d’une démocratie maximale, on se basera évidemment sur une construction parlementaire, aidée dans ses tâches par diverses organisations satellitaires et spécialisées, la conseillant. Dans son processus décisionnel, cette Assemblée pourra ainsi s’appuyer sur des Conseils Economique et pour le Développement, pour la Santé, pour l’Environnement ou encore pour l’Emploi, qui n’auront que des rôles d’experts. Il nous apparaît que c’est toujours au politique de trancher en dernier ressort, sinon on risque de tomber sur les dérives connues aujourd’hui par le FMI ou l’OMC.

Pourtant, il sera très difficile de composer avec plus de 200 pays. En effet, quelle répartition des voix pourrait-on proposer pour composer une chambre parlementaire ? Si l’on part sur la base d’une voix par pays, la tentation de scission sera renforcée. Si c’est la taille des pays qui est prise en compte, les pays désertiques seront surreprésentés et les pays à forte densité oubliés. Quant à s’appuyer sur la prospérité économique, nous ne pouvons nous y résoudre : ceux qui sont mis au banc des décisions mondiales aujourd’hui le serait toujours demain.

De même, dans l’optique de composer une assemblée parlementaire représentative des sensibilités politiques de chacun des pays membres, il faudrait compter sur entre dix et quinze élus par pays, soit plus de 2000 parlementaires ! Impossible de réunir tant de personnes dans un hémicycle unique. Ne parlons même pas des difficultés pour traduire simultanément toutes les langues qui seront parlées dans une telle assemblée. Il faut donc inventer, avec l’aide des nouvelles formes de communications, des moyens de débattre en se trouvant dans plusieurs parties du globe. Par ailleurs, il ne faudra jamais perdre de vue que les pays pauvres ont quelques fois du mal à envoyer des délégations dans les discussions mondiales, par manque de moyens la plupart du temps, et parfois par manque de culture diplomatique. Ce dernier point amène l’interrogation sur la possibilité d’instaurer des élections démocratiques pour l’Assemblée Mondiale dans des pays totalitaires ou autoritaires. Aujourd’hui, l’Union européenne peine à introduire l’obligation de "bonne gouvernance" dans ses accords de partenariat avec les pays ACP . On imagine ce qu’il en serait avec une majorité des pays du Monde participant aux discussions.

Par contre, la question du financement d’une telle instance, ainsi que de son indépendance, est rassurante : le simple prélèvement de la taxe Tobin devrait suffire. En effet, selon les estimations et les pourcentages de taxation proposés (de 0,05% à 1% des montant investis), les sommes prélevées équivaudraient à entre 100 et 166 milliards de dollars annuels ! Ainsi, on mettrait fin au chantage systématique dont abusent certains Etats sur les organismes mondiaux. De même, alors qu’aujourd’hui, les multinationales ont des budgets plus importants que les Etats , le rapport de force serait également rééquilibré.

En attendant de pouvoir aller si loin, et puisque les transactions financières mondiales passent essentiellement par 9 pays, nous pouvons continuer à pousser ceux-ci, accompagnés de quelques autres, à instaurer une taxe Tobin sur leurs territoires, pour contrôler démocratiquement le développement du commerce mondial.