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Un social-libéralisme à la Française ?

Fondation Copernic

juin 2002, par Jérôme Gleizes

Un social-libéralisme à la Française ? par la Fondation Copernic, La Découverte, 15 €

Cet ouvrage collectif de la fondation Copernic analyse la politique
économique du gouvernement Jospin pour aboutir à la conclusion que "le
social-libéralisme est une stratégie cohérente qui vise à accompagner
socialement l’adaptation des sociétés aux besoins du capitalisme financier
globalisé".
La social-démocratie a abandonné le compromis fordiste pour le social-
libéralisme qui prolonge les politiques libérales des années 80. Elle vise
une alliance des nouvelles couches sociales qui se sont détachées du
salariat traditionnel (cadres dirigeants des entreprises, des institutions
financières, des secteurs en expansion) et du capital. La logique
financière se substitue à la logique fordiste industrielle, la gouvernance
d’entreprise et le pouvoir des actionnaires à la logique de partage
équitable de la valeur ajoutée entre salariés et actionnaires. La
transformation de la retraite par répartition en capitalisation joue ainsi
un rôle important dans cette logique.

Ayant perdu les instruments traditionnels de la politique économique avec
les traités de Maastricht et d’Amsterdam, le gouvernement Jospin a profité
de mesures structurelles comme la réduction du temps de travail pour
adapter l’économie française au capitalisme financier globalisé tout en
préservant un volet de sécurité minimale avec la mise en place de la
Couverture Médicale Universelle.

Durant cette période, le chômage baisse régulièrement et les libéraux y
voient le résultat de la politique de "désinflation compétitive" qui prône
l’austérité salariale et budgétaire, le franc fort, la réduction du coût du
travail, afin d’améliorer la compétitivité-prix des entreprises et donc
leur capacité d’embauche. Les auteurs pensent que ce schéma qui n’a pas
fonctionné avant 1997 n’explique pas plus ce qui s’est passé depuis. Ils
proposent un schéma qu’ils nomment hétérodoxe mais qui est en fait un
schéma keynésien de hausse du pouvoir d’achat et de baisse des taux
intérêts pour favoriser la consommation et l’investissement. Les 35 heures
ont permis d’enrichir le contenu en emploi de la croissance, la masse
salariale globale (et pas forcement le niveau de salaire individuel). Le
niveau faible de l’euro a aussi favorisé les exportations et la baisse de
la TVA a permis d’augmenter le revenu disponible des ménages. Il est à
noter que paradoxalement, ils incluent dans les facteurs de la hausse du
pouvoir salarial, les effets de la désinflation qui a entraîné une baisse
des taux d’intérêts et une hausse du salaire réel (déduit de l’effet prix).
Les auteurs divergent entre eux sur le rôle du gouvernement Jospin : a-t-il
seulement profité d’une situation macro-économique favorable sans sortir de
la logique néo-libérale ou a-t-il infléchi cette logique ? Ils s’accordent
cependant sur le fait que le gouvernement s’est contenté d’une stratégie
"milieu du gué" : création d’emplois mais pas pour les plus exclus qui ont
vu les minima sociaux (et donc leur pouvoir d’achat) augmenter moins que
les salaires, réduction du temps de travail qui a permis de créer 400 000
emplois mais avec une dégradation des conditions de travail et une perte
salariale pour les plus défavorisés, refus de la "refondation sociale" du
MEDEF mais mise en place du PARE, fin du dogme du gel de l’emploi public
mais poursuite et amplification des privatisations de services publics.

Les auteurs remarquent cependant que les institutions européennes et la
logique actuelle néo-libérale de la construction européenne limitent les
marges de man ?uvre de la politique économique, aggravé en cela par la
cohabitation. Le gouvernement Jospin a ainsi mené une politique d’équilibre
qui s’est transformé au fur et à mesure des compromis en équilibrisme
précaire laissant les contradictions initiales inconciliables avec les
franges électorales visées.

Les auteurs ne se limitent pas à une analyse critique de la politique
passée mais proposent aussi une politique alternative moins tributaire de
la logique financière des actionnaires, avec pour objectif de "promouvoir
une activité riche en emplois et répondant aux besoins des populations,
notamment en matière de santé et d’éducation" grâce à "l’affectation des
gains de productivité aux salariés" par une réduction continue du temps de
travail, une augmentation du pouvoir d’achat et des transferts sociaux.
La stratégie de la RTT avec maintien des salaires est au c ?ur de leur
objectif de "plein-emploi de qualité". Un chapitre entier y est consacré.
Elle permettrait un "partage du travail égalitaire", une "consommation de
services collectifs et culturels intensifs en qualification (.) et la
poursuite de la croissance des services domestiques" en freinant leur
marchandisation, d’améliorer l’organisation du travail. Les services
publics jouent un rôle important (Khalfa) et nous pouvons apprécier la
préconisation d’une ouverture vers les usagers.

Ce livre peut paraître cependant insatisfaisant en terme d’analyse
structurelle. Dans le premier chapitre, Sterdyniak montre les conséquences
de la logique de la société du travail (forcé) dans les mesures fiscales de
Jospin -favoriser les bas salaires qui travaillent (en particulier à
travers la prime d’emploi) au détriment des pauvres touchant des minima
sociaux- sans critiquer cette structure industrielle basée sur les basses
qualifications. Cette interrogation est d’autant plus pertinente que comme
l’indique Lordon, les études de l’OCDE ne montrent pas de relation
statistique entre coût de travail et emploi. Alors, pourquoi ne pas
proposer un revenu garanti personnalisé et une stratégie d’emplois
solidaires qui se substitueraient aux subventions indirectes des
entreprises et à la logique de baisse du coût du travail ?