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Y a-t-il une écologie politique du sud de l’Europe ?

samedi 23 mai 2009, par Ángel Valencia Sáiz

Alors que l’écologie politique semble s’être résolument installée dans le paysage
politique français et d’Europe du Nord, on constate qu’elle peine toujours à émerger
dans les pays méditerranéens où elle reste confinée à un rôle marginal. Ángel Valencia
Sáiz, qui est professeur de sciences politiques à l’université de Malaga et coordinateur
de l’ouvrage Izquierda Verde ("la gauche verte") aux éditions Icaria (2006), revient sur
les raisons historiques et idéologiques de ce phénomène en s’interrogeant sur la spécificité
du cas espagnol. Selon l’auteur, entre politiques d’alliances et construction d’un
espace politique propre, l’écologie politique du Sud se trouve aujourd’hui à la croisée
des chemins face au double défi que représentent les crises écologique et économique.
Cet article a été réalisé en collaboration avec Ecopolítica, centre espagnol de
ressources, d’études et de recherche sur l’écologie politique [1].

Les prochaines élections européennes de
juin 2009 constituent un test important
pour les partis écologistes européens.
D’un point de vue électoral, la question
pour le parti vert européen serait de
dépasser les résultats des élections
précédentes dans lesquelles ils ont
obtenu 34 sièges, c’est-à-dire 4,6% des
732 sièges que comptait alors le
Parlement européen. Sans aucun doute,
dans la conjoncture actuelle, atteindre
les 5% des sièges lors des prochaines
élections en juin serait un résultat magnifique
dans une Union européenne
constituée de 27 membres. En effet,
l’analyse de la participation des partis
écologistes dans les élections
européennes depuis 1979 à 2004 montre
une tendance vers une croissance
modérée et une consolidation du vote
vert [2]. Il s’agit d’un phénomène intéressant
si on tient en compte la particularité
de ces élections, les hauts niveaux d’abstention,
la jeunesse de ce type de partis
formés dans la plupart des cas à la fin des
années 1970. Cependant, la perspective
d’une légère progression des partis verts
lors des prochaines élections
européennes peut être assombrie par la
grave crise économique que nous
souffrons actuellement. Ainsi, ce que les
partis verts européens jouent lors du
rendez-vous électoral de juin, c’est savoir
quelle est la stratégie la plus adéquate pour obtenir une plus grande représentation
politique.

Dans tous les cas, et au-delà de ce défi
politique d’actualité, le présent réclame
aussi une réflexion sur le rôle que l’écologie
politique joue en Europe face à la
crise écologique et économique globale.
Cela implique qu’il faut admettre que les
pays du Nord et du Sud de l’Europe
présentent des niveaux différents de
développement et d’extension des
valeurs vertes dans la société ainsi
qu’une influence et un succès politique
différents des mouvements et partis
verts. Il y a donc une Europe verte asymétrique,
à deux vitesses, ou, si l’on peut
dire, une écologie politique du Nord et
une écologie politique du Sud de
l’Europe. Le cas espagnol en serait un
bon exemple, étant un pays où l’écologie
politique présente des différences en
comparaison avec d’autres pays
européens environnants. Ceci se
manifeste dans divers aspects : une
moindre conscientisation environnementale
au sein de la population, une
politique environnementale purement
adaptative aux exigences de la politique
communautaire, une influence assez
limitée des mouvements verts dans la
société et dans le processus de prise de
décision de la politique environnementale
et, enfin, une série d’essais
infructueux jusqu’à maintenant d’articuler
un parti écologiste avec un niveau
de représentation et de présence institutionnels
semblables à ceux des autres
pays européens.

Les raisons de la faiblesse de l’écologie
politique en Espagne sont complexes
mais on pourrait les résumer à deux
types : d’un côté, celles qui résultent des
problèmes et évolutions de l’écologisme
espagnol, et d’un autre côté, celles qui
ont à voir avec le propre développement
des mouvements sociaux et du système
politique dans la transition espagnole.
Ainsi, par exemple, un des principaux
problèmes de l’écologie politique
espagnole a été "la constante ambiguïté
idéologique de la plus grande partie du
mouvement écologiste, si divers et multiforme,
bien que ses idées théoriques et
pratiques aient été forgées dans le giron
de la gauche. Jusqu’à la période de plus
grande politisation (1970-1982), l’écologisme
espagnol a été réticent envers les
partis politiques et, quand un secteur
minoritaire a décidé de se constituer en
option électorale (Los Verdes, 1983), il
n’a reçu que peu de sympathies au sein
de ses compagnons, au contraire de ce
qui s’est passé dans d’autres pays
européens" [3].

La division de l’écologie politique
espagnole et le manque d’un leadership
clair ont été des facteurs fondamentaux
qui ont empêché d’agglutiner son hétérogénéité
idéologique et sa dispersion
organisationnelle à l’intérieur d’une
stratégie politique unitaire, et concrètement
d’un parti vert. En plus, la transition
démocratique a entraîné un processus de
fragilisation des "nouveaux mouvements
sociaux", influencé par le propre
processus de consolidation des partis
politiques du nouveau régime démocratique.
Ce contexte n’était pas non plus le
plus adéquat pour le développement du
discours politique alternatif dont a
besoin un parti vert, ce secteur ayant été
occupé, dans ce cas, par Izquierda Unida
(IU). Enfin, le système politique espagnol
a rendu difficile le développement des
mouvements et des partis écologistes :
ni le système électoral ni le propre
développement des mouvements sociaux
autour de luttes ponctuelles n’a favorisé
le développement d’un parti vert dans
notre pays avec un espace politique
propre.

Par conséquent, et pour les raisons
signalées ci-dessus, un des éléments
caractéristiques de l’écologie politique
en Espagne a été jusqu’à maintenant
l’échec pour impulser un parti vert avec
un espace politique propre. Au contraire,
c’est l’orientation écosocialiste qui a
défini l’écologie politique espagnole,
donnant lieu à une série d’expériences d’alliances. Sur le plan théorique,
l’œuvre de Manuel Sacristán a été fondamentale
pour comprendre le
développement postérieur de cette école
de pensée, à travers d’autres auteurs
plus récents comme par exemple Jorge
Riechmann. Une des raisons possibles de
ce phénomène est due à la spécificité du
cas espagnol, c’est à dire à une série de
facteurs historiques dérivés du changement
politique démocratique. "Dans le
cas espagnol, l’hégémonie écosocialiste
correspond bien plus à des facteurs
historiques et locaux, comme l’arrivée
tardive de la démocratie et le rôle des
partis communistes dans la lutte antifranquiste
et dans la transition, ainsi que
dans la structuration postérieure des
mouvements de transformation sociale.
Ces facteurs ont débouché sur une
faiblesse organique du mouvement vert
– renforcée par les questions nationales,
une forte division interne et la difficulté
de représenter la courroie de transmission
politique du mouvement social
écologiste – et dans le développement
d’une puissante école écosocialiste" [4].

Cependant, le phénomène de la gauche
verte en Europe acquiert une nouvelle
dimension, ainsi que je l’ai déjà affirmé,
et "il s’agit aussi bien d’une rénovation
de ses fondements théoriques que d’une
convergence politique entre la gauche et
les partis écologistes, ce qui a donné lieu
à une série d’expériences de participation
dans les gouvernements locaux,
régionaux et nationaux, depuis la
décennie des années 90 jusqu’à
aujourd’hui. Il s’agit d’un changement
complexe dans les relations entre la
gauche traditionnelle et la politique verte
au sein d’une processus novateur de
convergence entre écologisme et socialisme.
C’est le résultat d’un côté d’une
politique d’alliances entre partis sociaux-démocrates
et partis écologistes et, d’un
autre côté, d’une série de partis qui
provenaient de la tradition communiste
et qui ont évolué vers des forces politiques
rouge-vertes et ont établi aussi des
nouvelles alliances avec des forces politiques
de la gauche ou avec des partis
verts" [5]. La référence en Europe est
l’expérience de participation gouvernementale
des Verts, principalement dans
le gouvernement rouge-vert allemand de
1998 à 2005. Dans le cas espagnol, cela
se fonde sur les expériences basques et
andalouses des Verts avec Izquierda
Unida ou le parti socialiste espagnol
(PSOE), le cas baléare de Els Verds et le
Pacte du Progrès et, finalement, le cas
catalan avec Iniciativa per Catalunya-
Verds (ICV) comme un parti rouge-vert au
sein du gouvernement tripartite [6].

En synthèse, la domination politique et
idéologique de l’écologie politique en
Espagne semble être définie par la
gauche verte. Ses résultats politiques
constituent un progrès intéressant mais
néanmoins faible et instable : une
présence testimoniale dans le parlement
national et une participation dans
quelques-uns des gouvernements locaux
et régionaux.

Face à cette situation, le dilemme de
l’écologie politique en Espagne est
d’opter pour un espace politique au sein
de la gauche verte et caractérisé par une
politique d’alliances ou, au contraire, de chercher un espace politique propre qui
rende viable un parti vert comme force
politique autonome et avec un discours
clairement différencié des autres forces
politiques. Dans ce dernier cas, l’européanisation
de "l’espace idéologique et
politique constitue une raison pour
soutenir l’existence d’un modèle
autonome d’écologie politique. Ainsi la
forte évolution de l’écologie politique
dans les pays de l’Est, les coalitions de
centre-droit à échelle nationale en
Irlande, Finlande ou République tchèque,
la dynamique d’union des écologistes en
France, la persistance d’une dynamique
en Espagne à la recherche d’un espace
propre et le large débat idéologique qui
agite le mouvement vert européen autour
du libéralisme ou des marges de
manœuvre au sein du système capitaliste,
nous incitent à rouvrir le débat
autour des relations entre écologie,
socialisme et gauches et penser ses
implications pratiques" [7]. Dans tous
les cas, chaque choix stratégique est
compliqué dans ce moment historique et,
bien sûr, le succès n’est garanti ni à court
ni à moyen terme. La raison fondamentale
est que l’écologie politique
aujourd’hui ne fait pas seulement face à
la crise écologique, son référent habituel,
mais aussi à la crise économique
mondiale que nous sommes en train
d’endurer. Cela complique la recherche
d’un espace politique propre et, ainsi, la
recherche du choix stratégique le plus
indiqué.

En effet, à la crise écologique, se rajoute
maintenant la récente crise économique
mondiale. Une fois de plus, l’urgence de
l’économie peut nous faire oublier la
centralité de l’environnement et prioriser
la croissance économique au détriment
du développement soutenable. Ainsi, un
des dilemmes actuels est de savoir si la
crise économique constituera un obstacle
ou une opportunité pour atteindre une
société soutenable. Selon moi, il faut
réfléchir à des formules intelligentes qui
impliquent une opportunité pour aborder
simultanément la crise économique et
écologique que nous endurons. Joan
Martínez Alier, une des voix les plus
autorisées sur les plans national et
international concernant l’économie
écologique, affirme judicieusement
"qu’un keynésianisme vert est à
conseiller, qui augmente l’investissement
public dans la conservation d’énergie,
dans les installations photovoltaïques,
dans le transport public urbain et la
réhabilitation de logements, dans l’agriculture
biologique. Cependant il n’est pas
recommandable de continuer dans la foi
dans la croissance économique. Dans les
pays riches, il est nécessaire d’obtenir
une légère décroissance économique qui
soit socialement soutenable" [8]. D’un
côté, ceci implique que l’économie
décroisse matériellement et en consommation
énergétique et, d’un autre, une
opportunité pour changer notre mode de
vie. Un keynésianisme vert accompagné
d’une décroissance soutenable peut être
une sortie de la crise économique qui
conduise vers une société plus soutenable.
Il y a des semblants de
keynésianisme vert dans les premières
mesures vertes prises par le nouveau
président des États-Unis, Barack
Obama [9] après avoir impulsé une
"économie de l’énergie" qui impliquent
comme principales mesures d’un côté un
pari sur les énergies renouvelables et,
d’un autre côté, des normes de limitation
de la consommation de l’essence et de
réduction des émissions, applicables aux
nouveaux modèles de voitures pour 2011.
L’idée est de mettre en place un nouveau
moteur économique qui crée de l’emploi
et lutte contre le changement climatique –
on attend aussi un virage profond de la
politique internationale nord-américaine
précédente grâce à une "coalition climat"
impliquant la ratification du Protocole de
Kyoto non seulement par les États-Unis
mais aussi par la Chine et l’Inde.

Dans ce contexte, le rôle des citoyens est
fondamental pour l’obtention d’une
société soutenable. L’espace politique de
l’écologie politique doit partir d’idées comme celle de la "décroissance soutenable",
mais en plus doit contribuer à
renforcer la conscience environnementale
et les politiques environnementales
qui tentent de résoudre les problèmes
écologiques actuels comme, par
exemple, le changement climatique. De
plus, et aussi important que le point
précédent, les mouvements et partis
verts doivent agir fermement en
élaborant des propositions qui abordent
ces problèmes mais aussi doivent
travailler sérieusement au sein de la
population pour changer les habitudes
de consommation et le style de vie de nos
sociétés. Bien que le discours politique
de l’écologie politique ait été introduit
dans les partis politiques traditionnels et
dans les politiques environnementales, le
recours à l’État n’est pas suffisant pour
obtenir les changements dans la vie
quotidienne des citoyens, échelons
pourtant fondamentaux afin d’évoluer
vers la soutenabilité.

Évidemment, cette tâche est plus simple
pour les pays de l’écologie politique du
Nord que pour nous, ceux du Sud.

En Espagne, la conscience environnementale
des citoyens est encore loin des
autres pays européens pour l’engagement
à changer ses habitudes de
consommation. Aussi, tout au long de cet
article, nous avons argumenté que le cas
espagnol présente un modèle proche de
que ce nous avons appelé une écologie
politique du Sud de l’Europe, caractérisée
par une faible représentation
politique, un cheminement difficile et
avec quelques résultats dans les politiques
et régionales de certaines communautés
autonomes au travers d’alliances
instables au sein du mouvement de la
"gauche verte" ou fortement écosocialiste.
Le défi est encore plus compliqué
avec la convergence de la crise économique
globale et de la crise écologique.
Cependant, l’écologie politique dans
notre pays doit affronter cette conjoncture
comme une opportunité historique
afin d’avancer vers la consolidation d’un
espace politique propre.

Traduit par Florent Marcellesi


[1Pour plus d’informations, voir www.ecopolitica.org.

[2Pour une analyse plus large de l’évolution des
partis écologistes en Europe dans les élections
européennes de 1974 à 2004, voir VALENCIA SÁIZ,
A., "La izquierda verde y los partidos ecologistas",
dans A. VALENCIA SÁIZ (éd.), La Izquierda verde,
Icaria, Barcelona, 2006, p. 190-197.

[3FERNÁNDEZ, Joaquín, El Ecologismo español,
Alianza, Madrid, 1999, p. 9-10.

[4MARCELLESI, Florent, Ecología política : génesis,
teoría y praxis de la ideología verde
, Cuaderno
Bakeaz, nº 85, 2008, p.15.

[5VALENCIA SÁIZ, Ángel, "Introducción : Izquierda
sí, pero sostenible", dans A. VALENCIA SÁIZ (éd.), La
Izquierda verde
, op. cit.

[6En Catalogne, le gouvernement tripartite est
composé du Parti Socialiste Catalan (PSC),
d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC – parti
indépendantiste de gauche) et d’Iniciativa per
Catalunya-Verds (ICV).

[7MARCELLESI, Florent, Ecología política : génesis,
teoría y praxis de la ideología verde
, op. cit., p.10.

[8MARTíNEZ ALIER, Joan "Decrecimiento sostenible",
dans Sur (supplément argent et emploi),
8 février 2009, p.16.

[9Voir El País, 27 janvier 2009, pp.1-3.