Accueil > Les dossiers > Du printemps-été 2009 à l’été 2010 > N° 32 (printemps 09) / Quelle Europe pour quelle écologie ? > Dossier > Si l’on veut que l’Europe contribue à changer la planète cela (...)

Si l’on veut que l’Europe contribue à changer la planète cela passe par la sortie du capitalisme

Propos recueillis par Simon Barthélémy

samedi 23 mai 2009, par Michaël Löwy

Michaël Löwy est philosophe, directeur de recherches émérite au CNRS. Ce
franco-brésilien défend depuis 2001 le concept d’écosocialisme, notamment au sein du
Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et de sa commission écologie. Minoritaire sur cette
position, il présente ici les convergences internes à son parti et les divergences avec les
autres forces politiques écologiste. D’ailleurs, mais la confrontation de ses propos avec
les autres textes du dossier nous montre peut-être des convergences futures.

EcoRev’ : Les partis de la gauche anticapitaliste
abordent ces élections européennes
en ordre dispersé, sans parler d’un
rapprochement éventuel avec les écologistes.
Le regrettez-vous ?

Michaël Löwy – D’abord je tiens à dire
que l’écologie n’est pas une affaire
européenne, mais planétaire. Il est très
important que le mouvement écologiste
européen se lie à la mobilisation altermondialiste
et le Forum social mondial de
Belém, au Brésil, a été un moment
important pour cela. L’Amazonie a été au
centre du débat, avec une forte convergence
des revendications écologistes et
pour les droits indigènes, débouchant sur
un mot d’ordre : la déforestation zéro,
tout de suite. Cela suppose une bagarre
contre les latifundiaires [1], les éleveurs,
les producteurs de soja et les multinationales…
et donc une forte pression locale
des mouvements sociaux. Nous avons
affaire à une convergence des crises,
formant une crise de civilisation, celle du
modèle industriel, occidental et productiviste.
Selon l’AG des mouvements
sociaux de Belém, le responsable de
cette crise est le système capitaliste.
Pour revenir à votre question, la dispersion
de la gauche antilibérale et
potentiellement anticapitaliste aux
élections est donc regrettable, car nous
risquons de ne pas avoir d’élus. Le NPA
aurait pu avoir une attitude plus ouverte
envers le Front de gauche. Mais nous ne
devons pas mythifier l’importance du
Parlement européen, dont les pouvoirs sont limités. Quant à la liste Europe
écologie, elle est très hétérogène et
comporte des candidats proches de nos
positions, mais aussi des sociaux libéraux
qui ne mettent pas en question
le capitalisme ni même les logiques
libérales, notamment les Verts français
ou allemands, avec lesquels une alliance
du NPA n’est pas pensable. Nous aurions
pu en revanche nous rapprocher des
décroissants ou de certains membres
d’Europe Écologie, comme José Bové,
malheureusement cela ne s’est pas fait.

Mais si des députés NPA sont élus, ils
siègeront aux côtés de forces productivistes
membres de la Gauche Unitaire
Européenne (GUE)…

La question de l’inscription à un groupe
est purement technique. Nous avons
beaucoup de désaccords avec certains
partis de la GUE, notamment les communistes.
Mais nous sommes plus proches
d’eux sur les questions sociales que du
parti Vert européen, dominé par des
courants libéraux, sauf en Angleterre.
Pour les Grünen toutes les réformes
possibles s’inscrivent dans la logique de
l’économie de marché. Par exemple le
protocole de Kyoto, dont le marché des
droits de polluer, les mécanismes de
développement propre, permettent de
contourner les changements structurels
nécessaires dans les pays du Nord. On ne
peut pas se satisfaire de cela si on veut
éviter le désastre. James Hansen, scientifique
de la Nasa, est hostile à la création
d’un marché de permis de polluer aux
États-Unis pour cette raison, car nous
n’avons plus que 10 ou 15 ans pour
changer radicalement de paradigme.
Mais cela ne nous empêche pas de faire
ponctuellement alliance avec le parti Vert
européen, sur la question du nucléaire
par exemple. Nous essayons de faire le
pont entre mouvements sociaux et écologistes
et de convaincre les syndicats de
l’importance de l’écologie.

L’Union Européenne vous semble-t-elle
réformable ? Adhérez vous à un projet de
Constituante ?

Si on veut que l’Europe contribue à
sauver la planète, cela passe par la sortie
du capitalisme, comme le dit Hervé
Kempf dans son très beau livre [NDLR :
voir notre critique dans la rubrique
Lectures]. Nous voulons une Europe
sociale, écologiste et démocratique, et
nous sommes pour une vraie assemblée
constituante européenne, démocratiquement
élue, qui puisse exprimer le
sentiment des populations. Mais ce qui
en sortira dépendra du fait que les gens
soient mobilisés et conscientisés.
Réformer l’Europe passe par les institutions,
mais surtout par les luttes des
peuples sur des objectifs concrets. On
doit par exemple demander une baisse
drastique des transports routiers, en
coupant les subsides accordés à ces
entreprises et en exigeant des conditions
de travail dignes pour leurs personnels.
La commission européenne n’est pas
disposée à le faire, ni à imposer un
moratoire sur les centrales thermiques au
charbon, comme le demande James
Hansen. Sauf si une pression sociale
l’oblige à le faire.

Molex, Continental… Les plans sociaux
qui font polémique actuellement concernent
des entreprises de l’automobile ou
ses sous-traitants. Un secteur dont le
déclin est plutôt une bonne nouvelle
d’un point de vue écologiste. Comment
le NPA concilie-t-il intérêts des travailleurs
et écologie ?

C’est un vrai problème qui fait débat
entre les commissions "écologie" et
"entreprises" du parti, pour parvenir à
une position commune. Notre mot
d’ordre est : "pas de licenciement, ce
n’est pas aux travailleurs de payer la
crise". Les industries privées doivent
assumer les restructurations en garantissant
l’emploi des gens : si vous n’arrivez
plus à vendre de 4X4, produisez des tramways, des métros... Ces reconversions
doivent être menées par les
entreprises. En cas de fermeture, elles
devront être nationalisées et constituer
un service public de production des
transports, orienté vers des objectifs
sociaux et écologiques, pas vers la
compétitivité et le profit.

Quelle différence faites vous entre
écosocialisme et écologie politique ?

Le concept d’écologie politique est, selon
moi, très large. Ceux qui pensent que
l’écologie ne doit pas seulement être une
science vont des Verts à la Décroissance,
en passant par l’écosocialisme, qui en
serait une des formes les plus radicales.
Une écologie qui ne serait pas sociale ou
un socialisme qui ne serait pas écologiste
seraient selon nous mutilés, l’une ne va
pas sans l’autre. L’écosocialisme est à la
fois une pratique et une critique de l’écologie
politique. Nous devons ainsi faire
un bilan de l’action des Verts aux gouvernements,
où ils ont pensé pouvoir
contourner le capitalisme ou le rendre
moins productiviste, et ont ignoré la lutte
des classes. De même, un paradigme
nouveau implique une analyse critique
du rouge, des mouvements ouvriers et de
ses courants dominants allergiques à
l’écologie, que ce soit le communisme
stalinien ou la social-démocratie. On ne
peut pas, comme le souhaite Alain
Lipietz, passer du rouge au vert. Cela
signifierait faire table rase des acquis du
marxisme, des programmes sociaux et
des luttes, alors que nous avons besoin
d’une critique de ces théories sur le
développement des forces productives.

L’écosocialisme ne s’est pas imposé
comme l’objectif de référence du NPA.
Comment le promouvoir ?

Le NPA a préféré le terme plus général de
"socialisme du XXIe siècle", mais l’écosocialisme
reste une de ses définitions
retenues et fait partie de son programme.
Il suscite c’est vrai des résistances de la
part des marxistes les plus traditionnels.
Nous avons toutefois lancé à Belém, lors
du Forum social, un appel pour transcender
les courants, ainsi qu’un réseau
pluri-partisan, implanté au Brésil, en
Grèce, en Turquie… En France, nous avons
le projet d’un réseau ouvert à des
adhérents de tous les partis, comme aux
militants inscrits dans aucune formation.


[1Les grands propriétaires terriens d’Amérique
latine.