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Du parlement continental au parlement mondial

mardi 23 mars 2010, par Gérard Onesta

Après nous être penchés sur différentes expériences locales capables d’intégrer la
dimension globale de la crise écologique, nous terminons ce dossier en faisant nôtre la
maxime "Penser global, agir global". Pour cela, nous nous faisons écho d’un article déjà
publié [1] de Gérard Onesta, député européen vert de 1999 à 2009, qui propose – à partir de
l’expérience européenne – une réflexion sur une démocratie mondiale au travers d’un
"parlement onusien réunissant des élus des Peuples", pour renforcer "la légitimité de la
gouvernance mondiale".

Où en serait aujourd’hui le projet européen
s’il était resté entre les mains des seuls
Chefs d’État ? Que serait l’Union
européenne si sa mécanique institutionnelle
se résumait à un rouage unique sous
la forme d’une seule assemblée où chaque
pays, quelle que soit la taille de sa
population, ne disposerait que d’un seul
siège ? Il y a fort à parier qu’un tel système
purement intergouvernemental se serait,
depuis longtemps, grippé. Il suffit de voir
les difficultés immenses qu’éprouve déjà le
Conseil de l’Union européenne quand il
s’agit de dégager des consensus sur la
plupart des dossiers clefs. Un tel système
où le blocage est quasi permanent existe
pourtant, ailleurs, au niveau de l’ONU…

Alors, pour ne pas tomber systématiquement
dans les mêmes travers, l’Europe
a d’abord choisi de créer une prime aux
"grands" pays en dotant son Conseil de
l’Union d’un système de points. On devait
absolument éviter d’en venir à un directoire
des puissants, car la création d’un tel
"Conseil de Sécurité européen" aurait brisé
net l’élan d’adhésion communautaire.

En effet, quel État de taille plus réduite
aurait pris le risque d’entrer dans un club
qui allait surdéterminer son avenir économique,
social et environnemental, sans y
avoir le moindre pouvoir d’y être entendu ?
Mais, plus subtilement encore, les "Pères
fondateurs" ont semé en Europe une autre
graine institutionnelle, qui allait s’avérer
extrêmement féconde…

Dès la création de la Communauté
européenne, le Conseil fut adossé à une
assemblée parlementaire. Certes, à ses
débuts, cette assemblée pesait peu dans
les mécanismes décisionnels, mais, déjà,
on y inventait une autre façon de concevoir
l’Europe. Car on ne s’y regroupait pas entre
ressortissants d’un même État, mais
spontanément, le plus souvent, par affinité
de famille politique. C’est ainsi qu’on
pouvait y dégager des majorités dépassant
les clivages nationalistes. Des ponts inédits
furent lancés, des liens complexes – impensables
ailleurs – furent noués. La cohésion
européenne se forgeait peu à peu au
Parlement, tandis qu’elle était toujours
soumise à rude épreuve au Conseil.

Le rôle de cette assemblée devint si évident
dans l’émergence du fait européen, qu’on
finit, en 1979, par l’élire au suffrage
universel direct.

Pour les penseurs de l’Europe d’alors, cette
nouvelle étape s’imposait, car il était
illusoire d’envisager les futurs élargissements
de l’Europe des Neuf, sans renforcer
d’abord l’outil qui permettait de "penser
transnational"…

Aujourd’hui, le Parlement européen est
solidement structuré en groupes parlementaires
plurinationaux, et, dans
l’hémicycle, les affrontements se font plus
sûrement au nom des valeurs des partis
politiques européens récemment créés, que
sous les couleurs des États-Nations. Cette
politisation et cette légitimité nouvelles ont
aussi entraîné des renforcements sans
précédent du poids et du rôle de ce
Parlement. Simple chambre de débat en
1979, elle deviendra, trois courtes
décennies plus tard, organe pleinement co-décisionnel.

Cette dynamique parlementaire européenne
est riche d’enseignements historiques,
notamment parce qu’elle peut éclairer de
façon originale le débat sur la création
d’une assemblée parlementaire similaire
auprès de l’ONU. Et c’est peu dire qu’il y a
urgence à repenser cette organisation de
pilotage planétaire, tant elle étouffe sous la
paralysie.

Certes, coupler à l’actuelle Assemblée
Générale des Nations Unies composée
d’obscurs diplomates, un nouveau
Parlement onusien réunissant des élus des
Peuples, renforcerait immédiatement la
légitimité de la gouvernance mondiale. Car
un Parlement tire sa force du lien direct
qu’il établit avec le citoyen : un programme
à exposer en amont pour être élu, des
options à défendre publiquement en son
nom propre en cours d’exercice, et des
comptes à rendre en fin de mandat pour
être reconduit. On est loin là des actuelles
tractations entre chancelleries…

Mais l’apport de cette assemblée nouvelle
irait bien au-delà de cette simple évidence
démocratique, car les comportements
induits restructureraient profondément la
géopolitique.

En effet, comme dans le cas européen
– parce que la représentation d’un État ne
se résumerait plus à une seule personne,
mais serait incarnée par une délégation
couvrant des options politiques plus
larges – la nature des débats en serait
aussitôt modifiée. Le choc des égoïsmes
étatiques de l’Assemblée générale serait
amorti dans ce nouveau Parlement par le
pluralisme d’expression au sein d’une
même représentation nationale, ainsi que
par les stratégies politiques transfrontières
qui en découleraient alors.

Comment peut-on d’ailleurs prétendre,
dans l’actuelle ONU, que toute la diversité
d’une population – classes sociales,
origines culturelles, âges, sexes – puisse
s’exprimer par une seule voix ? Ce centralisme
réducteur imposant à chaque pays
d’être univoque, caricature les positions de
chacun et forge les confrontations, jamais
les consensus. On sait pourtant qu’il y a
toujours plus d’intelligence dans plusieurs
têtes que dans une seule. Parlementariser
l’ONU reviendrait donc à superposer une
nouvelle grille d’analyse à l’actuelle logique
purement intergouvernementale. Cela
pousserait chacun à sortir de l’ombre de
son propre drapeau. Le début de la
sagesse, n’est-il pas d’aller découvrir un
peu de soi dans l’autre ?

La représentation plurielle, modulée d’un
État à l’autre, définirait ainsi une image
globale reflétant mieux le visage et la force
de chaque nation, et éviterait d’avoir
recours à des mécanismes correcteurs aux
effets pervers.

C’est parce que la Principauté de Monaco
pèse autant que la Chine à l’Assemblée
générale de l’ONU – une voix chacune –
que l’on justifie l’existence et la prééminence
de l’actuel Conseil de Sécurité, où les
puissants (en fait, les seuls vainqueurs de
la seconde guerre mondiale) ont droit de
veto absolu.

Ce Conseil de Sécurité est la résultante de
l’absence de toute autre forme de pondération
entre États, et l’histoire sanglante
des échecs onusiens, depuis plus de 60
ans, est le triste miroir de l’usage de son
droit de veto.

Une assemblée parlementaire au cœur de
l’ONU permettrait aussi de dépasser tout
cela, en instaurant – comme c’est le cas au
Parlement européen – une forme de proportionnalité
entre le poids politique et
démographique d’un État et son nombre de
sièges dans ce nouvel organe.

Cette assemblée, à ses débuts, ne serait
sûrement composée, comme ce fut le cas
en Europe, que de parlementaires délégués
durant quelques jours par an par leurs
assemblées nationales respectives. Mais
l’exemple européen nous indique qu’il
suffira, peut-être, de peu de décennies pour
que ce Parlement planétaire soit irrémédiablement,
un jour, élu au suffrage
universel direct. On reste songeur en
imaginant l’impact émotionnel historique
d’un tel scrutin…

Quand ce moment viendra, dans un monde
chaque jour plus interdépendant, fragilisé à
l’extrême par les bouleversements économiques,
sociaux et environnementaux,
l’Humanité, en lançant ce formidable
processus intégrateur, pourra, enfin, espérer
la Paix mondiale…


[1Onesta Gérard, "A European to a World Parliament"
in The Case for Global Democracy, Advocating a United
Nations Parliamentary Assembly
, (Piia-Noora Kauppi,
Jo Leinen, Graham Watson, Gérard Onesta, 2007).