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Ne soyons pas des écologistes benêts

Aurélien Bernier, Michel Marchand et le M’Pep, Mille et une nuits, 2010, 3,50 euros

mars 2011, par Pierre Thiesset

Dans les années 60 et 70, les précurseurs de
l’écologie étaient dénigrés, tournés en ridicule par
les firmes et autorités politiques. Il ne fallait surtout
pas les prendre au sérieux, ces lanceurs d’alerte trop
subversifs [1]. Mais progressivement, devant des
périls environnementaux de plus en plus prégnants,
les dirigeants ont arrêté de se voiler la face. Alors
les pollueurs ont massivement investi dans
l’écoblanchiment, les médias ont évoqué les
menaces, et les gouvernements ont pris en main la
question. L’écologie banalisée a été vidée de toute
critique trop radicale. "Il ne s’agit plus de se désintéresser
du discours écologiste, mais de l’intégrer,
de le digérer, pour continuer à faire le même
business, la bonne conscience en plus." [2]

Aurélien Bernier, Michel Marchand et le Mouvement
politique d’éducation populaire (M’PEP) dénoncent
cette écologie de benêts. Cette bien-pensance
affichée par les détenteurs du pouvoir ne doit pas
masquer leur priorité : "La pérennité de l’ordre
économique mondial." L’échec de Copenhague l’a
révélé de manière crue. "Rien ne doit entraver la
course à la puissance et aux bénéfices. Le
capitalisme doit être préservé, renforcé, quitte à la
repeindre en vert pour qu’il devienne présentable
aux yeux fatigués de l’opinion publique."

Non, le salut ne viendra pas des petits gestes
d’"éco-citoyen", des technologies "vertes" ou des
marchés spéculatifs de droits à polluer [3]. Toutes
ces stratégies de diversion visent à "ne jamais
désigner les vrais coupables de la destruction de la
planète". Ne soyons pas des écologistes benêts,
exhortent les auteurs : "L’épuisement des énergies
fossiles, les émissions massives de polluants et la
destruction environnementale sont imputables à
l’économie productiviste qui s’est emballée et
mondialisée au cours des trente dernières années."
Il faut donc en sortir.

Après avoir nommé l’ennemi capitaliste et montré la
nécessité de l’abattre, Aurélien Bernier, Michel
Marchand et le M’PEP font une rapide analyse des
positions d’acteurs du mouvement écologiste [4].
Pour conclure en présentant leurs "politiques
publiques de rupture avec le système actuel". S’ils
refusent le terme de "décroissance", ce mot-obus
jugé trop "inquiétant", ils se nourrissent
copieusement des travaux d’Hervé Kempf, de Paul
Ariès, se revendiquent anti-productivistes et prônent
une écologie radicale.

Celle-ci se réaliserait grâce à un protectionnisme,
écologique et social. La relocalisation des activités
passe par la taxation des importations. Les recettes
ainsi dégagées permettraient de financer des projets
écologiques et sociaux. La production serait réorientée
selon l’intérêt général, déterminée par une
planification collective. De grands services publics
de l’eau, de l’énergie, des déchets, des transports
publics seraient déployés, des programmes de
rénovation de l’habitat initiés. L’instauration d’un
revenu maximum et d’une taxe forte sur la consommation
excessive d’énergie et les produits de luxe
permettrait de réduire les inégalités et de mieux
répartir les richesses.

Un tel programme ne pourra se réaliser qu’en
sortant de l’Organisation mondiale du commerce et
en désobéissant à l’Union européenne. Dans la
lignée de l’ouvrage En finir avec l’eurolibéralisme
 [5], les auteurs dénoncent la politique hyper
capitaliste de l’Europe : "La construction
européenne qui nous est imposée est un désastre
pour l’environnement." Et ils appellent à vaincre
l’oligarchie : "Il faut prendre le pouvoir" pour fonder
un "socialisme écologique et républicain".

Est-ce qu’une simple prise du pouvoir par l’avant-garde
éclairée du Front de gauche parviendrait à
contrer un système autodestructeur ? La vision de
ce livre paraît parfois trop dichotomique,
manichéenne. Il escamote une question essentielle :
celle de notre propre collaboration au système
productiviste, de nos propres modes de vie. Mais les
mesures courageuses qui sont formulées alimentent
le débat d’idées. Surtout, les auteurs montrent que
révolution écologique et révolution sociale sont
indissociables.


[1Claude-Marie Vadrot, L’écologie, histoire d’une
subversion
, Syros, 1977.

[2Jean-François Notebaert et Wilfrid Séjeau,
Ecoblanchiment, quand les 4x4 sauvent la planète,
Les petits matins, 2010.

[3A ce sujet, Aurélien Bernier a écrit Le climat,
otage de la finance
, Mille et une nuits, 2008.

[4Comme Greenpeace, le WWF, les Amis de la
Terre, le Comité pour l’annulation de la dette du
Tiers-monde, le Comité catholique contre la faim et
pour le développement, la fondation Nicolas Hulot,
Attac, les organisations syndicales, et les partis
politiques, dont Europe écologie, jugés "à côté de
la plaque".

[5Mémoire des luttes et utopie critique (sous la
direction de Bernard Cassen), Mille et une nuits,
2008. (NB : cet ouvrage a profité de
l’eurolibéralisme en étant imprimé en Espagne, pays
européen à bas coût de main d’oeuvre...)