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La France surendettée ? Une réponse écologiste
Hervé Morel, Les Petits matins, 2011, 222 pages, 16 euros.
avril 2011, par
« A long terme, nous serons tous morts. » Les économistes keynésiens ont tort de prendre cette citation de leur maître à penser pour une simple boutade. Elle résume à elle seule les politiques économiques du XXe siècle. Après moi, le déluge. « CCC : le Crédit stimule la Consommation, elle-même moteur de la Croissance », synthétise la préface de Robert Lion, bien placé pour en parler en tant qu’énarque ex-dirigeant de la Caisse des dépôts et consignations.
Un mode de vie opulent soutenu par un endettement sans mesure a engendré le marasme que l’on connaît. Hervé Morel, professeur de finance à HEC et membre de la commission économie d’Europe écologie-Les Verts, constate : « La dette publique s’est accumulée depuis le début des années 1980 et elle croît de façon continue depuis. » Jusqu’à atteindre la rupture, après le renflouement de banques en débâcle en 2008.
Partout, les déficits publics atteignent des sommets. En 2010, en France, les dépenses de l’État atteignaient 420 milliards d’euros, alors que les recettes n’étaient que de 270 milliards et que les cadeaux fiscaux faits aux ménages les plus aisés dépassaient le budget de l’éducation. Nous vivons à crédit dès le 15 août. Les intérêts des emprunts constituent le deuxième poste de dépense de l’État. Les organisateurs du chaos naviguent à vue, dans l’urgence, incapables de penser le long terme. Et laisseront l’ardoise aux suivants.
Pour diminuer l’endettement, des plans d’austérité drastiques sont imposés aux peuples : destruction des services publics, diminution du nombre de fonctionnaires, casse de la Sécurité sociale, des retraites, de la solidarité. Les gouvernements cherchent ainsi à satisfaire les marchés financiers et maintenir à tout prix la note AAA, qui garantit aux prêteurs leur remboursement. Si les agences de notation revoient à la baisse leur évaluation, comme en Grèce, les intérêts payés sur la dette augmentent et la faillite de l’État se durcit.
Très pédagogique, l’exposé d’Hervé Morel s’appuie sur de courts chapitres et un langage imagé. L’économiste rend accessible les mécanismes de la finance et explique de manière vulgarisée l’origine de l’omniprésente « crise ». Il parvient à nous captiver et à nous réconcilier avec cette discipline, l’économie, que les autoproclamés experts s’emploient à rendre absconse avec leur jargon qui vise à exclure les profanes.
Ce livre montre qu’une autre voie est indispensable. Elle impose de mettre fin à la démesure et de se débarrasser des schémas intellectuels qui ont conduit à l’endettement massif. Ni le keynésianisme ni le libéralisme ne sont en mesure de répondre aux enjeux actuels. L’un pense qu’en augmentant les dépenses de l’État, l’activité et la consommation repartiront, engendrant une baisse du chômage. L’autre préfère diminuer les recettes de l’État : la baisse des impôts des riches est censée stimuler l’investissement, et créer de l’activité et de l’emploi. Selon ces deux schémas, il suffit de s’endetter pour remonter. Et on remboursera plus tard, avec la reprise de la croissance. Ces théories économiques ne sont plus aptes à répondre aux enjeux actuels. Davantage de production et de consommation, et la dette s’évapore : cette fable ne prend plus quand les ressources naturelles se raréfient.
Hervé Morel liste des orientations nouvelles. Pour diminuer le déficit, la logique voudrait de mettre fin à la diminution des recettes de l’État. Ce qui passe par l’arrêt du dumping fiscal et la hausse des impôts sur les bénéfices des entreprises ; par une fiscalité massive sur les hauts revenus (qui pourrait financer un revenu d’existence) ; par la taxation de l’hyperconsommation (vignette automobile, contribution climat-énergie, écotaxe sur les produits de consommation, sur les activités polluantes, sur les transports afin de relocaliser la production, taxe intérieure sur les produits pétroliers augmentée afin de financer les transports publics). A contre-courant des plans d’austérité qui pèsent sur les plus pauvres et creusent les inégalités, une telle politique égalitaire serait populaire.
Alors que l’État bétonneur a dilapidé des sommes colossales d’argent public en investissant dans des grandes infrastructures, autoroutes, programmes de recherche délirants (comme les 15 milliards d’euros d’Iter, réacteur expérimental qui espère produire de l’énergie par fusion thermonucléaire), Hervé Morel invite à mettre chaque dépense en question : est-ce qu’elle réduit l’empreinte écologique, améliore le vivre-ensemble, réduit l’endettement ? De tels critères signeraient la fin d’un projet comme l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, pour donner la priorité à des investissements rentables, efficaces, comme la rénovation des bâtiments publics, des chaudières ou l’« éolien offshore ».
Le professeur d’HEC revendique un « keynésianisme libertaire », fondé sur une démocratie radicale : budget participatif, planification collective de la production et des besoins, sobriété des modes de vie, refonte de l’action publique et de l’organisation des collectivités, contrôle de la finance (exemple : interdiction aux banques du trading sur l’épargne des particuliers). La reconversion écologique de la société nécessite un fort niveau de dépenses publiques, notamment pour soutenir une politique de l’emploi favorisant les services de proximité. Hervé Morel propose de dynamiser l’épargne solidaire et le livret de développement durable pour financer des investissements verts, et de solliciter l’emprunt populaire pour que la dette soit détenue par les épargnants du pays et se détache de l’emprise des banques.
Le lecteur qui attend un modèle clé en mains pour sortir de l’impasse restera sur sa faim. Cette « réponse écologiste » à l’endettement est une esquisse, pas une prévision de budget chiffrée. Elle préconise des orientations de bon sens, mais serait-elle en mesure de répondre au choc des générations qui se profile ? Quand les jeunes, officiellement qualifiés de « sacrifiés », sont sommés de se priver d’avenir pour rembourser l’irresponsabilité de ceux qui les ont précédés, l’heure de demander des comptes risque de vite sonner.