Accueil > Les dossiers > De l’hiver-printemps 2011 à l’automne 2011, du n° 36 au 38 > N° 36 (hiver/printemps 11) / Crise sanitaire, la quatrième crise écologique > Grippons la machine !
Grippons la machine !
Avec le virus H1N1 s’est répandue une pandémie néolibérale
mardi 1er mars 2011, par
Ce devait être la grande épidémie. L’institut de veille sanitaire publiait des bulletins angoissants, semaine après semaine : les cas de grippe H1N1 explosaient. Le plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale » se faisait alarmant : « En l’absence d’intervention sanitaire, le bilan français pourrait s’établir à 9 à 21 [sic] millions de malades, et 91 000 à 212 000 décès en fin de pandémie. […] Outre son impact sanitaire majeur, une pandémie pourrait provoquer durablement une désorganisation du système de santé en raison de la saturation rapide des services de soins ; des difficultés graves pour certains secteurs d’activités d’importance vitale ou d’autres services essentiels au fonctionnement de la société et de l’Etat en période de pandémie ; une désorganisation de la vie sociale et économique. Une étude de la banque mondiale évalue ainsi à 3000 milliards de dollars le coût d’une pandémie ayant la gravité de la grippe espagnole de 1918-1920. » [1]
Les conséquences économiques inquiétaient plus que tout. Alors l’administration de M. Darcos, ministre du travail de l’époque, avait tout planifié pour poursuivre la production. Dans sa circulaire 2009-16 du 3 juillet 2009 [2], la direction générale du travail (DGT) offrait ce dont le Medef n’osait même pas rêver. Ses préconisations étaient simples : dans les boîtes, les survivants étaient priés d’abattre le boulot des grippés ! Comme « la pandémie grippale peut toucher 1 personne sur 3, entraîner un taux d’absentéisme très important qui désorganise la vie économique » [3], l’employeur aurait pu augmenter le volume horaire de travail et les tâches à effectuer pour les non grippés, les affecter sur d’autres postes ou les obliger à travailler à domicile.
Et ce n’est pas tout : « en cas d’urgence », l’employeur aurait pu suspendre le repos hebdomadaire de 35 heures consécutives, ne pas respecter le repos quotidien de 11 heures consécutives, dépasser la durée maximale quotidienne (10 heures, 8 pour les travailleurs de nuit), utiliser des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel, soumettre le salarié à des astreintes... Pour déroger à la durée de travail maximale hebdomadaire de 48 heures, les patrons auraient dû, encore, obtenir une autorisation administrative. Mais : « Il a été demandé à l’administration du travail de faire preuve de souplesse et de réactivité face aux demandes des entreprises. » Si ça ne suffisait pas, les entreprises auraient pu se prêter leur main-d’œuvre, ou même... faire appel à des retraités [4] !
Non contente d’en faire des serfs polyvalents, capables de trimer jusqu’à soixante heures par semaine, la DGT interdisait aux sur-employés l’exercice de leur droit de retrait. Tant pis pour le droit du travail et la santé des salariés pressurés.
« Il s’agit en premier lieu de maintenir l’activité au niveau le plus élevé possible » [5], écrivait noir sur blanc le gouvernement. « Il en va de la survie de l’économie nationale, des entreprises et de la sauvegarde de l’emploi. » [6] Mieux : « La société fonctionne comme un organisme pour lequel le maintien d’une activité économique contribuera à renforcer ses capacités de défense, voire sa survie. » [7] Et même sa résurrection tant qu’on y est : après la pandémie, un nouveau « dispositif de relance » était déjà programmé [8]. Le sacro-saint PIB doit poursuivre son ascension sans fin. Allez, une bonne grippe et tous au lit !
Pierre Thiesset
[1] Plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale », [→http://www.pandemie-grippale.gouv.fr/IMG/pdf/PLAN_PG_2009.pdf]
[2] Circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009 relative à la pandémie grippale, [→http://www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/Circulaire_DGT_2009_16_grippe_complete.pdf]
[3] « Kit grippe A à l’usage du chef d’entreprise », [→www.entreprises.gouv.fr/pdf/kitgrippeAentreprise.pdf]
[4] Fiche G.1, « Recommandations aux entreprises et aux administrations pour la continuité des activités économiques et des services publics et la prévention sanitaire en période de pandémie », [→www.pandemie-grippale.gouv.fr/IMG/pdf/Fiche_G1-4.pdf]
[5] Fiche G.1
[6] Circulaire DGT.
[7] Fiche G.2, « Comportement civique et mobilisation sociale », [→http://www.pandemie-grippale.gouv.fr/IMG/pdf/G2.pdf]
[8] Plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale ».