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Emmanuel Videcoq, une vie d’engagements
vendredi 2 septembre 2011, par ,
Il a monté une quarantaine d’associations, s’est investi dans trois revues, était engagé dans le syndicalisme et la politique tout en menant de front sa vie familiale et professionnelle. Emmanuel Videcoq s’est éteint le 3 avril dernier, à l’âge de 67 ans. Proche de Félix Guattari [1], cet infatigable militant a mis son énergie au service du combat écologiste. Hommage.
Enfant isolé dans une famille nombreuse, Emmanuel Videcoq avait des prédispositions pour la révolte. Son premier acte de rébellion a été de s’élever contre l’autoritarisme paternel. Mais s’il a fini par s’éloigner de l’éducation rigoriste et religieuse de ses parents, il est resté marqué par le catholicisme social. Et le scoutisme l’a forgé : "Je me suis véritablement épanoui et donné à moi-même à travers le mouvement de jeunesse et le scoutisme", dit-il dans un entretien retraçant son parcours professionnel [2]). "J’ai toute une série de valeurs ou d’habitudes ou de comportements que j’ai appris au scoutisme, notamment des comportements d’autogestion des groupes de jeunes."
Après des études de droit - "un peu parce que ma famille me le demandait" - Emmanuel Videcoq n’a pas embrassé la même carrière de juriste que son père. Il a préféré entrer dans l’institut d’études politiques de Paris, pour obtenir une maîtrise de sociologie. "C’était beaucoup plus par rapport à un projet de transformation sociale que j’ai fait de la sociologie, alors que le droit m’apparaissait le domaine de la conservation sociale." Ce qui l’a logiquement mené au syndicalisme étudiant. Démocrate-chrétien puis marxisant, militant à l’UNEF – mais libre d’esprit et critique de cette organisation –, il organisait des grèves, remettait en cause le système éducatif, tout en s’investissant dans des activités socioculturelles (scoutisme, tiers-mondisme, ciné-club).
De quoi se préparer au bouillonnement de 68. "J’ai complètement basculé à ce moment-là", se rappelle Emmanuel Videcoq. "C’est une des périodes les plus belles de ma vie. [...] C’est l’accomplissement de tout mon parcours de jeunesse [...]. C’était quand même un truc extraordinaire, la société était fluide, les gens se parlaient, il y avait des projets, il y avait des tas de choses qui se passaient. Donc moi, j’ai été dans les comités d’actions du 17e arrondissement, et rapidement je me suis trouvé propulsé à la tête de ces comités d’actions."
Pour éviter le service militaire, Emmanuel Videcoq est parti à Madagascar. Pendant sa coopération au secrétariat d’État à la Jeunesse et au Sport, il formait des jeunes en milieu rural. A son retour, devenu responsable du PSU (Parti Socialiste Unifié) dans le 17e arrondissement, son goût pour la transmission des savoirs l’a conduit à travailler dans un organisme de formation, puis à former des commerciaux, jusqu’à entrer dans la grande entreprise d’informatique Bull. Il y est devenu responsable de la formation des ingénieurs, et bénéficiait d’une grande autonomie. "Ma préoccupation, durant toutes ces 25 années de travail, c’était d’avoir le maximum de liberté de manœuvre et de liberté personnelle."
Syndiqué à la CFDT dès son entrée sur le marché du travail, ce partisan de l’autogestion a par la suite fortement critiqué l’évolution d’un syndicat jauni. Voici comment il jugeait Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002, aujourd’hui présidente du club oligarchique Le Siècle et de l’agence de notation Vigeo : "Au bout de quelque temps ce n’était plus de la transformation sociale mais de la conservation sociale" ; "je pense qu’on est dans un syndicalisme qui n’a pas la portée de transformation qu’il avait à l’époque. Bon je suis toujours adhérent, je vais vous donner ma stratégie : j’ai demandé à payer la cotisation syndicale la plus faible possible pour qu’il y ait le minimum d’argent qui remonte dans les mains de Nicole Notat, parce que je suis effectivement très opposé à l’action de Nicole Notat."
Déçu du militantisme traditionnel, Emmanuel Videcoq s’est dirigé dans des actions qu’il qualifiait de « micro » : il préférait cultiver l’indépendance en s’engageant dans des organisations plus souples, libertaires, féministes, écologistes. "Après avoir cru au catholicisme et cru au marxisme, je suis maintenant agnostique. Je ne crois pas à grand-chose, simplement à des choses très modestes. Cela se retrouve dans mon engagement écologiste : je ne crois pas à une écologie qui viendrait sauver les hommes et la société, à un discours salvateur qui va bouleverser les choses, je préfère des pratiques très modestes, très limitées, très raisonnables."
Comme l’appel "Arc-en-ciel", lancé après l’assassinat de Malek Oussekine. Ces verts et rouges, la plupart militants de la "génération 68", ont soutenu la campagne de Pierre Juquin à la présidentielle de 1988. L’échec de cette candidature a amené Emmanuel Videcoq à rallier les Verts, où il est devenu membre du conseil national, responsable de la commission sociale, et élu conseiller municipal à Saint-Quentin-en-Yvelines. Sa rencontre avec Félix Guattari a profondément influencé son évolution intellectuelle : "Je ne suis pas au départ un farouche défenseur de la nature, je le suis devenu en fréquentant le mouvement écologiste. Mais j’ai une conception humaniste de l’écologie, qui place l’homme dans la nature. C’est-à-dire que je ne considère pas, comme les écologistes profonds, qu’il y a un antagonisme complet entre nature et humanité. [...] Je ne crois pas en une nature fondamentale, pure, inviolée et qui serait agressée depuis des millénaires par l’activité des hommes. C’est plutôt depuis les deux cents dernières années de la société industrielle qu’il y a eu une séparation du genre humain et de l’environnement naturel. Mais on peut par une action humaine essayer de modérer, de modifier les choses."
Cheville ouvrière toujours sur la brèche, cet activiste débordant était aussi un intellectuel, grand lecteur. C’est lui qui a créé la revue Terminal, dont le premier numéro sorti en 1984 interrogeait : "L’informatisation contre la société ?". L’employé de Bull, situé au cœur de l’évolution informatique, tenait un discours critique sur les conséquences sociales de cette technologie, notamment sur la surveillance généralisée permise par "l’informatraque". Tout en exploitant les possibilités laissées par le système : il a mis en place le Minitel 3615 Alter (qui a servi à coordonner les grèves lycéennes et étudiantes de 86, et des infirmières en 88) ou Radio tomate. Trésorier de la revue Chimères, fondée par Guattari et Deleuze, Emmanuel Videcoq faisait aussi partie du comité de rédaction de Multitudes. "Par sa force, son énergie et sa générosité, [il] représentait le cœur et l’âme de la revue", dit de lui Yves Citton, l’un des piliers de Multitudes.
L’éternel bâtisseur de projets s’investissait encore dans les systèmes d’échanges locaux, donnait ses conseils juridiques aux associations... "Je ne sais pas à combien s’élève le nombre d’associations qui j’ai monté dans ma vie, 35 ou 40. [...] Ces associations correspondent à des étapes de mon existence, et au bout d’un moment je les quitte, il y en a certaines qui restent, qui continuent à durer." Sur tous les fronts, Emmanuel Videcoq déployait une force de vie impressionnante. L’optimisme de la volonté, jusqu’au dernier souffle : "A l’hôpital, il était émerveillé devant la révolution tunisienne, témoignent ses filles. Il nous disait : vous ne trouvez pas qu’on vit une époque formidable ?"
[2] Sauf indication contraire, les citations suivantes sont extraites de cet entretien.