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Parution du n° 52 - Éviter l’effondrement, se saisir des basculements
lundi 16 mai 2022, par
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Alors que nous sortions d’une tentative d’analyser les effets de la pandémie de covid-19 dans notre numéro 50 et que nous travaillions à mettre en avant pour notre 51 des expérimentations écosophiques préfigurant des possibilités objectives et réelles d’une sortie civilisée du capitalisme, la lecture du dernier livre de Jérôme Baschet, Basculements, venait enrichir notre réflexion.
L’auteur y prône l’engagement dans des manières de vivre échappant à la logique capitaliste à la faveur de basculements sociétaux et civilisationnels en cours. Des basculements qu’il met en regard de la notion d’effondrement - une notion que les écologistes connaissent de longue date et qui se fraie désormais un chemin en direction d’un public de plus en plus conscient de la tournure délétère que prend l’emprise économique. Sur des bases expérimentales principalement liées aux communautés zapatistes du Chiapas, l’auteur propose une lecture de la situation mondiale actuelle qui, de fait, s’inscrit dans la ligne de notre revue et rejoint d’une certaine manière la dialectique gorzienne qu’exprime Misères du présent, richesse du possible.
Les différents basculements, que Jérôme Baschet met en exergue et en parallèle, sont susceptibles de produire des effets qui permettent potentiellement de structurer une alternative civilisée au capitalisme. Au cœur de la construction de cette possible alternative se trouvent ce qu’il nomme des « espaces libérés », à la fois porteurs et produits par ces basculements. Ce sont des lieux où s’expérimentent les vertus de l’entraide et se déploie une capacité collective à faire par soi-même, en se déprenant autant que possible des circuits capitalistes et des institutions existantes. Ils constituent des bases à partir desquelles on peut jeter des ponts vers d’autres luttes et accentuer le combat contre la tyrannie économique grâce à la dimension réticulaire de ces expérimentations. Il y a là comme une potentielle mise en réseau d’espaces libérés qui - faut-il le préciser ? - ne doit pas être confondue avec la toile tissée par les GAFAM. Cette stratégie rejoint l’idée zapatiste de l’expérience de l’autonomie nécessairement localisée, mais n’ayant de sens qu’associée à une lutte plus ample qui participe du maillage d’un réseau planétaire de luttes anticapitalistes. Dans ce cadre, nous sommes invités à assumer notre condition de communauté planétaire en « communisant nos différences » dans un faire-commun - à chercher dans l’hétérogénéité ouverte et relationnelle des mondes multiples.
Se pose alors la question de la mise en œuvre concrète de cette utopie. Il ne s’agit évidemment pas de faire l’impasse sur la gravité des crises auxquelles notre monde commun est désormais confronté, emporté par la logique destructrice du capital, comme nous le rappellent régulièrement les rapports successifs du GIEC. Mais si certains effondrements sont d’ores et déjà enclenchés, comme celui de la biodiversité, avec Jérôme Baschet, nous ne croyons pas en la portée politique du fantasme d’un effondrement général soudain, pas plus qu’en l’espérance dans un grand basculement écologique salvateur surgissant du ciel des idées. Il s’agit plutôt de nous saisir du moment présent, de considérer ses possibles et ses impossibles, pour imaginer et mettre en œuvre une transformation civilisationnelle au niveau mondial, en tenant compte à la fois de l’évolution technique et des contraintes écologiques qui s’imposent désormais à nous.
Ce numéro passe en revue plusieurs types de basculement, à l’œuvre ou potentiels, dans différentes déclinaisons qui se tiennent de manière systémique (sur un plan environnemental, économique, politique, institutionnel, communicationnel, imaginaire, scientifique, etc.), depuis les dimensions les plus largement collectives aux dimensions les plus personnelles et existentielles. Si l’exercice appelle à creuser la réflexion, il nous semble déjà propice à « discerner les chances non réalisées qui sommeillent dans les replis du présent » (André Gorz) et donc une dynamique favorable à faire de ce moment le terreau de véritables « actions révolutionnaires » (David Graeber) susceptibles de nous faire enfin basculer de l’économie politique à l’écologie politique.
La rédaction