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La Filière nucléaire du plutonium. Menace sur le vivant
Jean-Pierre Morichaud, Ed. Yves Michel, 2002, 98 pages, 9.50 €
janvier 2003, par
Bien souvent, les critiques les plus incisives d’un système sont le fait
d’acteurs qui ont eu le loisir d’expérimenter celui-ci de l’intérieur et
d’en mieux comprendre les mécanismes. L’industrie électronucléaire, qui se
caractérise par des degrés de technicité et surtout d’opacité
particulièrement élevés, n’échappe pas à cette règle [1], comme l’illustre
cet opuscule de Jean-Pierre Morichaud, ancien technicien du Centre
Nucléaire de Saclay, membre de la commission nationale Energies des Verts
et co-fondateur du Forum Plutonium. De son expérience professionnelle, ce
dernier garde la conscience aiguë du fait qu’un « centième de microgramme
de plutonium [200 000 fois plus irradiant que l’uranium] avalé ou respiré,
génère un cancer ou une leucémie », et peut avoir des conséquences
tératogènes sur la descendance, mais aussi que « les réacteurs d’EDF
construits entre 77 et 85, l’ont été pour 25 ans, et non pas 40 comme le
prétend EDF aujourd’hui » (pp. 68-69).
La Filière nucléaire du plutonium se veut donc un signal d’alarme lancé au
grand public pour parer à l’urgence écologique que constituent le
retraitement à La Hague et l’exploitation comme combustible, sous forme de
MOX, de tonnes de plutonium issues de la fission de l’uranium, véritable
aberration de l’industrie électronucléaire - quasiment un « choix
criminel », selon l’auteur.
Quelque peu désabusé face au silence des médias et à la soumission des élus
et des tribunaux aux choix électronucléaires en vigueur [2], et ce, malgré
l’existence de dispositifs législatifs mobilisables [3], Jean-Pierre
Morichaud nous livre donc ce pamphlet didactique comme une bouteille jetée
à la mer, avec l’espoir qu’un sursaut de l’opinion publique puisse faire
céder le verrouillage opéré par le lobby nucléocrate sur les décisions
publiques gouvernant ce secteur [4] et remettre ainsi en cause les
orientations adoptées.
Sa critique s’associe donc à un effort pédagogique notable [5], schémas,
tableaux et références bibliographiques à l’appui. Cependant, le manque de
structure de l’exposé nuit parfois à la clarté de la démonstration et l’on
peut peiner à reconstituer les enchaînements causaux qui amènent à
certaines conclusions, ainsi que les calculs qui justifient certains
chiffres présentés en guise de preuves. Il faut dire que l’auteur aborde
d’un même jet le fonctionnement des réacteurs nucléaires, les effets du
plutonium sur les tissus vivants, le processus de fabrication du MOX, les
flux mondiaux des substances radioactives et technologies nucléaires, et
leurs diverses utilisations, mais aussi l’histoire de l’industrie
électronucléaire française ainsi que celle du mouvement antinucléaire, et
l’éventail des possibilités existantes en matière d’alternatives
énergétiques.
Il s’insurge donc avec force contre le choix fait par la France de
considérer le plutonium comme le combustible nucléaire de demain, appelé à
remplacer l’uranium, au motif de la nécessaire indépendance énergétique et
du salutaire "recyclage" que constituerait son retraitement.
En fait de recyclage, Jean-Pierre Morichaud montre que cette activité
revient plutôt à multiplier les déchets et à les disperser dans
l’écosystème (p. 17). En réalité, seuls 2 % de la masse de plutonium
extrait à La Hague sont effectivement dégradés lors de l’utilisation du
MOX, et sont transformés, comme l’uranium, en produits de fission hautement
radioactifs. Il n’y a donc ni disparition de la matière nucléaire, ni même
dégradation en un produit moins radiotoxique (pp. 43-44). De sorte qu’au
terme du processus de "revalorisation" des 2000 tonnes de combustibles usés
reçus annuellement à La Hague (venant de France, d’Europe et du Japon), et
de l’utilisation du MOX qui en est issu, l’on obtient une masse finale de
2340 tonnes de déchets à stocker par an, auxquels il faut encore ajouter
les usines et matériaux contaminés (p. 44).
Cette activité industrielle induit, par ailleurs, plus de 800 transports de
matières nucléaires à travers toute la France, soumis aux règles du "secret
défense" en raison des dangers de détournements à des fins criminelles
qu’ils suscitent (pp. 53-54).
Le retraitement à La Hague et l’emploi du MOX constituent donc une
aggravation considérable du risque nucléaire (à la fois d’un point de vue
écologique et stratégique) qui n’a fait l’objet d’aucun débat démocratique
en France, et qui n’a même pas de fondements industriels et économiques
solides, du fait du bas prix de l’uranium naturel enrichi et de l’abondance
de l’uranium de retraitement, également utilisable pour la production
d’électricité (p. 57) [6].
En raison de l’étroite dépendance socio-économique des territoires
concernés par cette industrie et des crispations que suscitent la question
de leur reconversion, Jean-Pierre Morichaud ne plaide pourtant pas pour la
fermeture pure et simple de l’usine de La Hague, mais plutôt pour une
réorientation immédiate de son activité vers la transformation de ses
stocks de plutonium pur en déchets nucléaires, et non en combustibles, en
vue de leur écoulement et de leur restockage définitif (pp. 87-88).
Les solutions techniques et les dispositifs juridiques existent. Reste
encore à trouver la volonté politique.
[1] Voir, à cet égard, l’entretien avec Bernard Laponche, ancien conseiller
technique au cabinet de Dominique Voynet, « Nucléaire : L’exception
française ? », dans le dossier consacré aux « Scénarios pour une France
sans nucléaire », Ecorev’, n°10, automne 2002, pp. 23-28.
[2] Le Forum Plutonium a été ainsi jugé incompétent par le Tribunal
Administratif pour ester en justice contre la procédure de remise en route
du surgénérateur Phénix, au motif que cette association ne comporte pas
dans ses statuts la défense de l’environnement...
[3] ... telles que la loi européenne du 13 mai 1996 sur « la protection
sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers
résultants des rayonnements ionisants », aujourd’hui intégrée au droit
français.
[4] Voir, sur ce point, Sené (M.), « Le lobby nucléocrate, mythe ou
réalité ? », Ecorev’, n°10.
[5] Voir, dans la même veine, Les Verts, Le Nucléaire et la lampe à
pétrole, Paris, L’esprit frappeur, 1999.
[6] Il renvoie ainsi au rapport commandé par Lionel Jospin sur le prix du
kWh nucléaire : Charpin (J.-M.), Dessus (B.) et Pellat (R.), Etude
économique prospective de la filière électrique nucléaire, Paris, La
documentation française, 2000.