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édito impasses du pacifisme ?
avril 2003, par
A l’heure de la globalisation, les logiques de guerre et les logiques de paix se sont profondément transformées. Les guerres " sans nom " (conflits latents, guerres civiles honteuses, terrorisme…), l’évolution du rôle des institutions internationales (mondiales ou régionales), la transformation des formes et des fonctions des armées (missions de police, missions humanitaires…), tout comme l’évolution des sources réglementaires (droit international…), et bien sûr, la mutation technologique des actes de guerre, obligent à réexaminer les fondements du pacifisme. La banalisation des pratiques terroristes, mais aussi la capacité des états démocratiques à masquer leurs actes de guerre aux yeux de l’opinion (hier la France en Algérie, aujourd’hui la Russie de Poutine), sans oublier l’interpénétration croissante des réseaux commerciaux liés à la guerre, rendent incertaine la mobilisation pacifiste. Nos régimes politiques ont, depuis la fin de la guerre froide, diversifié l’usage de la guerre : de défensive à offensive, de légitime à juste, la guerre devient maintenant un enjeu" préventif ". L’après 11 septembre ne peut contribuer à justifier toutes ces évolutions ; le conflit israélo-palestinien s’englue dans une histoire vieille de plusieurs décennies (B. Ravenel) ; le massacre du peuple Tchétchène n’a pas débuté à l’effondrement des tours new-yorkaise ; la probable guerre en Irak ne se justifie pas simplement par l’axe du mal (G. Lévy)… Néanmoins, cet événement mondial a redonné toute sa dimension symbolique à l’acte de guerre, et justifie les manipulations des idées d’ordre et de justice. Et à présent, plus rien ne semble pouvoir borner ce désir d’ordre : ni les frontières géographiques, ni les cadres traditionnels des relations internationales, encore moins les clivages idéologiques ou moraux. Dans le même mouvement, il est de plus en plus difficile de définir et nommer l’ennemi. La guerre ose de nouveau s’affirmer comme l’outil du Bien contre le Mal !
Désordonné, mêlant revendications humanitaires (plus ou moins teintées de religiosité), antimilitarisme et non-violence (Muller), vieux de plusieurs millénaires et pourtant toujours marginalisé, le pacifisme se trouve une nouvelle fois confronté à la nécessité de s’adapter. Mais peut-il faire face aux nouvelles logiques de la guerre actuelle ? A-t-il les moyens, intellectuellement, matériellement, de répondre à ces enjeux ?
La pensée pacifiste - le singulier ne doit pas masquer l’extrême hétérogénéité de ce courant - s’imprègne chaque jour davantage de la complexité des enjeux politiques et économiques de notre société mondialisée. Elle s’appuie aussi de plus en plus sur une société civile internationale qui approfondit sa connaissance des lieux, des réseaux et des motivations contradictoires des fauteurs de guerre. Elle s’ancre sur ces nouvelles pratiques militantes internationales (S. Breyman), qui valorisent une conception du droit renouvelée (une idée ancienne, comme nous le rappelle Kant et dont les prolongements actuels sont incertains), notamment autour de l’émergence d’une justice internationale plus efficace (S. Lopes).
Mais dans le même mouvement, la pensée pacifiste s’oriente davantage vers une appropriation personnelle que vers une revendication universalisante (B. Villalba ; Heidi Meinzolt-Depner). La négation du principe même de la guerre s’efface au profit d’une vision de l’action non-violente active : en développant une approche plus conforme à l’évolution des relations internationales, elle propose, sans doute, des perspectives politiques plus ouvertes (Ch. Barbey, D. Berrué, J.-M. Muller). Dans cette hypothèse, le rôle de la force militaire se trouve investie de nouvelles missions qui transforment le statut de l’action militaire (J.-Ph. Lecomte). Confronté à l’ensemble de ces questions - et, malheureusement pas d’un simple point de vue théorique - le pacifisme peut-il y faire face ? Incontestablement, au vu des contributions réunies ici, le pacifisme se doit de renouveler ses fondements traditionnels, théoriques et pratiques. Pour autant, la tentation de vouloir le jeter dans les poubelles de l’histoire serait pour le moins prématurée, tant il reste un détour indispensable pour construire une réponse à la violence politique et aux risques d’autodestruction de l’humanité.