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Histoire de l’écologie politique

Jean Jacob

février 2000, par Stéphane Lavignotte

Jean Jacob, Histoire de l’écologie politique, Albin Michel, 1999, 140 francs

Il est toujours étonnant pour des militants qui rejoignent Les Verts venant d’organisation de la gauche classique ou radicale de voir combien il y a peu de références idéologiques communes, peu d’auteurs de références qui font l’objet de formation ou de débat. Le livre de Jean Jacob a ce premier intérêt de rappeler avec pédagogie quelques unes des réferences de base de l’écologie politique. Jean Jacob ("Histoire de l’écologie politique") nous rappelle opportunément que même si le parti écologiste est le fruit d’une rencontre entre différents mouvements issus des années 70 (régionalistes, féministes, autogestionnaires etc.), c’est d’abord la question du rapport de l’humanité à la nature qui fait l’originalité de l’écologie politique. Il montre que se limiter à la simple question de la "protection de l’environnement" ne permet pas de comprendre la pensée écologiste et ses différents courants. La première "école" évoquée par l’auteur est le "naturalisme subversif", théorisé au début des années 70 par le psychosociologue Serge Moscovici et dont Jean Jacob estime que latraduction politique en fut les "Les amis de la terre" puis, paradoxalement, "Génération Ecologie". Serge Moscovici critique d’abord la société "contre nature" qui, en tentant de s’émanciper de la "nature" pour trouver la liberté et le confort, est arrivé à un stade où ce refus du "sauvage" se retourne contre-elle même. Car refuser la nature, c’est créer une coupure artificielle : la nature est en nous et, inversement, la nature a toujours été façonnée par l’homme. Rejetant les carcans partidaires, cette écologie urbaine revendique une politique de proximité, une alliance des minorités actives et subversives. Qualifiée aussi d’"écologie libertaire" par Jean Jacob, elle se traduit pour lui aujourd’hui dans la sensibilité d’un Daniel Cohn-Bendit, malgré le recentrage de l’ancien leader de mai 68. On peut réellement remercier Jean Jacob de remettre en évidence la pensée de Serge Moscovici, quasiment oublié des militants verts actuels (un ouvrage que prépare le psychosociologue avec l’ethnologue Pascal Dibie permettra peut-être un retour de cette pensée riche dans la sphére écologiste).

La deuxième famille verte évoquée par Jean Jacob est celle du "naturalisme conservateur" du Suisse Robert Hainard (né en 1906) dont l’auteur estime qu’il s’est incarné politiquement dans la création des Verts et la figure d’Antoine Waechter. Cette pensée, précurseur de l’écologie profonde, critique la société moderne au nom de la défense d’une nature "vierge", éternelle, qui se ressent ("le sentiment de nature") plus qu’elle ne se pense. Intéressante par la radicalité de la coupure posée, par la mise en avant d’une altérité considérée comme insaisissable par la raison, cette réflexion est aussi porteuse de nombreux dangers par son anti-humanisme, sa tendance à utiliser les mêmes grilles pour les sociétés humaines et la nature. Robert Hainard n’évitera pas les propos eugénistes, anti-minorités, les appréciation ambiguës sur Mussolini ou Hitler qui lui vaudront la rupture avec certaines personnalités pionnières de l’écologie politique comme Solange Fernex. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, qui nous amène des "avertissements du Club de Rome" sur les limites de la croissance à la personnalité de Daniel Cohn-Bendit, en passant par René Dumont, Jean Jacob se demande si l’écologie politique ne devient pas une forme de socialisme. Pour Jean Jacob, les écologistes en adoptant la notion de "développement soutenable" ont troqué leurs interrogations sur la nature contre une vision plus économique, et donc plus classique, du monde. Il montre là aussi les ambiguïtés, les impasses mais aussi l’élargissement que permet cette évolution en intégrant les questions du social et de la démocratie. Pour Jean Jacob, qui semble le regretter, l’écologie a ainsi perdu en originalité mais gagné en lisibilité.

Si l’ouvrage de Jean Jacob reste une référence incontournable, certains de ses choix de départs sont contestables et réduisent la portée de l’ouvrage. A un moment où l’écologie semble avoir oublié la question philosophique du rapport à la nature, cette étude était bienvenue pour rappeler combien cette question avait façonné la pensée verte. Pourtant, en n’analysant que des auteurs traitant du rapport à la nature, il omet (ou ne fait que survoler) des auteurs essentiels à la pensée écologiste comme André Gorz, Ivan Illich ou Murray Bookchin, des références libertaires qui ont préparé l’écologie politique (Elisée Reclus, Kropotkine, etc.), ou des réflexions moins académiques qui ont pourtant marqué une pensée commune ("L’an 01" de Gébé, les BDs de Reiser, etc.). Ainsi, à la différence de ce qu’il avait fait dans un des ses précédents ouvrages ("Les sources de l’écologie", Panoramiques, Arléa 1995) il créé une coupure artificielle au sein de la pensée écolo et on peut se demander s’il ne va pas à l’encontre de l’objectif que semble afficher le livre : montrer l’existence d’un corpus idéologique écolo qu’il serait nécessaire de rendre visible, étudié, discuté.