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Brésil transgénique ?

vendredi 9 septembre 2005, par Arnaud Apoteker

L’avenir des OGM se joue peut-être au Brésil. Sous la pression de l’agro-business, et malgré ses promesses électorales, Lula a adopté une loi qui facilité considérablement l’autorisation des cultures transgéniques. Il s’agit notamment de maintenir la compétitivité des producteurs de soja brésilien face aux exportations américaines. Mais la justice brésilienne doit examiner la constiutionnalité de ce texte. Et les consommateurs européens et brésiliens ne l’entendent pas de cette oreille et pourraient arbitrer en faveur des filières traditionnelles. D’autant plus que la responsabilité du soja dans la déforestation de l’Amazonie ne fait pas bonne presse à l’agriculture brésilienne.

Le 24 mars 2005, le président brésilien Luis Inácio Lula da Silva signait la loi sur la biosécurité, adoptée par le congrès le 2 du même mois. Par cette signature, Lula abdiquait devant la pression des multinationales. Malgré ses promesses électorales et sa proximité avec la CUT ou le MST, il sera écrit que c’est le candidat du PT, devenu président, qui aura permis aux multinationales de l’agrobusiness de lancer la déferlante OGM sur le Brésil. Son ministre de l’Agriculture, Roberto Rodriguez, surnommé o ministro RR (comme Round up Ready) est il est vrai l’ancien président de l’ABAG, association brésilienne de l’agrobusiness, et a l’appui de son homologue à l’industrie et au commerce extérieur, Luis Furlan. Face à eux, les ministres de l’Environnement, Marina Silva, et du Développement Agraire, Miguel Rossetto, ont beaucoup moins de poids.
La loi de biosécurité, déjà surnommée "loi Monsanto" à cause des facilités qu’elle donne aux producteurs d’OGM, est le résultat d’années de pressions de la part des industriels des biotechnologies, aidés par le gouvernement américain, sur le gouvernement brésilien. En effet, cette loi étend considérablement les pouvoirs et les responsabilités de la Commission Technique Nationale de Biosécurité, CTNBio, lui permettant d’autoriser un OGM sans requérir d’étude d’impact environnemental ou sanitaire. Selon l’article 14 de la Loi de Biosécurité, c’est la CTNBio qui doit décider de la nécessité de réaliser ou pas une étude d’impact environnemental et qui devient la seule institution légalement apte à distribuer des licences d’exploitation de produits transgéniques. Ceci signifie que les ministères de l’Environnement, de la Santé ou de l’Agriculture n’ont pas de droit de veto sur la mise en culture et la commercialisation d’OGM. Cette loi permet donc de contourner la constitution brésilienne, qui impose la réalisation d’études d’impact environnemental pour les activités potentiellement néfastes pour l’environnement et fait le jeu du secteur agroalimentaire brésilien. C’est en raison de son inconstitutionnalité que la loi a été attaquée en justice par le parti Vert brésilien (qui a retiré son appui au gouvernement) et par l’association brésilienne de défense des consommateurs, l’Idec. Le Procureur de la République vient d’accepter d’examiner leur recours.

Le premier OGM autorisé est bien entendu le soja Roundup Ready (RR), de Monsanto, tolérant au Roundup, l’herbicide phare de la compagnie. Premier organisme transgénique pour lequel une demande d’autorisation de culture et de commercialisation avait été présentée aux autorités brésiliennes, le soja RR fut autorisé une première fois par le gouvernement brésilien de Cardoso en 1998. Cette décision fut attaquée en justice par Greenpeace et l’association de défense des consommateurs, Idec, au motif de l’absence d’étude de l’impact environnemental de la dissémination de cet OGM dans l’environnement. Il en est résulté un "moratoire judiciaire" sur les OGM au Brésil, maintenu jusqu’à 2003. Pendant les six années qui ont suivi la décision juridique, Monsanto a préféré se battre devant les tribunaux pour tenter de faire appel de cette décision, plutôt que de réaliser les études d’impact que réclame la constitution brésilienne. Pendant toutes ces années, le parti de Lula, le PT, avait soutenu la position des mouvements anti-OGM, et Lula avait promis, lors de sa campagne électorale, d’exiger la réalisation d’études d’impact environnemental des cultures d’organismes génétiquement modifiés et d’établir des mécanismes de contrôle, d’inspection et de répression des cultures illégales et clandestines d’OGM dans le pays. Malheureusement, arrivé au pouvoir, le gouvernement de Lula s’est hâté de prendre des décisions controversées qui contredisaient les bonnes intentions affichées pendant la campagne, et en particulier, a d’abord légalisé les cultures illégales de soja transgéniques dans l’état du Rio Grande do Sul, favorisées par la contrebande de semences de soja OGM importées de l’Argentine voisine.

Les enjeux de l’autorisation du soja RR sont considérables pour une compagnie comme Monsanto. En effet, le soja est une affaire qui marche au Brésil. Ce n’est pas n’importe quelle culture, c’est la success story brésilienne, la locomotive des exportations de ce pays, qui a rapporté 10 milliards de dollars pour l’année 2004. L’expansion du soja brésilien est liée à l’augmentation considérable de son utilisation dans l’alimentation animale et à celle de la consommation mondiale de produits animaux, liée à la croissance des revenus, de la population et de l’urbanisation. Par ailleurs, le soja brésilien a également bénéficié de la demande des consommateurs européens pour des produits non OGM, qui a poussé l’industrie agroalimentaire a rechercher des sources de soja non OGM pour ses produits alimentaires et s’est tourné massivement vers le Brésil, seul gros producteur mondial de soja conventionnel après que les états-Unis et l’Argentine se soient massivement tournés vers le soja OGM, qui représente aujourd’hui près de 80 % de la production américaine et plus de 95 % de la production argentine. La culture de soja brésilien (OGM ou conventionnel) devrait continuer à augmenter parce que les producteurs brésiliens sont hautement compétitifs et que la demande interne devrait continuer à croître.

Le soja a été introduit et cultivé dans le Sud du pays, où le climat tempéré lui est favorable, dans les années 60. Il progresse ensuite vers le Nord, grâce au développement de nouvelles variétés mieux adaptées aux climats subtropical et tropical, et se répand dans le Centre Ouest du pays, dans les états de Goias, du Mato Grosso du Sud et du Mato Grosso. Enfin, au cours des dernières années, il est de plus en plus cultivé dans l’Amazonie légale, là où il semblait inimaginable de le cultiver auparavant. Il est maintenant considéré comme une source majeure de la déforestation de la forêt amazonienne, où 2,4 millions d’hectares de forêts sont perdus chaque année entre le Brésil, la Bolivie et le Paraguay. Les surfaces plantées en soja ont augmenté à une moyenne annuelle de 13,8 % pendant les trois dernières années et atteignaient 16,5 millions ha en 2003.

Déforestation : le tour de Maggi

Le Brésil a connu un record de déforestation cette année, avec une hausse de 6 % entre août 2003 et août 2004, soit une surface de 26 130 km2, l’équivalent de la Belgique, selon les données de l’Institut national de recherches spatiales (INPE) rendues publiques en mai. C’est le deuxième indice de déforestation jamais mesuré, après le pic de la première année du plan Real du gouvernement Cardoso, plus élevé que durant la dictature militaire, quand le Brésil s’était lancé dans une course au développement frénétique, inquiétant le monde entier à cause des impacts écologiques provoqués par la destruction de la forêt amazonienne. Quasiment la moitié de cette dévastation (48 %) a eu lieu dans le Mato Grosso (12 576 km2, dont seulement 4 176 km2 de forme légale). Le Mato Grosso est ainsi devenu le plus gros état producteur de soja du Brésil, précisément l’année où Blairo Maggi, surnommé le "roi du soja", a conquis le pouvoir politique en se faisant élire gouverneur de l’état (sous l’étiquette du PPS, parti populaire socialiste, surnommé parti des producteurs de soja, et héritier du PC brésilien). Au Mato Grosso (la grande forêt en portugais), le défrichement a augmenté de 23 % en 2004.

Blairo Maggi est considéré comme le plus grand producteur individuel de soja. Son groupe, Grupo André Maggi, contrôle plus de 150 000 ha dans le Mato Grosso, transforme 3000 tonnes de graines de soja par jour et produit 400 000 tonnes par an. Pendant que l’état du Mato Grosso connaissait la plus forte déforestation du Brésil l’année dernière, les bénéfices du groupe augmentaient de 28 %, avec des ventes de 532 millions de $ en 2003 (415 millions en 2002) et les surfaces cultivées augmentaient de 21 %, passant de 140 000 ha en 2002 à 170 000 en 2003.

La fièvre du soja provoque le développement de nouvelles infrastructures, comme le port d’Itacoatiara, sur l’Amazone, construit par Blairo Maggi, le terminal du semencier Cargill à Santarem, ou les projets pharaoniques d’aménagement des voies fluviales du Madeira, pour permettre l’exportation du soja par l’Amazone et diminuer considérablement les coûts de transport (par un facteur 3 par rapport au transport routier), avec une augmentation anticipée du trafic fluvial de 300 000 tonnes à 3 millions de tonnes, qui ne peut que signifier une accélération considérable de la conversion de forêts pour la culture de soja, ou encore l’asphaltage de la route BR 163, qui conduit de Cuiaba (Mato Grosso) à Santarem (Para). Ces nouvelles infrastructures rendent la culture du soja encore plus attractive et favorisent la déforestation en permettant la "colonisation" de nouvelles zones de forêts, pour le soja, l’élevage ou le commerce du bois. L’Institut de recherche environnemental de l’Amazonie (IPAM) estime que 70 % de la déforestation a lieu dans les 50 km de chaque côté des routes principales. La décision d’asphalter la BR 163 provoque déjà la spéculation sur les terres et le défrichage de la forêt pour les cultures de soja autour de Santarem, risquant de provoquer de graves bouleversements écologiques et sociaux dans cette région amazonienne.

Le soja brésilien représente donc un marché considérable pour les semences transgéniques et pour les herbicides qui vont avec. Maintenant que la culture et la commercialisation de soja OGM ont été autorisées, les entreprises semencières privées et publiques, comme Coodetec, la Fundaçao MT ou l’Embrapa se hâtent de développer des variétés de soja OGM adaptées au climat tropical et aux précipitations continues de l’Amazonie. En effet, jusqu’à présent, les seules variétés de soja OGM existantes sont celles des climats tempérés, développées pour l’Argentine, qui a autorisé la culture du soja OGM en 1996.

Le développement de variétés transgéniques adaptées aux conditions tropicales fait craindre une accélération considérable de la déforestation, que l’on peut imaginer par analogie avec les méfaits du soja OGM en Argentine. Facilitant les techniques du semis direct et le contrôle des mauvaises herbes, au moins dans un premier temps, le soja OGM a très vite gagné sur les forêts des Yungas d’Argentine, écosystèmes d’une très grande biodiversité. 5,6 millions d’hectares de surfaces non agricoles ont été perdus depuis 1996.

L’autorisation du soja OGM au Brésil représente une victoire importante des multinationales et récompense leurs efforts considérables de persuasion et de pression du gouvernement, dans une stratégie offensive face aux réticences européennes de cultiver ou de consommer des produits OGM. Elles se développent ainsi sur les autres marchés mondiaux, en Asie ou en Amérique latine, qui sont en pleine croissance, et peuvent espérer étouffer la demande européenne en supprimant l’offre de produits conventionnels. Les états-Unis ont en effet perdu des parts de marché importantes au profit du Brésil, dernier grand fournisseur mondial de soja non OGM, depuis qu’ils cultivent du soja transgénique. Les exportations brésiliennes ont même dépassé pour la première fois celles des USA en 2004. En France, 75 % des importations de soja proviennent du Brésil.

Bretagne et Parana, même combat

L’avenir des cultures d’OGM au Brésil, à commencer par celui du soja, va certainement se jouer en grande partie sur le terrain économique et va dépendre des prix de vente et des coûts de production relatifs des deux systèmes de production. Les tenants des OGM, poussés par les compagnies de semences et les instituts de recherche, tentent actuellement d’empêcher les mesures qui visent à privilégier les filières non OGM et préfèrent risquer de perdre ces marchés de qualité en promettant des réductions des coûts de production totalement fantaisistes pour le soja OGM. 

Ces tentatives d’imposer l’ordre transgénique au Brésil sont parfaitement illustrées par la bagarre juridique qui se joue entre les autorités fédérales et celles de l’état du Paraná, au Sud du Brésil, le deuxième état brésilien pour la production de soja, avec des récoltes annuelles de l’ordre de 10 millions de tonnes. Le gouverneur de l’état du Paraná, Roberto Requiao, a parié sur la demande européenne de produits de qualité, entre autres sur le soja non OGM et issu de l’agriculture familiale. Il a donc interdit la culture de soja OGM sur le territoire de l’état et imposé que le port de Paranágua, le plus gros port céréalier d’Amérique du Sud, n’accepte que du soja conventionnel. Selon les autorités portuaires, les exportations de soja ont augmenté de 38 % en un an, au détriment des autres ports brésiliens.

Pour le gouvernement fédéral, ces exigences prises au niveau d’un état, qui portent préjudice aux intérêts de l’industrie biotechnologique en permettant un approvisionnement clairement identifié non-OGM sont illégales. Il a donc décidé d’obliger l’état du Paraná a accepter les cultures transgéniques et veut interdire au port de Paranágua de n’accepter que du soja non OGM.

Il est donc particulièrement important que les industriels européens de l’agro-alimentaire continuent à réclamer du soja non OGM à leurs fournisseurs brésiliens. C’est la demande du marché qui déterminera dans une large mesure le choix des agriculteurs brésiliens et qui permettra de préserver l’environnement brésilien de la contamination génétique.

La saison qui vient sera déterminante à cet égard. On estime en effet que l’augmentation des cultures transgéniques sera faible lors de la prochaine culture, en octobre 2005, et que la récolte de 2006 sera encore très largement non OGM. En effet, la production de semences OGM du Rio Grande do Sul a été très décevante cette année, à cause de conditions climatiques défavorables, et il n’existe encore que très peu de variétés OGM adaptées à l’Amazonie, et en quantités très faibles. Le soja non OGM sera encore largement disponible en 2006 pour l’industrie agroalimentaire, qui doit en profiter pour consolider ses positions afin d’influer durablement sur le choix des producteurs et continuer à pouvoir répondre aux demandes des consommateurs européens pour des produits alimentaires exempts d’OGM.

Les régions européennes qui ont pris des délibérations pour éviter les OGM sont un atout important dans la préservation d’une agriculture et d’une alimentation non OGM. La Bretagne, par exemple, a fait le vœu d’une alimentation animale sans OGM, et le Conseil Régional a déjà envoyé une mission au Paraná, où des engagements de coopération ont été engagés afin de faciliter le développement de filières non OGM. Ce type d’action, qui favorisera les intérêts économiques des acteurs qui choisissent le non OGM, poussera les agriculteurs brésiliens à choisir le soja non OGM. Il faut que la Bretagne entraîne les autres régions du réseau européen des régions sans OGM à collaborer étroitement avec les entreprises brésiliennes qui garantissent du soja non OGM et qu’elle concrétise rapidement ses propres engagements.

OGM ou réforme agraire ?

Au delà du soja, c’est l’avenir des plantes OGM qui est engagé au Brésil. Les conséquences potentielles de la loi brésilienne de biosécurité sont une déferlante OGM au Brésil, si l’expérience du soja OGM ne démontre pas qu’elle est néfaste pour le pays. Avant même d’avoir été recomposée selon les termes de la loi, la CTNBio s’est empressé d’autoriser les importations d’Argentine de trois variétés de maïs transgénique pour faire face à une pénurie de maïs brésilien pour l’alimentation animale.

Puis, c’est la culture de coton transgénique qui vient d’être autorisée par la CTNBio, malgré les risques écologiques peut-être encore plus considérables de cette plante transgénique au Brésil, où poussent des variétés sauvage de coton avec lesquelles des échanges génétiques sont inévitables. Et l’Embrapa, l’équivalent brésilien de l’INRA, prépare des variétés OGM de papaye, riz, haricot, etc.

Ce qui est en jeu avec le soja transgénique et les autres OGM au Brésil, c’est la direction que prendra l’agriculture brésilienne. Lula tiendra-t-il ses promesses de réforme agraire et de développement de l’agriculture familiale au service de sa population, ou suivra-t-il le chemin du développement de monocultures intensives et latifundiaires à destination de l’exportation ? Les mesures récentes de son gouvernement semblent indiquer la primauté du ministre de l’agriculture sur celui de la réforme agraire, mais la pression des importateurs aussi bien que celle des consommateurs brésiliens, opposés aux OGM à près de 80 %, peut encore freiner la "transgénisation" et la colonisation amazonienne de l’agriculture brésilienne.

Arnaud Apoteker

Greenpeace