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Marché et capitalisme

mai 2000, par Jean-Pierre Lemaire

Dans le numéro 0 d’EcoRev’, Jean Zin dans un long article évoque de multiples questions et analyse en particulier les rapports entre marché et écologie. Tout en partageant bien des conclusions auxquelles il parvient, il m’a semblé utile de revenir sur quelques points.

Au départ, Jean, en s’appuyant sur l’évolution historique distingue clairement marché et capitalisme, technique et idéologie du marché. Le marché ainsi réduit à la confrontation de l’offre et de la demande débouchant sur un prix constitue un instrument utile évitant les "coûts de transaction" et rationalisant les échanges. Il serait donc téméraire de s’en passer dans nos sociétés développées, sauf à tomber dans le gouffre de "l’impossible planification" et son cortège de malheurs.

Reste que cette éventuelle neutralité du marché correspond plutôt à une étape antérieure à l’émergence du capitalisme comme mode de production dominant. Depuis les foires de Champagne du moyen-age beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Approximativement, on a assisté à un double mouvement entre marché et société. Le premier décrit par Marx et plus récemment par K. Polanyi (La grande transformation) a consisté à "désencaster" l’économique du social. Pour réaliser la mise au travail de la main d’œuvre dans le cadre de la grande industrie, il fallait que les anciennes solidarités mécaniques (famille, village, Églises) ne jouent plus et que les ouvriers n’aient plus le choix qu’entre travailler aux conditions choisies ou mourir de faim. Dans un contexte de suraccumulation du capital, ces dernières années ont vu en quelque sorte le processus inverse. La nécessité de la valorisation marchande s’est étendue à des sphères autrefois situées en grande part en dehors de l’économique (sport, famille, relations humaines, services publics, santé).

Il en résulte aujourd’hui une domination de la logique marchande sur laquelle il est inutile de s’étendre. Dès lors, et encore plus qu’hier, la notion de marché est à prendre globalement comme équivalent du capitalisme.

Il ne s’agit plus seulement d’une technique de fixation des prix en fonction de l’offre et de la demande mais aussi d’une totalité incluant la concurrence (fut-elle oligopolistique), le profit comme moteur de l’activité et la propriété privée des moyens de production.

C’est cette liaison intime qui rend inacceptable la formule de Jospin "Oui à l’économie de marché, Non à la société de marché ". Il est d’ailleurs très éclairant à ce sujet d’évoquer l’opération qui a consisté sans les années 80 à "réhabiliter" l’entreprise et à préférer au terme capitalisme trop négativement connoté celui d’économie de marché bien plus souriant et destiné comme d’habitude à présenter les rapports sociaux comme des faits naturels incontournables. Au final et quelles que soient les précautions de langage, il s’agit bien de la même chose.

En ce sens , prétendre que le marché " peut bénéficier à tous " n’est vrai qu’en période de croissance. Le capitalisme "n’utilise" pas le marché, il en exprime l’essence à travers l’accumulation du capital. Sauf à le réduire à la concurrence pure et parfaite entre petits producteurs condamnés à le demeurer et à limiter leur profit , la logique de l’échange marchand est consubstantiel au salariat et à la tendance au développement capitaliste. C’est aussi ce qui a rendu si difficile par le passé les expériences de "socialisme de marché" tentées ici et là dans les pays de l’ex-bloc soviétique. Pour s’en convaincre on observera aujourd’hui l’effet particulièrement corrosif de la mise en place du marché en Chine ou au Vietnam. A vouloir "chevaucher le tigre", on s’expose à ce que l’ensemble des institutions sociales finisse par s’aligner et s’adapter aux nécessités de la valorisation marchande.

Par parenthèse l’utilisation du terme "capitalisme d’État" pose aussi problème. Si les systèmes des ex-pays de l’Est, caractérisés par la propriété étatique des moyens de production et la domination d’une classe bureaucratique pouvaient s’apparenter à un quelconque capitalisme, comment expliquer l’ampleur des ruptures pour mener à bien la mise en place d’une économie de marché ? Si l’on a pu connaître par le passé des marchés sans capitalisme, je doute qu’ait pu exister à l’époque contemporaine un capitalisme sans marché !

Pour en terminer avec ces remarques, je ne pense pas que la promotion des professions libérales et des travailleurs indépendants peut faire partie d’une alternative écologiste. Le problème de notre époque consiste à revaloriser l’action et les valeurs collectives plutôt que de favoriser un droit individuel à l’initiative économique". Dans ce domaine, faisons plutôt le pari de l’autogestion !