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L’Economie hydrogène

Jeremy Rifkin, La Découverte, Paris, 2002, 330 pages, 21,50 €

avril 2003, par Jean-Louis Peyroux

Deux raisons au moins plaident pour une remise en cause de l’usage du pétrole : tout d’abord des considérations géopolitiques ; ensuite, le réchauffement de l’atmosphère provoqué par les émissions de gaz carbonique. Pourtant, le pétrole semble toujours couler à flots et les économies d’énergies restent un discours faible aux Etats-Unis et dans d’autres pays d’industrialisés. De leur côté, les pays émergents, comme l’Inde et la Chine, vont avoir des besoins supérieurs à ceux de toute l’Europe de l’Ouest. Danger, insiste Jeremy Rifkin, car "la courbe de la production globale de brut (…) pourrait atteindre son pic dès avant 2010, et, quoi qu’il en soit, pas plus tard qu’en 2020". Les "optimistes" pensent que la production culminera dans vingt-huit à trente-huit ans. Les "pessimistes" d’ici huit à dix-huit ans. Mais les uns comme les autres "s’accordent sur le fait que le pétrole bon marché touche à sa fin". A tel point que l’administration Bush envisage très sérieusement introduire la prospection dans la Réserve naturelle nationale de l’Arctique. L’épuisement des ressources pétrolières, malgré l’incertitude sur la date exacte, constitue désormais notre horizon historique.

Les Etats-Unis sont actuellement le premier consommateur de pétrole. Or leurs services publics sont dans un tel état de décrépitude "que leur restauration nécessitera un investissement de 1 300 milliards de dollars s’étalent sur les cinq prochaines années". Soit une forte dépense en énergie. J. Rifkin cite l’historien Arnold Toynbee, pour qui le développement d’une civilisation est due à une série de défis, où l’énergie joue un rôle crucial, et de réponses à ces défis. Et à moins de découvrir une nouvelle source d’énergie, la chute de la civilisation est inévitable.

Ainsi, la chute de l’Empire romain est principalement due "au déclin de la fertilité de ses sols et à la baisse des rendements agricoles". Du deuxième au quatrième siècle, la population de l’Empire consommait plus d’énergie qu’elle n’en produisait. Plus tard, les succès de l’Angleterre au début de la révolution industrielle furent dus à ses fortes réserves en charbon. Tout comme le pétrole, plus tard, pour les Etats-Unis. Actuellement, le pétrole est la première industrie du monde et dix à douze sociétés dominent à elles seules le secteur de l’énergie. La moitié de ce pétrole est transformé en essence pour les automobiles. De son côté, le gaz n’est pas une alternative. Sa courbe de production mondiale suit presque le même rythme que celle du pétrole. Et, pour certains analystes, elle atteindra son pic vers 2020.

La courbe de réchauffement de la planète, elle, découle de l’usage intensif du pétrole et du gaz jusqu’au milieu du siècle. Autres responsables : le méthane et l’oxyde d’azote. Tous ces facteurs peuvent avoir des effets cataclysmiques : fonte des glaciers et de la calotte polaire arctique, montée des eaux, augmentation des pluies, brusques changements de climat, disparition de certains habitats, migration des écosystèmes vers le Nord, contamination des eaux douces par l’eau de mer, réduction drastiques des forêts, extinction accélérée des espèces, sécheresses plus importantes. La moitié de l’humanité qui vit près de la mer serait exposés à des risques majeurs.

Notre civilisation s’en trouve affaiblie, car notre agriculture est fondée sur l’industrie pétrochimique, nos sociétés urbaines sont denses, notre mode de transport est basé sur le pétrole, et notre système d’éclairage, de chaleur et de communications sur l’électricité. "Ce que l’on ignore souvent, c’est que le pétrole et le gaz naturel sont au cœur du système de production alimentaire et du système de production de l’électricité, qui seuls nous permettent de satisfaire à nos besoins vitaux".

C’est pour faire face à ces menaces que J. Rifkin propose une alternative basée sur l’utilisation industrielle de l’hydrogène. Formant les trois quarts de la masse de l’univers et 90 % des molécules qui le composent, cette ressource permettra selon lui de décentraliser l’industrie (car elle est présente partout), sans produire "ni fumée, ni cendres". La production d’électricité par l’hydrogène entraînera ainsi de substantielles économies d’énergie.

Les quelques maigres expériences menées dans les années 20 et 30 ne compensent pas la négligence des scientifiques à l’égard des potentialités de l’hydrogène. Pourtant, l’Islande commence à y penser, Hawaii également. Le procédé consiste à faire une électrolyse de l’eau, pour laquelle J. Rifkin propose d’utiliser les énergies renouvelables, notamment l’éolien.

L’usage le plus spectaculaire de l’hydrogène sera le domaine des transports (autos, poids lourds, autobus). Contrairement à une légende, il est aussi sûr, sinon plus, que les autres carburants. Et il pourrait également être utilisé dans les pays les plus pauvres de la planète. Plutôt que le pétrole et le gaz naturel, l’hydrogène et les autres énergies renouvelables sont "la seule stratégie viable" pour leur développement. Rappelons que lors de la crise pétrolière de 1973, les pays pauvres ont plus souffert que les pays industrialisés. Pour J. Rifkin, "si tous les habitants de la planète devenaient producteurs de leur propre énergie, c’est finalement toute la structure du pouvoir qui serait bouleversée : au lieu de se diffuser depuis les sommets d’une hiérarchie verticale, il émanerait du bas pour remonter". En quelque sorte, une énergie à partager.

Si la construction proposée par J. Rifkin est séduisante, elle est également quelque peu lacunaire et discutable. A un problème systémique, lié aux modes de vie et de fonctionnement de nos sociétés hyper-productivistes, c’est finalement une solution purement technologique, une fuite en avant parée des atours de la modernité scientifique que propose Rifkin. On peut donc légitimement s’interroger sur cette vision, qui consiste à croire qu’une technologie unique, abstraite de tout contexte, suffira par elle-même à provoquer l’émergence d’un nouveau paradigme économique et social, voire à "sauver notre civilisation", selon ses termes. Le développement durable s’en trouve réduit à la durabilité du développement actuel.

C’est ce qu’illustre, entre autres, la faiblesse de sa référence aux énergies renouvelables : pour produire de l’hydrogène (qu’on ne sait d’ailleurs toujours pas stocker de façon efficiente), par électrolyse de l’eau par exemple, il faut effectivement - déjà - de l’énergie… Quel type d’énergie et comment faire en sorte que ce soient des ressources renouvelables qui soient utilisées ? Faute d’une approche globale on a l’impression de revenir à la case départ.