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Développement durable à Bruxelles : 2005, année décisive ?
lundi 16 mai 2005, par
Si le concept de développement durable [1] est critiqué, il se trouve aussi au centre de la réflexion des partis écologistes signataires de la charte des Verts mondiaux signée à Canberra en 2001 [2] et au cœur de nombreux textes européens (Stratégie de Lisbonne, Stratégie européenne pour le développement durable, rapport Strauss-Kahn...). Inventaire avec Arnaud Leroy des outils existants et de la réflexion en cours, et des derniers travaux de l’Union européenne consacré à ce thème.
L’année 2005 sera décisive sur le développement durable. En effet, cette année commence par la révision à mi-parcours de la fameuse Stratégie de Lisbonne [3], tâche qui incombe à la Présidence luxembourgeoise de l’Union. Le rapport Kok [4] sur le futur de cette stratégie - remis dernièrement à la Commission européenne - est plutôt discret sur le développement durable : la prise en compte de l’environnement y est certes évoquée mais sous le prisme de nouveaux marchés possibles pour les entreprises européennes !
Cette année sera aussi l’occasion d’évaluer et de faire évoluer une autre stratégie, celle dédiée au développement durable, adoptée quelques mois avant le Sommet de la Terre de Johannesburg. Cette concomitance des discussions devrait être intéressante, reste à voir dans quelle mesure les écologistes pourront s’y faire entendre et y peser, notamment via le Parlement européen.
Le développement durable et l’UE, ingrédients d’une relation complexe
Projet d’essence économique, l’UE est-elle capable de participer à la mise en place d’un nouveau modèle de développement, basé notamment sur un sursaut des solidarités, par exemple intergénérationnelles, une meilleure prise en compte de l’environnement et de l’aspect social des choix politiques et industrielles. Quels signes institutionnels ou politiques peuvent le laisser penser ?
D’un point de vue institutionnel, aucune institution n’a pour objet unique la promotion du développement durable. Le traité en vigueur (Nice) y fait une référence explicite - depuis le Traité d’Amsterdam - et le projet de Traité constitutionnel européen en fait un objectif (art. I.3).
On peut néanmoins regretter le rejet d’un protocole dédié au développement durable tel qu’il avait été proposé par la Commissaire à l’environnement Margot Wallström [5], proposition qui avait reçu un accueil favorable de la part des ONG environnementales regroupées au sein du groupe G8. Les discussions sur ce sujet au sein de la Convention, notamment dans ses contacts avec la société civile, furent très agitées. Il faut se rappeler que le maintien de l’acquis des traités existants en matière de développement durable a été arraché de haute lutte et dans la dernière ligne droite des négociations au sein de la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing.
Le refus de mettre en place un groupe de travail sur cette thématique au début des travaux de la Convention avait été souligné par les écologistes, et avait incité les observateurs à être vigilants. Le texte tel qu’issu de la Convention et le texte remanié par la Conférence intergouvernementale reprennent l’ensemble des dispositions antérieures. En matière d’institution, aucune avancée majeure n’est cependant à signaler. L’idée d’un Conseil du développement durable qui s’appuierait sur le Conseil économique et social européen ou serait un organe consultatif n’a pas fait recette.
C’est à Helsinki en décembre 1999 que les Etats Membres ont donné mandat à la Commission européenne d’élaborer une proposition de stratégie à long terme destinée à assurer la concordance des politiques ayant pour objet un développement durable du point de vue économique, social et environnemental. La stratégie de développement durable (SDD) repose sur 4 grands thèmes dont :
– Les changements climatiques : la ratification du protocole de Kyoto dont il est de bon ton de souligner le rôle joué par Dominique Voynet (Les Verts) - lors de la présidence française de l’Union - et Olivier Deleuze (Ecolo/Belgique) qui ont permis le maintien en vie du Protocole, alors brocardé par de nombreux Etats. On peut aussi noter de nombreuses directives sur les économies d’énergie dans les nouvelles constructions, l’utilisation des énergies renouvelables...
– La gestion des ressources naturelles via notamment les programmes Natura 2000, les directives sur les déchets et le recyclage. C’est l’ensemble du catalogue des nouvelles règlementations environnementales adoptées par l’UE que la Commission présente comme le pilier environnemental de sa stratégie.
– La mobilité et les transports en s’appuyant sur de nombreuses initiatives, couvrant un spectre plutôt large (environ une dizaine de programme d’action en cours : de la promotion du télé travail (FAMILIES), un programme pour des transports en villes plus propres (CIVITAS) et des financements pour la promotion du transport maritime à courte distance (Marco Polo).
La pauvreté et l’exclusion sociale faisaient partie de la proposition initiale de la Commission, avec pour objectif des taux d’emploi toujours plus élevés et une formation toujours plus avancée. L’aspect qualitatif (conditions de travail, temps de travail) est très peu évoqué, ou lorsqu’il l’est, on y dénote un peu d’angélisme dans la compréhension du rapport patronat / salariat. Cette partie de la stratégie du développement durable faisait alors le lien avec le processus d’inclusion sociale, et sa méthode ouverte de coordination, partie intégrante de la stratégie de Lisbonne.
Comme le souligne E. Zaccaï [6], la Stratégie adoptée à Göteborg va se recentrer sur l’environnement et son intégration dans les politiques (normalement acquise depuis l’adoption du processus de Cardiff (1998) qui vise à prendre en compte l’environnement dans l’élaboration des politiques européennes), en y ajoutant des indicateurs visant à mesurer le chemin parcouru. Le tout devant être normalement examiné annuellement lors d’un Sommet de printemps, où sera également évaluée la Stratégie de Lisbonne.
Le réexamen de la Stratégie de développement durable devrait intervenir après l’installation de la Commission Barroso. Elle aura pour objectif de prendre en considération les changements observés depuis 2001 comme l’élargissement de l’Union européenne à 25 Etats membres ; une mondialisation beaucoup plus libérale et sauvage qu’annoncée, ses implications dans l’économie européenne et mondiale mais aussi l’engagement de l’UE vis-à-vis d’un certain nombre d’initiatives et d’objectifs mondiaux ; une nature qui se dégrade de plus en plus en Europe comme ailleurs...
C’est un bilan mitigé que l’on peut tirer de la mise en place de la stratégie de développement durable. Les citoyens - au travers d’une consultation par Internet ont pu s’exprimer à ce sujet [7]. 692 réponses (seulement !) ont été reçues par la Commission. 80 % d’entre elles émanaient de particuliers, les 20 % restant se divisant entre les ONG (7 %), les entreprises (6,4 %), les syndicats (0,6 %), les administrations et les universités.
Sur l’ensemble des pays (25), 4 ont contribué pour plus de la moitié des réponses (Allemagne (15,2 %), Belgique (12,9 %), Royaume Uni (14,36 %) et France (14,6 %)).
De nombreuses questions étaient proposées. A la question de savoir si le processus communautaire est propice à la réalisation du développement durable, les sondés se trouvent à 44 % en accord, 26 en désaccord et 22 % ne se prononcent pas. C’est donc une maigre majorité qui se prononce en faveur de la méthode communautaire. Pire, dans l’évaluation globale de la stratégie depuis sa mise en place 2001, c’est une majorité de mécontents qui l’emporte (44 % contre 37 %)... Reste à se demander quelles leçons retirera la Commission de ce jugement, et si une autre consultation publique (bénéficiant d’une meilleure publicité !) aura lieu avant le lancement de la stratégie nouvelle version.
De son côté le Comité économique et Social Européen (CESE) s’est exprimé - à la demande de la Commission - sur le bilan de la stratégie et surtout pour brosser quelques pistes pour la nouvelle stratégie.
Le CESE soulignait surtout le besoin de sortir du verbiage dans le domaine, de la nécessité d’avoir des objectifs (intermédiaires et à plus long terme) et une description des différents outils destinés à atteindre les objectifs en question.
L’absence d’un volet relatif au social et à l’emploi dans la première stratégie est aussi pointée du doigt par le CESE, qui fait de la mise en route d’un tel volet une des clés de la réussite de la stratégie nouvelle version. Il intéressant de souligner la large place de l’aspect qualitatif des emplois [8].
L’avis du CESE est très intéressant car il pointe de nombreux domaines qui pourraient évoluer avec la nouvelle stratégie (utilisation des fonds structurels à concilier avec le développement durable). C’est aussi une caisse de résonance pour les nombreuses voix qui se sont élevées au cours de l’élaboration du processus, critiquant la quasi impossibilité de s’organiser correctement afin de répondre à la Commission (deux mois à peine entre la publication du document de consultation et celle de la proposition relative à la SDD).
Pour le CESE, la révision doit se faire dans la transparence, dans la mesure où le développement durable est tributaire d’un large consensus et soutien. Cela implique de disposer d’un certain nombre d’informations, y compris sur ce qu’est le développement durable, les conséquences qu’il aura et celles auxquelles on peut s’attendre si l’on n’applique pas une telle politique. C’est la raison pour laquelle la nouvelle stratégie en faveur du développement durable devrait être élaborée puis mise en œuvre dans le cadre d’un vaste débat politique.
Quelles pistes ? Quelles perspectives ?
Suite aux Conseils européens de Lisbonne (2000) et de Göteborg (2001), la Commission européenne a créé une table ronde d’experts indépendants sur le thème du développement durable, pour offrir un large éventail de points de vue et qui relève directement du président de la Commission. Le groupe Strauss-Kahn [9] a été lancé par l’Union européenne dans le cadre d’une stratégie de promotion des dimensions économique, sociale et environnementale du développement durable.
Le groupe Strauss-Kahn devait réfléchir sur le développement d’un modèle européen spécifique. Le mandat était clair quant à la nécessité de sauvegarder les acquis, "L’Europe doit continuer de sauvegarder et de consolider les principes qui sous-tendent et justifient les systèmes de protection sociale tout en les modernisant, afin qu’ils répondent aux besoins du nouveau millénaire" et donnait une place à un modèle de développement durable, caractérisé par un équilibre particulier entre prospérité économique, justice sociale et protection de l’environnement.
Pour l’auteur du rapport, nous sommes engagés dans un "entonnoir écologique", où le curatif prime sur le préventif. Selon l’ancien ministre de l’économie : "le point de non-retour se rapproche ". Ce diagnostic sera sans doute partagé par la grande majorité des écologistes... sauf un certain danois (voir page 53).
Le rapport se compose de 50 propositions, dont plusieurs reposent sur la nécessité d’un véritable volontarisme politique (en actions !) en faveur du développement durable. Une des propositions les plus intéressantes est la mise en place d’un Conseil "développement durable", chargé de mettre en oeuvre le programme de "convergence écologique" sur la base d’un calendrier et d’instruments définis. Reste à définir qui y participera, s’il sera ouvert aux seuls ministres de l’environnement des 25 Etats Membres (sur le modèle du Conseil environnement) ou s’il sera permettra d’y discuter arbitrage entre différents ministères (industrie, transport, etc.).
A l’instar du CESE, le rapport préconise d’utiliser les fonds structurels, afin de créer, un fonds de convergence écologique pour co-financer les investissements régionaux et locaux nécessaires à la mise en conformité des installations et équipements aux standards environnementaux.
On peut regretter l’absence de proposition sur la création d’Organisation Mondiale de l’Environnement (OME), idée chère aux écologistes, et qui aurait montré la détermination européenne à faire contrepoids aux politiques commerciales mises en œuvre au niveau de l’OMC, dont les effets sur l’environnement et sur la cohésion sociale hypothèquent la voie d’un développement durable.
Au niveau de la cohésion sociale, le rapport du groupe DSK reprend l’idée d’un revenu minimum européen dont le niveau serait calculé dans chaque Etat membre en fonction du revenu moyen de cet Etat. La création d’un fonds européen de soutien aux salariés victimes des restructurations, sans précision pour son financement, est aussi avancée.
Le Luxembourg qui assure la Présidence depuis le 1er janvier a aussi son idée en matière de développement durable et de bonnes recettes pour l’Europe. Lucien Lux, le ministre luxembourgeois de l’Environnement a déclaré que les trois priorités de la Présidence luxembourgeoise, à savoir la révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne, les perspectives financières et le pacte de stabilité, comportent tous des aspects environnementaux, expliquant qu’avec cette perspective il s’agissait de faire contrepoids à l’idée que l’environnement soit mauvais pour la compétitivité et pour l’emploi.
La Présidence luxembourgeoise souhaite faire adopter une charte européenne sur le développement durable qui définira des orientations générales et des principes directeurs en la matière. Ces principes s’appliqueraient à l’ensemble des politiques de l’Union. Pour M. Lux, la charte serait "superposée à tous les domaines politiques, elle devra jouer le rôle de garante que tous respectent les objectifs écologiques. La charte devrait être un indicateur visuel, tangible et transversal des avances de l’UE en la matière ; elle chapeautera les actions de l’Union dans ce domaine".
Espérons que cette Charte voit le jour et vienne mettre un peu d’ordre dans la jungle de stratégies et autres programmes ou initiatives dédiés au développement durable, en prenant en considération ses trois piliers, afin d’éviter de l’enfermer dans un carcan environnementaliste ou d’en faire seulement une arme économique européenne à la conquête de nouveaux marchés...
Arnaud Leroy
[1] Tel que défini dans le rapport Brundtland.
[3] En mars 2000, les chefs d’Etat et de Gouvernement réunis à Lisbonne ont de faire de l’Union européenne "l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale, dans le respect de l’environnement".
[4] Lire le rapport Kok :
http://www.europa.eu.int/comm/lisbon_strategy/pdf/2004-1866-FR-complet.pdf
[5] Lien vers le texte du protocole : http://www.panda.org/downloads/europe/g8igcfrfinal88032.pdf
[6] Edwin Zaccai, Le développement durable, Dynamique et constitution d’un projet, page 172, collection Eco-Polis , ed PIE - Peter Lang, 2002.
[8] Voir page 19 du rapport du CESE (NAT/229 "Evaluation de la stratégie en faveur du développement durable", CESE 661/2004)
[9] Ce groupe était composé de 12 membres dont Magda Alvoet, ancienne ministre (verte) de l’environnement en Belgique, Nicole Notat, Bronislaw Geremek, José Saramago. Il a procédé à de nombreuses auditions, et a notamment reçu Jürgen Habermas et Amartya Sen.