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Éditorial : Le départ d’André Gorz

vendredi 3 octobre 2008, par EcoRev’

Le départ d’André Gorz, pour la rédaction d’ÉcoRev’ est un moment émouvant. André nous avait accordé son parrainage à partir du numéro 1 pour la revue, après que nous ayons publié dans le numéro 0, un article de lui de 1974, Leur écologie et la nôtre. Depuis, nous avons publié régulièrement de lui, des articles, des extraits de ses ouvrages, des critiques de ses ouvrages dont certaines suscitèrent des correspondances nourries comme celle du numéro 13 d’ÉcoRev’ avec Yann Moulier Boutang après la publication de L’immatériel. André adorait écrire, entretenait de nombreuses correspondances et malgré ses critiques pertinentes des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication, persistait à utiliser la plume et le fax, comme il l’a fait avec le dernier qu’il nous a envoyé le 17 septembre 2007, La sortie du capitalisme a déjà commencé.

Mais au delà de l’intellectuel, c’est l’homme qui était fascinant et dont toute la candeur est apparue dans son dernier livre, Lettre à D en étant fidèle à l’écologie politique, à la globalité du projet politique, en liant réflexion et attitude personnelle. A travers ce livre, de nombreuses personnes ont découvert la profonde humanité de intellectuel, préparant le long voyage comme il a pu le dire quelque mois avant la date fatidique du 24 septembre 2007. Inversement, d’autres qui connaissaient l’homme ont découvert l’intellectuel comme l’a rappelé lors des obsèques la maire de Vosnon, le village où André et Doreen résidaient.

André Gorz, de son vrai nom Gerhard Hirsch, et sa femme Doreen étaient un couple inséparable dans la vie comme dans la mort. Leur vie symbolise tout les errements et les tiraillements du XXème siècle. Lui, fils d’un commerçant juif autrichien et réfugié en Suisse après l’Anschluss, elle, de nationalité britannique, séparée de ses parents très jeune, se sont rencontrées à Lausanne en octobre 1947 pour ne jamais se quitter. La pensée d’André est indissociable de sa relation avec Doreen. Lors des obsèques, un ami proche, ancien président de la Cimade rapportait l’anecdote d’un refus de partir pour un voyage à l’étranger car Doreen ne pouvait venir. Au delà de cette anecdote, nous pouvons aussi souligner ce retour aux heures sombres du passé ; André et Doreen s’étaient rapprochés de la Cimade. Apatrides qu’ils furent avec l’arrachement à toute terre qui en découle, le travail de la Cimade d’aide à tous ces étrangers en rétention prend ici une toute autre signification à une époque où le pire est à nouveau possible : fichage génétique des étrangers, séparation des enfants des parents par expulsion d’un père, contrôle au faciès dans les zones publiques, référence au statistiques raciales dans des attendus de texte de loi....

Mais l’André que nous avons apprécié en 2000, c’est l’homme qui n’a jamais transigé avec ses convictions, n’hésitant pas à rompre avec ses amis politiques en 1980, dans Adieux au prolétariat en dénonçant un messianisme prolétarien puis en 1983 l’impossibilité d’une relance keynésienne pour résoudre la crise économique dans Les chemins du paradis où il écrit : "La gauche est en train de mourir, faute d’imagination". 24 ans plus tard, nous y sommes encore avec une gauche qui pense encore que le travail salarié émancipe, que la production et la consommation sont l’horizon indépassable de l’humanité, que tout revenu se mérite, que le progrès technique de demain est la solution de nos problèmes d’aujourd’hui. Or, comme il l’écrit dans son dernier article : « La décroissance est (...) un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. En leur absence, l’effondrement ne pourrait être évité qu’à force de restrictions, rationnements, allocations autoritaires de ressources caractéristiques d’une économie de guerre. La sortie du capitalisme aura donc lieu d’une façon ou d’une autre, civilisée ou barbare. »

Par ses écrits, André Gorz est l’un des principaux théoriciens de l’écologie politique liant anti-productivisme, anti-libéralisme et anti-capitalisme en mettant au coeur de son analyse l’importance de l’autonomie et l’émancipation des personnes contre toutes les formes d’aliénation. Son départ doit nous enjoindre à prolonger sa réflexion, la confronter la réalité et faire vivre les alternatives existantes, les seules à même de renverser le système.

La rédaction