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La ruralité des Verts

juin 2002, par Jacques Maret

L’intérêt des Verts pour les questions agricoles et l’aménagement du territoire n’est pas nouveau. Face à l’ampleur des catastrophes issues de l’agriculture productiviste de ces trente dernières années, quelle(s) alternative(s) peuvent-ils porter ? Jacques Maret, animateur de la Commission agriculture des Verts, principal rédacteur des propositions de Noël Mamère sur ce dossier, présente les positions des Verts vis-à-vis de la ruralité. Son statut d’éleveur laitier en agro-biologique et transformateur-vendeur direct dans l’estuaire de la Charente donne un éclairage tout particulier à ses propos.

Aujourd’hui, René Dumont ferait campagne en dépolluant son verre d’eau pour la boire… Annoncés il y a 20 ans, les dégâts sont là. Les orientations (loi Pisani, Traité de Rome, quotas laitiers, réforme de la politique agricole commune (PAC)) nous ont fait passer du soutien à la productivité (tonne de blé, de lait) aux aides à la surface (primes à l’hectare) et au volume (quotas laitiers). La PAC ne reconnaît ni le territoire, ni l’homme et le revenu de son activité. Pire, plus le terrain est riche, plus les primes sont élevées. L’organisation mondiale du commerce (OMC) a fixé les prix intérieurs (USA et Europe) sur ceux des marchés internationaux. Or, pour la majorité des produits, seuls quelques % sont mis sur le marché mondial (5% pour le lait, 10% pour le blé), ce sont les excédents non consommés sur place : un industriel ou un commerçant vend-il toute l’année à un prix de déstockage ?
Croissance et concurrence libérale ont tué la paysannerie vivrière partout, même en Europe. La déshérence économique des zones à la marge (montagne, zones humides, arides…) a conduit à un exode rural massif.
Contrairement aux idées libérales actuelles, la vente au prix mondial protège les pays développés. Ces exportations à prix bradés sont à la portée des seuls pays riches qui soutiennent leurs agriculteurs : restitutions à l’export, aides directes environnementales ("boîte verte"). Les pays en voie de développement (PVD) n’en ont pas les moyens. Pour beaucoup d’entre eux, leurs exportations sont des denrées de base, non transformées et à des prix anarchiques, en baisse depuis un demi-siècle, avec des coûts de production sociaux et environnementaux en permanente hausse. La mainmise des multinationales sur les facteurs de production accélère la baisse des prix sur le marché mondial. Pour le coton malgache c’est simple : la vente de coton brut couvrirait à peine l’achat des intrants nécessaires.

Pour une stratégie de protection mesurée

Pour enrayer la baisse de prix créée par le productivisme, la mise en place de l’exception alimentaire à l’OMC rétablirait une agriculture vivrière partout. La protection à l’importation des produits alimentaires est, paradoxalement une mesure non protectionniste. Dans l’actuel marché mondial, les prix ne sont fixés que sur les excédents. Nous proposons que chaque entité géopolitique (l’UE par ex.) établisse, par un Observatoire des prix, un prix-plancher pour les denrées de base. Les agricultures vivrières et territoriales seraient ainsi protégées des importations. Nous entendons, par agriculture vivrière, les paysans qui visent à leur autosuffisance, vendant une faible part de la production localement. La défense de ces systèmes amènera à l’autonomie alimentaire de leurs territoires. Ce type d’exploitation, primordial dans les PVD, doit être protégé partout. En effet, les dégâts sur le tissu rural sont aussi prégnants chez nous. La désertification du territoire le prouve.
Ces mesures de protection ne seraient bien entendu pas systématiques. Les produits sur lesquels les PVD ont des avantages techniques ou climatiques en seraient exonérés. L’UE lèverait les barrières douanières pour les produits tropicaux transformés ou finis répondant aux règles du commerce équitable de même que pour les produits à haute valeur ajoutée (vins liqueurs, AOC, etc.)
Pour la PAC, les Verts proposent, dès 2003, une remise en place de la préférence communautaire, fondement du traité de Rome. L’objectif était pour la France, puis l’Europe, l’autonomie alimentaire. En 1945, les prix des denrées ont été déconnectés du marché mondial, politique reprise par le traité de Rome. Les prix étaient fixés quel que soit la quantité, lors de marathons annuels avec la "profession agricole". Les effets pervers de cette cogestion n’ont pas été perçus, mais la production a augmenté, jusqu’à créer des montagnes d’excédents. Le système co-gestionnaire a maintenu ces règles, sauf pour les quotas laitiers… Le budget de l’UE y pallie, puisqu’il consacre encore actuellement 60% à la PAC. La réforme de 1992 aurait pu permettre un changement. En passant du soutien au tonnage à celui à la surface, des critères d’attribution auraient dû être mis en place. Le mode de négociation n’a pas permis cette évolution.

Réformer la PAC : de la cogestion à la négociation

L’absence de volonté de réformer l’attribution des fonds publics nous amène à la situation actuelle. Les exploitations grossissent de plus en plus, soumises à la double tenaille de la baisse des prix et de la hausse des coûts.
Les cours ne rémunèrent plus les petites structures, les primes calculées à l’hectare ne compensent pas la baisse des revenus. Le travailleur évincé se reclasse grâce à la croissance globale, ou disparaît du marché du travail (chômage, retraite…). Les surfaces libérées vont au voisin plus grand, qui, modifiant ses structures, devient encore plus dépendant des rendements pour assurer les charges. Les aides sont inégalement réparties : un emploi agricole sur maïs irrigué reçoit 24 000 euros par an, alors que le producteur fermier, vendeur direct sur 15 ha, ne reçoit que 4 000 euros. Les commerçants ruraux n’ont pas d’aide publique alors même qu’ils sont indispensables à la vie du lieu.
Les Verts proposent que les prix du marché intérieur soient rémunérateurs. L’Observatoire des prix, s’appuyant sur les données existantes, contrôlerait cette rémunération avec des prix planchers par type de denrées. Pour ces prix, des clauses éco-conditionnelles seraient appliquées : maximum d’intrants, redéfinition des autorisations de mise sur le marché (AMM), des phytosanitaires (tests faits par des experts indépendants de l’obtenteur de la molécule, de toxicité croisée, sur des périodes suffisantes d’expérimentation).
Ces trois critères (préférence communautaire, éco-conditionnalité, vente à un prix rémunérateur) auraient plusieurs conséquences. Tout d’abord, le producteur retrouverait la fierté de son produit et de son territoire. Ensuite, ceci dégagerait d’importantes sommes (au niveau national comme européen) sans trop augmenter les prix pour la ménagère : 2 cents d’euros de blé dans une baguette à 60 cents (moins de 4%)… Enfin, ces économies seraient recentrées vers les zones les moins productives, les petites exploitations (maraîchage…) et vers le développement rural.

Aides plafonnées et « quota » par exploitation et par actif

Chacun aurait un tonnage au prix protégé, calculé avec deux plafonds. Une "allocation de base" par exploitation quelle que soit sa surface, serait évaluée au prorata de la surface moyenne des exploitations actuelles (par ex. un tiers de cette moyenne). On pourrait donc s’installer sur de petites structures, quelque soit le volume du prédécesseur. Un deuxième plafond, calculé avec un seuil à l’hectare, prendrait en compte les exploitations plus grandes, sans favoriser la productivité à l’hectare. En effet, si ce plafond n’est pas trop haut, la production excédentaire soumise au prix mondial orienterait les producteurs vers des denrées rémunératrices ou vers la vente en circuit court, qui rend confiance au consommateur. Ces propositions auraient des conséquences sur l’alimentation, la santé, le tissu rural, le développement des territoires.

Gérer les conséquences d’un productivisme trentenaire

Le productivisme outrancier des trente glorieuses n’a pu faire face aux scandales, sociaux et environnementaux de ces dernières années. L’eau est infestée de nitrates, de phytosanitaires, d’antibiotiques, d’hormones, tous produits difficilement détectables. Alors pour ce qui est de leur dépollution, il faudra attendre que le "progrès" nous rattrape. L’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) montre les risques inconscients pris par les fabricants d’aliments pour le bétail, mais l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) a participé à la transformation d’herbivores (l’herbe est non acide, fibreuse et à faible concentration d’énergie) en bétail consommant des produits acides (ensilage de maïs), non fibreux et très riches en énergie… Pour compenser cela, on les alimente avec des protéines pures (farines de viande) ou de l’azote chimique… avec les conséquences pour l’animal, la qualité de la viande, du lait, et de la santé du consommateur ! L’ESB occupe toujours les esprits ; mais qui parle de la maladie d’amaigrissement du porcelet (MAP), qui se traduit par des dysfonctionnements du système immunitaire des porcs au sevrage ? Ou encore de l’épidémio surveillance mise en place dans les départements les plus intensifs en élevage avicole (le poulet est porteur de virus de la grippe : les "pestes aviaires") ?

Développer un programme durable pour l’agriculture

Ces exemples montrent que l’alimentation doit être traitée en appliquant le principe de précaution ; les nombreuses anomalies de la production sont à clarifier. Selon le principe du développement durable, il importe de réorienter les politiques publiques vers des programmes de développement solidaire ville-campagne et vice versa. Il faut mettre en œuvre un développement équitable des territoires, en diminuant l’inégalité entre les espaces. Actuellement, la ville continue à exercer une sorte de fascination, alors que ne cessent de grandir les déséquilibres entre les zones rurales elles mêmes. Plusieurs solutions sont envisageables. La recherche doit être orientée vers les agricultures alternatives.
L’agriculture biologique ne prendra pas la place de l’actuel système en quelques années. Il lui faut encore bénéficier d’un soutien scientifique important, et d’une adoption massive par le milieu agricole. Les agricultures durables et fermières sont des paliers de reconversion qui permettront de restaurer qualité de l’environnement et occupation rurale. Ces modes alternatifs nécessitent une modification psychologique des acteurs à la base. Des formations en ce sens seront mises en place.
Une telle conversion suppose aussi une mutation structurelle. La légitimité d’un ministère de l’Agriculture se pose aujourd’hui ; nous ne sommes plus dans un pays marqué par 90% du territoire dédié à l’agriculture, avec 70% de la population active concernée ; aujourd’hui, les questions de la qualité alimentaire et des risques sanitaires chimiques sont prépondérantes.
Une politique de la ruralité doit mettre en œuvre des mesures pour que les citoyens ne subissent pas de discriminations. La politique agricole doit d’abord stopper l’hémorragie des actifs paysans. Ceci est une condition primordiale de réussite d’un équilibre des zones rurales. Il faut réinstaller des ateliers paysans ou ruraux grâce aux fonds de développement rural.
Une loi sur la pluriactivité en milieu rural et sur l’installation progressive doit être mise en place rapidement. Les seuils actuels d’installation sont trop élevés.
Une modification de l’ouverture des droits sociaux permettra aux pluriactifs de ne pas être hors normes. La notion de Surface Minimum d’Installation devra ainsi être abrogée, et le revenu sera conforté le temps nécessaire à la viabilisation de l’entreprise. Ces aides seront modulées en fonction du lieu, du type d’activité et des soutiens complémentaires territoriaux. De même une "dotation de carrière" sera créée pour contrebalancer les handicaps territoriaux ou sociaux spécifiques. Des mesures seront prises pour les Safer (Société d’Aménagement Foncier), avec les moyens financiers appropriés, pour mettre en œuvre des GFA (Groupement Foncier Agricole) d’installation comme des "ateliers relais". Que ce soit pour les agriculteurs, les artisans pluriactifs, les lieux de vie ou les regroupements professionnels, les collectivités et les administrations pourront, grâce à une modification du mode d’attribution et de contrôle des fonds européens, créer des structures pour l’occupation du milieu.
L’Etat maintiendra la vie des territoires ; postes, écoles, centres administratifs resteront en place. Enfin, il convient de porter une attention toute particulière à l’animation de ces territoires. Pour la culture, les communications (transports, information), la lutte contre l’exclusion sociale, les territoires ruraux ne doivent plus subir de discrimination négative.

Il ne peut y avoir de ruralité sans agriculture

Quelle ruralité souhaitons nous, avec quelle agriculture pour nos campagnes ? La ruralité est un phénomène d’appartenance à la fois à un groupe social, à un terroir particulier avec un fonctionnement culturel différent du citadin. L’apparition actuelle des rurbains montre une évolution de la société qui veut cumuler les avantages des deux milieux de vie. Le monde rural doit cependant demeurer un lieu de vie agricole ; c’est la présence de multiples agriculteurs qui donne tout son sens et son dynamisme à ces territoires. Ce sont eux qui animent les activités commerciales locales, encore eux qui développent de nouvelles activités.
Sommes-nous, comme le disait René Dumont, si mal partis ? Seule une utopie constructive pourra nous permettre de sauvegarder l’essentiel, la survie de la Biosphère.