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Elaboration d’un indicateur participatif de bien-être (IPBE) : l’exemple du territoire d’Hénin-Carvin (Nord-pas-de-Calais)
lundi 23 mars 2009, par ,
Qui est légitime pour choisir le contenu d’un indicateur dont la vocation est de mesurer la santé ou le bien-être d’une société ? Qui mieux que la population elle-même ? C’est peu ou prou la question que Florence Jany-Catrice posait en conclusion de son article. Jean-Christophe Lipovac, chargé de mission au CERDD, et Bertrand Zuindeau, maître de conférences à l’Université Lille 1, nous racontent ici l’expérience dont ils ont été les témoins et les acteurs au sein du Conseil de Développement du territoire d’Hénin-Carvin, en région Nord Pas-de-Calais. Les deux auteurs nous expliquent en particulier comment une partie de la population a ainsi pu participer aux choix techniques visant à l’élaboration d’un Indicateur de Bien-être Participatif. Une expérience encore rare, mais qui témoigne d’une volonté de plus en plus ouvertement affichée de la société civile de s’occuper… de ce qui la regarde : à savoir la manière dont on mesure et définit son bien-être.
Les indicateurs économiques traditionnels, et au premier chef le PIB, connaissent depuis quelque temps une remise en cause radicale. Leurs insuffisances, et surtout leur caractère inadapté face à des paradigmes nouveaux tels que le développement durable, ont favorisé d’importantes réflexions visant la conception et la mise en œuvre d’indicateurs alternatifs. PIB vert, indicateur de bien-être durable, bonheur national brut, etc. : les initiatives sont nombreuses et stimulantes. Bien que, le plus souvent, ces tentatives se démarquent nettement de l’habituel PIB, elles n’en conservent pas moins formellement la caractéristique d’indicateur synthétique (ou composite). En d’autres termes, l’indicateur, dans son unicité, résulte par un schéma d’agrégation déterminé, d’un ensemble de variables, censées représenter ce que l’on cherche à illustrer : le bien-être, le développement durable, le bonheur… D’une certaine manière, le PIB bénéficie d’une facilité, celle de la monétarisation qui permet d’exprimer les différentes quantités mesurées à l’aune d’une unité de mesure commune, la monnaie. Mais précisément, dès lors que l’on conteste la possibilité qu’aurait la monnaie de mesurer des notions qualitatives comme le bien-être ou le bonheur, il faut bien choisir un autre mode d’agrégation. Un autre problème survient alors : celui d’une procédure arbitraire, qui entre autres défauts, ne tiendrait pas compte des préférences des populations. Quitter la référence faussement neutre de la monnaie pour un mode de construction dénué de préoccupations démocratiques est-il un réel progrès ? La question est d’autant plus légitime que vis-à-vis des notions dont on cherche à rendre compte (développement durable, bien-être…), la vie démocratique constitue une composante essentielle.
Entre autres tentatives pour instiller de la gouvernance dans le processus de construction des indicateurs, nous aimerions présenter l’expérience menée sur l’agglomération d’Hénin-Carvin (Pas-de- Calais) et qui a donné lieu à l’élaboration d’un indicateur participatif de bien-être (IPBE).
L’"indicateur participatif de bien-être" comme fruit d’une collaboration entre trois partenaires
Si elle a permis d’associer la population à une procédure de construction d’indicateur, la démarche conduisant à l’IPBE est, en premier lieu, le résultat d’une coopération entre trois partenaires : le Conseil de développement d’Hénin-Carvin, le Centre Ressource du Développement Durable (CERDD) (voir les deux encadrés), et l’Université de Lille 1 http://ustl1.univ-lille1.fr/projetUstl/.
La collaboration entre le CERDD et l’Université de Lille 1 (plusieurs formations d’aménagement en particulier) sur des questions d’évaluation du développement durable sur un plan territorial [1] est antérieure à cette expérimentation qui s’est déroulée dans le courant de l’année universitaire 2006-2007 et, précisons-le, qui concernait deux territoires pilotes en matière de développement territorial durable : la Communauté d’agglomération d’Hénin- Carvin et la ville de Loos-en-Gohelle. Aussi, la construction d’un indicateur synthétique, requérant une implication de la population, a été considérée comme un prolongement prometteur. Un tel projet a alors justifié le rapprochement avec le Conseil de développement d’Hénin-Carvin.
Le processus d’élaboration de l’"indicateur participatif de bien-être"
La démarche s’est faite en deux temps : 1) la constitution d’un groupe de travail issu du Conseil de développement et son animation ; 2) un travail d’enquête auprès de la population d’Hénin-Carvin. En l’occurrence, le caractère limité de l’échantillon étudié (127 personnes) invite à considérer l’ensemble du travail comme une première expérimentation, requérant une nouvelle étape sur une base élargie (cf. infra).
Composé d’une dizaine de personnes membres du Conseil, et accompagné d’une équipe de quatre étudiantes, le groupe de travail a connu un premier temps d’appropriation collective de la notion d’évaluation et d’indicateur, ainsi que d’échanges généraux sur la notion de "bien-être de la population". Son rôle plus particulier et, de facto, la dimension partenariale inhérente à la démarche, a porté sur les trois aspects suivants :
– le choix des thèmes constitutifs du bien-être : au travers d’un brainstorming, puis d’un Metaplan®, les participants ont indiqué quelles étaient les variables susceptibles d’influer sur le bien-être de la population du territoire. Avec l’aide des accompagnateurs, des regroupements ont été opérés pour parvenir à une liste de dix thèmes ;
– la validation des indicateurs proposés : pour chacun des thèmes proposés, l’équipe d’étudiantes a établi une liste d’indicateurs estimés représentatifs, le choix intégrant d’emblée la contrainte de disponibilité statistique. Le groupe a échangé sur la pertinence des indicateurs proposés, retiré certains, demandé à en incorporer d’autres. Au total, 48 indicateurs ont été retenus ;
– le choix des valeurs de pondérations de l’indicateur synthétique : il s’est agi de donner un poids aux différents indicateurs pour un thème donné, et aux différents thèmes entre eux. (À ce propos, l’une des difficultés rencontrées a été de bien faire saisir la distinction entre l’importance d’un thème constitutif du bien-être – dont rend compte la valeur de pondération – et sa situation particulière sur le territoire – qu’exprime la valeur statistique obtenue par ailleurs). Parallèlement, une homogénéisation des données a été permise, grâce à une transformation de variables, conduisant, dans tous les cas, à borner l’indicateur par les valeurs 0 et 1 [2].
Il n’a pas été possible de procéder de la même façon avec l’échantillon de population. Le temps d’interview limité, la difficulté pour rendre compréhensible à tous notre procédure séquentielle (choisir les thèmes, les indicateurs, indiquer des pondérations pour les thèmes puis pour les indicateurs), et en définitive, le caractère de "premier essai" de notre approche, nous ont obligés à simplifier la procédure. Seuls les pourcentages de pondération relatifs aux thèmes ont été déterminés par l’échantillon de population. Les thèmes et les indicateurs ont été repris du groupe de travail, de même que les valeurs de pourcentages des indicateurs pour un thème donné.
Quoi qu’il en soit, on peut considérer que l’originalité de la démarche tient dans l’indication par la population ou ses représentants (ici un groupe issu d’un Conseil de développement) des variables ou domaines estimés, à des degrés divers, importants dans ce qui constitue le bien-être sur un territoire. C’est en effet une vision partagée de la notion de bienêtre qui a émergé du processus participatif mis en place.
En annexe, nous avons repris les thèmes, les indicateurs et la structure de pondération correspondante, en l’occurrence celle issue de l’activité du groupe de travail.
Soulignons quelques enseignements généraux que nous pouvons tirer de cette expérience :
– la disponibilité des données et leur validité dans le temps conditionnent le choix final des indicateurs retenus pour constituer l’IPBE ;
– parmi les contraintes fortes à intégrer dès le départ, soulignons l’accès aux données aux échelles communale et intercommunale, de même que leur coût ;
– l’élaboration de l’IPBE repose sur une méthodologie rigoureuse : mobilisation active et continue des parties prenantes, animation des échanges, respect de la parole, synthèse des débats, et surtout pédagogie ;
– l’IPBE est un construit, entre réalité "objective" et perception individuelle du bien-être.
Les résultats
L’indication d’une valeur d’IPBE n’a évidemment en soi aucune signification. Déjà, varie-t-elle selon les valeurs minimales et maximales utilisées [3]. L’intérêt de cet indicateur, comme tout indicateur d’ailleurs, tient dans les possibles comparaisons spatiales et temporelles effectuées. Le travail de comparaison dans le temps (et au-delà de suivi des valeurs obtenues) reste à faire. En revanche, une comparaison entre trois ensembles territoriaux a été effectuée : l’agglomération d’Hénin- Carvin, la région Nord-Pas de Calais, et la France (avec pour ces deux derniers territoires, la structure de pondération établie par le groupe de travail sur l’agglomération). Sachant que les résultats portent sur l’année 1999, on note que, rapportée à une base 100 pour la France, la valeur de l’IPBE régional atteint 87, et reste limité à 72 pour l’agglomération. Des variables telles que la santé, l’économie, l’environnement, mais aussi l’éducation, jouent un rôle important dans ce résultat plus faible pour l’agglomération.
Il est également apparu intéressant de comparer les deux structures de pondération (groupe de travail et échantillon de population). D’éventuelles divergences permettent de conforter l’idée d’une sensibilité des résultats à la population de référence, tandis que, d’un tout autre point de vue, cette comparaison permettrait d’apprécier la représentativité du Conseil de développement vis-à-vis de la société civile locale. En l’espèce, des différences significatives apparaissent pour les thèmes "économie/emploi", "santé", jugés plus importants pour le groupe de travail, l’inverse s’observant pour les thèmes "mobilité" et "démographie". En d’autres termes, la perception des enjeux et des priorités en matière de bien-être du groupe de travail n’est pas commune à celle de l’échantillon de population interviewé.
Les perspectives
Ce premier travail peut, à l’évidence, être amélioré. La faiblesse de l’échantillon et son caractère non significatif sont, bien sûr, des facteurs très limitants vis-à-vis de l’intention qui présidait à l’ensemble de la démarche : une recherche de démocratisation du processus de construction de l’indicateur. D’ores et déjà, une extension au travail déjà réalisé est en cours, envisageant un échantillon représentatif de 500 personnes. Au titre des critiques, certains indicateurs sont à reconsidérer. Leur influence équivoque sur le bien-être perçu, positive chez les uns et négative chez d’autres, fait problème : part des ménages motorisés, part des étrangers dans la population, taux de natalité…
Les perspectives sont nombreuses. En l’état, nous pouvons considérer que l’IPBE est un outil intéressant pour communiquer, voire interpeller les décideurs et responsables locaux sur l’ensemble des champs qui relèvent du bien-être, au delà des compétences spécifiques de la collectivité locale. Les possibilités de comparaisons sont sans fin : entre différents territoires, mais aussi en appréciant la sensibilité de la structure de pondération selon diverses catégories d’acteurs [4], ou en rapprochant des indicateurs statistiques "objectifs" à des indications subjectives de bien-être. Cependant, les formes d’implication de la population sont aussi à interroger. Après tout, il n’est nullement certain qu’une approche en termes d’enquête réponde parfaitement à l’objectif d’une élaboration démocratique de l’IPBE. A-t-on ainsi une garantie de choix bien réfléchis, "en toute connaissance de cause" ? Peut-être, une approche de type "forum citoyen", avec un groupe assez large et représentatif de la population, serait-elle plus adéquate : formation, communication d’informations, échanges préalables, mais votes secrets – pour éviter les effets d’intimidation – pourraient en être les caractéristiques.
Au demeurant, cette expérimentation s’est inscrite dans un processus d’apprentissage collectif de l’évaluation et du développement durable dont ont pu bénéficier directement les membres du groupe de travail. Le travail d’acculturation à ces notions, à l’évidence nécessaire pour tous, a permis à des membres de la société civile de prendre pleinement leur place dans la réflexion en matière de construction d’outils d’évaluation et d’apporter une véritable valeur ajoutée à celle-ci par le partage des expertises scientifique, technique, et d’usage.
Le Conseil de développement d’Hénin-Carvin
Créés par la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du
Territoire du 25 juin 1999, les Conseils de développement ont un rôle consultatif à
l’égard des territoires de projets tels que les agglomérations et les pays, en particulier
pour ce qui concerne l’élaboration de leur stratégie territoriale de développement
durable. Sur le territoire d’Hénin-Carvin, le Conseil de développement a été créé en
2001. Composé de 50 membres, le Conseil tente, conformément à la Loi, d’être représentatif
de la "société civile" : représentants du monde associatif, des mondes
syndical et socioprofessionnel, etc. Formulant des avis sur les principaux projets de la
communauté d’agglomération, le Conseil est aussi force de proposition. Pour ce faire,
il a opté pour la constitution de divers groupes de travail : Écologie citoyenne - trame
verte - cadre de vie, Avenir économique du territoire et population, Services de
proximité et politiques d’accompagnement social, Gouvernance, etc.
Le Centre Ressource du développement durable (CERDD)
Le Centre Ressource du Développement Durable (CERDD) est un Groupement d’Intérêt Public entre l’Etat et le Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais. Son objet est de
promouvoir le développement durable en région Nord-Pas-de-Calais et d’aider tout
acteur public ou privé à mettre en application le développement durable.
L’activité du CERDD est structurée autour de trois missions principales :
– analyser, expertiser le développement durable ;
– expliquer le développement durable et diffuser les bonnes pratiques ;
– réunir les acteurs et animer des groupes d’échanges.
L’accompagnement des acteurs a été défini comme un moyen d’action spécifique en
vue d’alimenter ses missions. Cet accompagnement vise à la fois à développer une
connaissance empirique et à capitaliser les expérimentations de terrain. L’évaluation
des politiques territoriales au regard du développement durable et les indicateurs
territoriaux du développement durable constituent une entrée thématique de travail
et d’étude pour le CERDD. À ce titre, le CERDD prend part à des expérimentations
initiées par des territoires de projets de la région Nord-Pas-de-Calais en vue d’analyser
les dispositifs et processus mis en oeuvre, de capitaliser puis de diffuser et
mettre en débat les concepts, outils et méthodes développés sur cette question [5].
Portfolio
[1] Cf. notamment le compte-rendu de la journée d’étude "Evaluer le développement durable : enjeux, méthodes et démarches d’acteurs" : http://developpementdurable.revues.org/docume nt1676.html, ou encore le wiki public du CERDD : http://wiki.cerdd.org/tiki-index.php, où une synthèse d’études est proposée sous la forme d’une proposition de méthodologie pour réaliser un "diagnostic territorial au regard du développement durable".
[2] À l’instar du mode de calcul utilisé par l’ONU pour l’IDH, il s’agit d’une transformation du type : (Vmax – V)/(Vmax – Vmin), où V est la valeur observée de la variable, et Vmax et Vmin, des valeurs supposées respectivement maximales et minimales de la variable en question.
[3] À l’instar du mode de calcul utilisé par l’ONU pour l’IDH, il s’agit d’une transformation du type : (Vmax – V)/(Vmax – Vmin), où V est la valeur observée de la variable, et Vmax et Vmin, des valeurs supposées respectivement maximales et minimales de la variable en question.
[4] Dans cet esprit, un autre travail a essayé de voir dans quelle mesure une population d’étudiants faisait apparaître des différences d’appréciation sur les thèmes à retenir et leur poids respectifs.
[5] Cf. en particulier sur le site Internet du CERDD la rubrique "évaluation" : http://www.cerdd.org/spip.php?rubrique243.