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Les fantômes de l’Internet

Alain Lipietz, Les Petits matins, 2011, 164 pages, 15 euros.

avril 2011, par Pierre Thiesset

« Polytechnicien érudit », « économiste prolifique », « député européen polyglotte » [1], ex maoïste, Alain Lipietz vient d’ajouter une ligne sur son copieux curriculum : romancier. Avec Les Fantômes de l’Internet, il s’aventure avec humour sur le terrain du polar.

Dans le rôle du flic, Fred Barberousse. À cinquante ans, ce militaire qui travaillait au service du contre-espionnage de l’Union européenne prend sa retraite. Une seconde vie épicurienne lui tend les bras : participer à plein temps à un site coopératif gratuit consacré à l’œnologie, devenu une véritable référence sur le vin.

Mais sa femme Babelutte refuse. Elle le pousse à trouver un nouveau travail. Pour un chef du département « veille stratégique » qui passait son temps à contrôler la toile depuis Bruxelles, expert en logiciels libres, l’embauche ne tarde pas. CyberSecuritas l’engage pour vider Internet de ses détritus. Des péripéties farfelues l’attendent.

Le premier client de l’agence est un riche « philosophe », autrefois nouveau, omniprésent dans les médias, reconnaissable à la télé par sa chemise blanche largement ouverte. BHL et son épouse AD se font traiter de tous les noms sur des forums, blogs... Des centaines de pages d’insultes. Problème : le troll auteur de ces messages haineux, c’est tout le monde. Comment Fred Barberousse peut-il faire taire tout le monde ?

La notoriété de l’enquêteur rusé se propage aussi rapidement qu’un spam. Labalen, ministre de la Culture qui a mis en place la loi Hadopi, fait appel à ses services. Un fantôme sans adresse IP, impossible à identifier, lui envoie un morceau de musique somptueux. Cette cantate illégale pour Hadopi, car composée d’œuvres connues et remixées, est aussi adressée à Denis Olivennes, patron de la Fnac et socialiste traître tendance Kouchner-Besson-Valls. Les deux liquidateurs de libertés ne supportent pas ce chef-d’œuvre envahissant.

Le récit rieur et gentiment loufoque nous emmène sur la trace d’un Bourgogne à l’appellation abusive, et d’un gode michet made in China. Celui-ci, acheté par toutes les hautes fonctionnaires européennes, présente un défaut majeur : éjaculateur précoce. « Un sex toy ne doit pas se satisfaire avant sa propriétaire », se plaignent les clientes. Qui sont prêtes à revenir sur le libre-échange pour protéger les consommatrices européennes de ce produit déficient. Face au risque de conflit diplomatique, Fred Barberousse flaire la piste ouïghoure. Après avoir pris une leçon d’histoire et de géopolitique auprès de l’ambassadeur, il se rabat sur un opposant à l’Europe libérale, chômeur, homophobe, boulangiste... Pendant que la moitié de la forêt européenne part en fumée, emportée par le réchauffement climatique.

« Indigne d’un économiste distingué », ironise l’auteur. Alain Lipietz entame-t-il une nouvelle carrière ?


[1Dominique Voynet, Voix off, Stock, 2003, p. 215.