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Retraites : quelle reforme ?
juin 2003, par
Conseiller expert auprès de la CGT, membre du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), Vlady Ferrier propose ici le schéma d’une autre réforme des retraites. Alors que la mobilisation sociale contre le projet du gouvernement Raffarin ne faiblit pas, c’est bien le pacte de solidarité intra- inter-générationnel qui est en jeu, le renouvellement d’un droit fondamental qui doit aussi s’inscrire dans la lutte contre les inégalités.
Qu’il faille engager une réforme en profondeur de notre système de retraite n’est pratiquement plus contesté par personne aujourd’hui.
Il y a à cela plusieurs raisons.
La première, celle qui est d’ailleurs la plus souvent invoquée, est d’ordre démographique.
La seconde c’est que depuis la mise en place en 1945 de la retraite par répartition pour tous les salariés du secteur privé (ceux du secteur public étant à cette époque déjà couverts par leur statut) la société a évolué, s’est transformée et de ce fait la conception même de la retraite a changé et continuera de changer tout au long des prochaines décennies.
La troisième c’est que malgré les progrès réalisés depuis l’origine afin de généraliser à tous les salariés d’abord, à toute la population active ensuite, la couverture en matière de retraite dont bénéficiaient seuls, à l’époque, les salariés du secteur public, il subsiste aujourd’hui de nombreuses inégalités de traitement entre les différentes catégories de salariés, ceux du public en comparaison de ceux du privé, mais aussi salariés du secteur public entre eux et salariés du secteur privé entre eux, inégalités qui apparaissent de moins en moins supportables et qu’il convient maintenant de corriger sans plus attendre.
Concernant la démographie on sait, de manière absolument certaine, que dans les prochaines années le poids relatif des personnes âgées de 60 ans ou plus, au sein de la population (celle de la France mais aussi de la plupart des pays industrialisés dans le monde) va s’accroître de manière importante. Les causes de cet accroissement sont au nombre de deux. La première est l’allongement continu au fil des années de l’espérance de vie qui, en France, est en moyenne d’un trimestre par an à la naissance et d’un peu plus d’un mois et demi par an à l’âge de 60 ans. Il s’agit là d’un phénomène dont nul ne sait ni s’il a des limites ni quelles sont ces limites.
Les démographes et les gérontologues estiment en tout cas qu’il a toutes chances de se prolonger au même rythme durant au moins les quatre ou cinq prochaines décennies.
Ce phénomène n’est pas nouveau et nullement de nature à remettre en cause aujourd’hui, de quelque manière que ce soit, la solidarité entre les générations. Les générations aujourd’hui à la retraite ont financé, durant leur vie active pour leurs aînés, des retraites de plus en plus longues et elles-mêmes bénéficient aujourd’hui de retraites plus longues que celles qui les ont précédées. Il en ira de même à l’avenir.
Les salariés qui partiront en retraite en 2040 auront ainsi une espérance de vie à la retraite en moyenne supérieure de six années à celle des jeunes retraités d’aujourd’hui.
La deuxième cause de l’accroissement du poids relatif des personnes âgées au sein de la population résulte des évolutions de la natalité depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. A une période de natalité très forte (1945-1975) a succédé une période de natalité sensiblement plus faible. Les générations très nombreuses nées à partir de 1945-1975 partiront en retraite à partir de 2005 ; elles seront remplacées sur le marché du travail par des générations beaucoup moins nombreuses.
Selon les démographes, du fait de ces évolutions, à taux de fécondité constant sur la période (1,9 enfant par femme), à croissance de l’espérance de vie identique (un mois et demi de plus par an) et à flux d’immigration inchangé sur la période (solde migratoire positif de 50 000 personnes par an), la population française devrait s’accroître au total de 5 millions de personnes à l’horizon 2050, mais sa composition devrait se modifier de manière très sensible par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui : 2 millions de jeunes de 0 à 19 ans de moins, 3 millions de personnes âgées de 20 à 59 ans de moins et 10 millions de personnes âgées de 60 ans et plus.
Le poids relatif des personnes âgées de 60 ans et plus au sein de la population totale devrait ainsi passer progressivement de 20% environ aujourd’hui à 35% environ en 2050 et celui des personnes en âge de travailler de 54% environ aujourd’hui à 45% environ en 2050.
De telles évolutions justifieraient à elles seules que l’on se préoccupe dès aujourd’hui de l’avenir des retraites (entre 2005 et 2010, le nombre annuel de départs en retraite va progressivement passer de 500 000 à 800 000), et donc que l’on entreprenne les réformes susceptibles de garantir cet avenir y compris à l’horizon 2040-2050.
Cet horizon peut paraître lointain mais lorsqu’on parle retraites, il reste impératif car à l’échelle d’une vie de travail.
Les jeunes qui entrent dans la vie active aujourd’hui commenceront à partir en retraite à partir des années 2040 : nul n’a le droit d’exiger d’eux le financement des retraites de leurs aînés sans leur garantir qu’à leur tour, parvenus à l’âge où ils cesseront définitivement leur activité, ils bénéficieront des mêmes retraites que celles qu’ils auront financées pour leurs aînés.
Ce pacte implicite, qui scelle la solidarité entre les générations est à la base de notre système de retraite dit "par répartition". Ce système est supérieur à tous les autres, car fondé sur un principe de solidarité généralisée entre les générations, mais aussi entre les professions et, à l’intérieur de chaque génération, entre les individus eux-mêmes.
Aucun système de retraite par capitalisation ne pourra jamais offrir des garanties comparables. Ceci n’est d’ailleurs pratiquement plus contesté par personne aujourd’hui, chacun (gouvernement, partis politiques, patronat) jurant la main sur le cœur qu’en aucun cas on ne saurait envisager de remettre en cause nos régimes de retraite par répartition, toutes les réformes proposées ne visant selon leurs auteurs qu’à "sauver" ceux-ci d’une prétendue "faillite" dont ils seraient menacés par les évolutions démographiques dont nous venons de parler.
Financer à l’avenir pour tous les habitants de notre pays des retraites au même âge et au même niveau qu’aujourd’hui, exigera, certes, un partage de la part des richesses créées chaque année, consacrée aux salaires, aux retraites et à la protection sociale (ce que les économistes appellent "la part des salaires dans la valeur ajoutée") différent de celui d’aujourd’hui entre la population dite "active", c’est-à-dire en âge de travailler donc de produire des richesses, et la population dite "inactive" ayant dépassé cet âge et donc en retraite : il y aura en effet plus de retraités et moins d’actifs, comme on l’a vu, du fait des évolutions démographiques. Mais d’une part, ce partage peut s’effectuer dans le cadre d’une augmentation de la part globale des richesses créées chaque année par le travail et consacrée aux salaires, aux retraites, à la protection sociale sans dommage aucun pour les perspectives de croissance économique et d’emploi, au contraire.
Cette part, en effet, a été réduite de près de dix points en vingt ans et dans le même temps, la croissance économique s’est fortement ralentie, le chômage s’est accru dans des proportions considérables. D’autre part, même si ce partage devait à l’avenir s’effectuer à part des salaires dans la valeur ajoutée inchangée, il ne se traduirait pas par un appauvrissement de la population active, c’est-à-dire de la population des 20 - 59 ans, comme le gouvernement et le patronat le prétendent de manière parfaitement abusive.
Le Conseil d’orientation des retraites (C.O.R), dont tout le monde s’accorde à reconnaître le sérieux des travaux et la pertinence des projections qu’il a effectuées à l’horizon 2040-2050, estime que l’économie française, moyennant, il est vrai, une politique volontariste, est parfaitement capable de résorber en grande partie le chômage actuel d’ici 2010, et d’assurer une croissance moyenne de 1,6% par an durant les cinquante prochaines années (ce qui est un chiffre de croissance relativement modeste).
Dans ce cadre, toujours selon le C.O.R, financer les retraites au même âge et au même niveau qu’aujourd’hui en assurant tout au long de la période la parité de niveau de vie actifs/retraités telle qu’elle existe aujourd’hui (ce qui exige d’indexer les pensions sur les salaires et non sur les prix comme c’est le cas actuellement), exigerait, certes, de faire passer la part des richesses consacrée au financement des retraites de 12,6% (valeur 2000) à 18,6% (valeur 2040) du produit intérieur brut, c’est-à-dire de la totalité des richesses créées chaque année par le travail mais cela n’empêcherait pas une progression de 55% environ du pouvoir d’achat de l’ensemble de la population active et retraitée d’ici 2050, ce produit intérieur brut étant appelé à doubler d’ici là.
Le Conseil d’orientation des retraites signale, par ailleurs, que la part des richesses consacrée au financement des retraites n’a cessé de croître durant les cinquante dernières années, passant de 5,4% en 1959 à 7,3% en 1970 et à 12,6% en 2000.
Il n’y a donc d’impossibilité d’aucune sorte à financer les retraites durant les prochaines décennies du fait des évolutions démographiques. Il s’agit d’un choix concernant à la fois l’utilisation et le partage des richesses créées par le travail à l’avenir ; c’est un véritable choix de société qui concerne l’ensemble de la population.
Aujourd’hui, en effet, et c’est la seconde raison pour laquelle il faut réformer notre système de retraite, la retraite n’est plus considérée comme une période de fin de vie où, faute d’être en capacité d’exercer une activité rémunérée, on percevrait un revenu minimum financé par la solidarité nationale et permettant de subvenir, tant bien que mal, à ses besoins les plus élémentaires, comme c’était le cas pour un très grand nombre de retraités dans les années cinquante.
La retraite est aujourd’hui considérée par l’immense majorité des salariés, jeunes comme déjà âgés, comme le droit après une vie entière passée à s’éduquer, à apprendre un métier, puis à travailler, d’accéder à une autre vie où enfin on peut s’organiser à sa guise, se consacrer aux activités de son choix en toute liberté, la condition pour cela étant de pouvoir partir à la retraite à un âge où cela reste possible, avec un revenu permettant de ne pas subir une baisse trop sensible de son niveau de vie et avec la garantie que ce niveau de vie évoluera tout au long de cette retraite de la même manière que celui de la population active.
La troisième raison enfin est que des inégalités inacceptables existent aujourd’hui entre les salariés eux-mêmes, en matière de droits à la retraite, liées notamment aux conditions de travail, aux cadences de production imposées dans certains métiers, aux horaires décalés (travail de nuit, travail en équipe, etc.), qui conduisent à des écarts d’espérance de vie à 60 ans entre salariés pouvant atteindre sept années. Les femmes sont par ailleurs particulièrement défavorisées en ce qui concerne leurs droits à la retraite du fait de carrières incomplètes liées aux responsabilités qu’elles assument, souvent seules, pour élever leurs enfants et à la difficulté pour elles d’accéder en même temps à un emploi qualifié, à temps complet et à durée indéterminée.
A partir de l’ensemble de ces considérations une réforme des retraites conforme, à la fois aux évolutions en cours et à venir de la société et aux aspirations de l’immense majorité de la population devrait s’assigner pour objectif de renouveler le contrat entre les générations, en garantissant à tous désormais dans le cadre de la répartition et à l’exclusion de tout recours à la capitalisation :
– l’accès, dès l’âge de 60 ans, au droit à une retraite, nette de cotisations sociales représentant au moins 75% du revenu net d’activité, toutes primes comprises et indexée tout au long de la retraite sur l’évolution des salaires nets de cotisations sociales : cela suppose la prise en compte désormais, pour le calcul des droits à retraite dans tous les régimes, en plus des périodes de chômage, de maladie, d’invalidité, de service civil et militaire, de maternité ou de congé parental d’éducation, des périodes de formation (études supérieures, apprentissage, formation en cours de vie active), de recherche d’un premier emploi d’abord, d’un emploi stable ensuite, de temps partiel imposé et cela à partir de l’âge de dix-huit ans (voire de seize ans pour ceux qui quittent le lycée avant dix-huit ans pour apprendre un métier tout en travaillant) ;
– le droit de faire liquider sa retraite dans les mêmes conditions avant l’âge de 60 ans en fonction des spécificités de la carrière (conditions de travail particulièrement pénibles ou astreignantes, durée de carrière exceptionnellement longue).
Cette réforme devrait évidemment garantir de manière pérenne et donc à court, moyen et long terme le financement de ce droit grâce à un ensemble de mesures telles que :
– l’intégration dans l’assiette des cotisations aux régimes de retraite de tous les éléments de rémunération qui n’y sont pas aujourd’hui soumis ;
– l’extension de l’assiette des cotisations patronales pour la retraite à l’ensemble de la valeur ajoutée créée dans les entreprises en modulant le taux de cette cotisation en fonction de la part plus ou moins importante des salaires dans cette valeur ajoutée ;
– la mise à contribution des revenus financiers des entreprises à hauteur de la contribution des salariés au financement des retraites ;
– le recours ensuite à des augmentations de cotisations salariales et patronales pour faire face aux besoins de financement supplémentaires non couverts par les mesures précédentes.
Le lecteur qui souhaiterait obtenir plus de détails sur l’ensemble de ces propositions pourra se reporter à la brochure éditée par le Centre confédéral d’études économiques et sociales de la CGT et intitulée Que faut-il faire pour garantir les retraites ? Propositions de la CGT (prix de vente : 4 euros) ou consulter le site de la CGT.