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Chronique d’un pacifiste Israélien pendant l’"Intifada" (octobre 2000 - septembre 2002)

Uri Avnery, L’Harmattan - Les Cahiers de Confluences, 2002, 305 pages, 25 euros

juin 2003, par Sonia Pignot

Uri Avnery, écrivain et journaliste, "historien de l’instant", écrit depuis plus de dix ans ses chroniques, témoignages édifiants de la situation israélo-palestinienne. Précurseur de la paix, il défend depuis 1948 l’idée de l’instauration d’un Etat palestinien, il fonde en 1976 le "Conseil Israélien pour la Paix Isarélo-Palestine". Ce "patriote israélien", comme il se définit lui-même, s’évertue à construire un "pacifisme politique" ancré dans une pratique politique concrète. "Un nouveau camp de la paix qui soit réel, actuel, efficace et fort, capable d’influencer l’opinion publique israélienne". C’est dans cette perspective qu’il fonde le "Gush Shalom" (Bloc de la Paix) en 1993.

Octobre 2000 : la situation est plus que jamais critique (échec de Camp David, déclenchement de l’Intifada Al-Aqsa, intervention dramatique du Mont du Temple). Le "Camp de la Paix" et l’opinion publique sont terrassés, anesthésiés par une propagande savamment orchestrée. Comment en est-on arrivé là ? "Comment un peuple entier dans une démocratie se conduit-il comme s’il était hypnotisé ? Comment un tel système de lavage de cerveau peut-il fonctionner sans un dictateur cruel, omnipotent ?".
Pour U.Avnery, Ehud Barak ce "criminel de la paix" qui "a fait que les israéliens haïssent la paix., répandant le mensonge selon lequel il avait offert a Arafat tout ce qu’il avait demandé" en est un des principaux responsables. Comment le peuple a t-il pu élire un "dirigeant menteur chronique" ? Pourquoi continue-t-il à croire un gouvernement qui prétexte la "lutte contre le terrorisme" pour justifier les crimes, les humiliations ? Les réponses sont à chercher dans la structure même du système israélien, ses "défauts sont connus de tous : un pouvoir personnel autocratique, une corruption qui touche le gouvernement à tous les niveaux, une absence de Constitution, une absence d’opposition réelle", une "démocratie militaire" où le "commandement militaire à une influence décisive sur la politique nationale", un gouvernement qui compte quatre généraux, une armée qui est une des plus puissante du monde. Israël n’est pas un Etat qui a une armée, mais une armée qui a un Etat et la guerre est son industrie nationale.

U. Avnery n’en reste pas là, il remonte jusqu’aux "racines du mal". Comment comprendre le conflit actuel si on ne comprend pas qu’il prend ses racines dans un mensonge originel, "une terre sans peuple pour un peuple sans terre", qui nie jusqu’à présent l’existence d’un peuple palestinien ? Le sionisme envisageant un Etat national homogène sur le modèle européen de la fin du 19e siècle, sans aucun non-juif où à la rigueur le moins possible, a ignoré la population vivant dans le pays. La Palestine des années 30 était peuplée d’un demi-million d’habitants dont 90 % d’arabes : "évidemment cette population s’est opposée à l’intrusion sur sa terre d’une autre nation". Dès lors, s’élaborent deux versions nationales de l’Histoire qui tendent aujourd’hui encore à s’ignorer, "le désintérêt absolu de chacun des deux peuples envers l’existence nationale de l’autre a inévitablement produit des perceptions fausses ou biaisées qui prennent leurs racines dans l’inconscient collectif de chacun". Les noms donnés à la guerre de 1948 "Guerre d’indépendance" pour les uns, "El Nakba" (le désastre) pour les autres en seront les révélateurs.
Cette guerre de 1948, l’appropriation par l’Etat israélien de 78% de la superficie totale du pays, le déracinement de 750 000 palestiniens, le non respect de la résolution 194 de l’ONU (le droit au retour) deviendront les "abcès" de fixation qui sont aujourd’hui le préalable à toute résolution du conflit. Le droit au retour est depuis toujours pour le gouvernement israélien un épouvantail utile "pas en tant que problème pratique que l’on pourrait traiter de façon rationnelle, mais en tant que monstre à faire dresser les cheveux sur la tête".
Comment ne pas comprendre la colère des palestiniens face à un état israélien qui remet constamment en question les 22% de leur territoire d’origine qui leur reste ? Pourtant le droit au retour est "un droit fondamental qui ne peut être dénié à notre époque". La crainte que le retour des réfugiés puisse changer le caractère national, démographique de l’Etat "est clairement idéologique". Peur primaire de l’Autre, vision binaire du monde qui reste profondément ancrée dans l’inconscient israélien.

Pour Avnery, cette vision monde renvoie étrangement à la vision de monde qu’ont les Etats-Unis, ce qui au-delà de toute logique politique et économique les lient à Israël : "la psyché américaine s’identifie avec Israël (…) En justifiant ce qu’Israël fait actuellement, ils justifient d’une certaine façon les crimes commis par les générations passées d’américains ". Regard neuf sur cette alliance et sur le soutien des fondamentalistes chrétiens d’extrême droite très influents dans l’administration Bush. Qu’importe que cet enseignement soit fondamentalement antisémite s’il permet une convergence d’intérêts. Pourtant les Etats-Unis doivent apprendre à composer avec les pays arabes, et avancer sur le règlement de la question palestinienne s’ils veulent contrôler la "stabilité" de la région. Mais, pour U.Avnery ils ne peuvent être des médiateurs positifs et impartiaux.
C’est à l’Europe de porter, par-delà son engagement contre la guerre en Irak, les principes d’un pacifisme politique, juridique et institutionnel afin d’influencer l’opinion publique internationale.
Si l’on admet que le terrorisme est un instrument politique, "la meilleure façon de le combattre est toujours politique. Résolvez le problème qui engendre le terrorisme et vous vous débarrasserez du terrorisme". Israël légitime ses pires actions au nom de la sécurité nationale afin de "détruire l’infrastructure de la terreur" mais "cette infrastructure de la terreur existe dans l’âme de millions de Palestiniens et de dizaines de millions d’Arabes dont le cœur éclate de rage (…) Quand des tanks écrasent des voitures, détruisent des maisons (…), laissent derrière eux des milliers de gens sans-abris, cela provoque une haine terrible. Un enfant qui voit tout cela de ses propres yeux devient le kamikaze de demain. Ainsi se sont les Sharon et le Mofaz qui créent l’infrastructure du terrorisme".
Si Israël veut la paix, elle devra effectuer un réexamen courageux de sa version de l’Histoire "tendre à unifier les versions historiques des deux peuples en une seule version de l’Histoire acceptable par les deux parties" et promouvoir un plan de paix qui reconnaîtra entre autres principes le concept de "sécurité commune" fondé sur l’idée que la sécurité de l’un ne peut se fonder sur l’insécurité de l’autre.
A l’heure où l’on ne peut encore évaluer les répercussions de la guerre d’Irak sur le Moyen-Orient, lire Avnery est plus que jamais d’actualité. Dans une de ses dernières chroniques datée du 5 avril dernier (non publiée ici) il prophétise "rien ne sortira de tous les discours sur ce document (la feuille de route). L’embryon est mort dans le ventre de sa mère, le Quartette". Les derniers évènements semblent une fois de plus lui donner raison mais comme il nous le rappelle "la nuit est plus sombre juste avant l’arrivée de l’aube. Que ce soit vrai ou non il faut y croire pour rester optimiste".