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Repenser la science - Savoir et société à l’ère de l’incertitude
Helga Nowotny, Peter Scott, Michael Gibbons, Paris, 2003
juin 2003, par
Ce livre offre au grand public une bonne introduction aux analyses récentes d’intellectuels, de sociologues, d’historiens et d’économistes sur les transformations des rapports entre sciences et société au cours des dernières années. De ce livre, ainsi que de deux autres ouvrages importants précédemment commenté dans EcoRev’ (Ulrich Beck, La société du risque, Aubier 2001 ; Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, 2001), se dégagent trois évolutions majeures.
Premièrement, au niveau des rapports entre science, Marché et Etat, on passe du système de recherche des trente glorieuses (où la science est à la fois mobilisée pour la guerre et la compétitivité… et largement autorégulée par la communauté scientifique avec ses critères d’excellence propres) fortement soutenu par un Etat entrepreneur de science, à un pilotage accru de la recherche par le marché (mouvement de marchandisation des connaissances). Depuis 25 ans, la prolifération des start-up adossées sur des laboratoires universitaires, financées (donc évaluées) par le capital-risque et brevetant les savoirs et le vivant, constitue le cœur et l’emblème de ce nouveau système.
Deuxièmement, une nouvelle forme de conflictualité sociale s’affirme, centrée sur les questions de risque (Beck parle du passage de la société industrielle à la ’société du risque’). Cette sensibilité grandissante à ce qui était autrefois vu comme de mineurs ’effets secondaires’ du progrès traduit plus profondément une distanciation de la société par rapport à une idéologie du progrès qui allait largement de soi - et qui était en France un ciment de la République. Le projet moderniste - formulé dès Descartes et Bacon - de maîtrise du monde par la science n’est plus soutenable et l’équation faite par Condorcet et les Lumières entre progrès de la connaissance, progrès matériel et progrès humain et moral est réfutée par la réalité de notre monde. Après l’ère de la maîtrise de la nature, vient donc l’ère de la maîtrise de cette maîtrise.
Troisièmement, on assiste depuis quelques années à une implication accrue de "profanes" (c’est-à-dire d’acteurs qui ne sont pas des scientifiques ou techniciens professionnels) et des forces citoyennes dans la gouvernance de la recherche et l’innovation. Alors que celle-ci était autrefois monopolisée dans le triangle chercheurs - décideurs étatiques - entrepreneurs, elle s’opère de plus en plus dans des "forums hybrides" incluant d’autres types d’acteurs (élus locaux, juges, associations de malades, de consommateurs ou de défense de l’environnement, etc.). Les mobilisations et initiatives citoyennes de ces dernières années sur des enjeux tels que les OGM, les déchets et rejets nucléaires, internet, la trithérapie anti-sida et l’accès aux soins, l’amiante, les pollutions chimiques, etc., témoignent du passage d’un rapport de délégation à une demande de participation et de l’émergence dans la société civile de nouvelles formes d’appropriation et de production des savoirs.
Dans ce nouveau contexte, trois stratégies sont possibles. La première est le retour à la situation des trente glorieuses : volontarisme scientifique et technologique d’un De Gaulle, technocratie paternaliste conduisant la société vers l’avenir glorieux d’un progrès imposé… Les auteurs montrent à quel point ce retour en arrière est impensable tant la société à évolué (société de la connaissance, nouvel esprit du capitalisme, le tout concourrant à des modes de fonctionnement social moins délégatifs, moins hiérarchisés…).
La seconde, celle assumée par les auteurs, est celle d’une alliance d’une gourvernance de la science par le marché et par la "société civile" ("l’agora"). Les auteurs reprennent ici leur credo (cf. Michael Gibbons, Camille Limoges, Helga Nowotny, Simon Schwartzman, Peter Scott, Martin Trow, The New Production of Knowledge. The Dynamics of Science and Research in the Contemporary Societies, Sage, 1994) selon lequel le modèle libéral de pilotage de la science par le marché ("mode 2" valorisé par les auteurs pour son interdisciplinarité, sa flexibilité, son adaptabilité à la demande, etc.) serait le système de recherche sinon le plus efficace, du moins meilleur que le mode Etatico-professionnel antérieur. En France, l’exemple type de cette régulation citoyenno-marchande de la science est l’Association Française des Myopathes, avec son rôle actif des malades (plutôt que la délégation antérieure à la profession médicale), mais aussi avec son médiatique téléthon, son discours du tout génétique et ses logiques industrielles (brevets, …).
Une troisième voie, qui a les faveurs d’EcoRev’ se veut plus profondément démocratique (voir le dossier "Quelles sciences pour quelles société" de notre n°5 ; l’entretien avec Richard Sclove et notre contribution à la création de la Fondation Sciences Citoyennes dans le n°10). Elle allie, afin de faire pièce à la marchandisation (à courte vue, et génératrice d’inégalités accrues) de la connaissance par un capitalisme cognitif, le développement d’un tiers-secteur scientifique (Nowotny et ses collègues parlent d’une "redistribution sociale de l’expertise") et la refondation des politiques scientifiques publiques : invention de nouveaux dispositifs de gouvernance participative de la recherche et l’innovation, accentuation de la mission d’expertise publique et de développement durable des organismes de recherche, promotion de régimes coopératifs et non propriétaires de production des connaissances (type copy-left).