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Patrimoines naturels au Sud : Territoires, identités et stratégies locales
sous la direction de M.-C. Cormier-Salem, Dominique Juhé-Beaulaton, Jean Boutrais et Bernard Roussel
2006, par
IRD Editions, Paris, 2005, 32 euros.
Synthèse d’un séminaire à vocation interdisciplinaire qui s’adresse aux chercheurs, gestionnaires et décideurs, ce recueil de contributions aborde la question de l’environnement par le biais d’un constat : un "véritable engouement pour le patrimoine naturel" (p. 515) gagne les pays du sud.
Or, les problèmes surgissent de façon patente dès l’instant où les politiques élaborées ou soutenues par les grandes institutions internationales, de la Banque Mondiale au WWF, se confrontent sur le terrain à des modalités très diverses d’appréhension de ce qui peut faire patrimoine.
D’où une série de questions qui vont être développées dans des études de cas concrets sur le continent africain. Cette notion de patrimoine fait-elle toujours sens dans des contextes "culturels" différents ? Qu’est-ce qui peut faire patrimoine ? Comment se constitue un patrimoine ? Par qui ? Pour qui ? Et peut-on différencier un patrimoine naturel d’un patrimoine culturel ? Et ne serait-ce pas cette division qui pose problème ?
Plus précisément, les articles nous conduisent vers ce qui constitue un enjeu politique : "la territorialisation des patrimoines naturels sous forme d’aires protégées" à des fins conservatoires, touristiques, ne tend-elle pas à réduire "les droits des populations sur des espaces accaparés par les états" (p.31) ?
Les articles réunis dans ce volume examinent la façon dont diverses sociétés africaines peuvent donner un sens, et lequel, à la notion de patrimoine, et surtout, essayent de cerner la façon dont des éléments naturels sont appropriés, construits socialement, par quels processus et pour qui ils peuvent faire patrimoine. Ces différentes études de terrain interrogent ce que nous appelons de manière simpliste et pleine d’a priori, le rapport société/nature, c’est-à-dire ce qui constitue à chaque fois de manière singulière des formes d’attachement collectives à des éléments "naturels" donnant lieu à des conceptions différentes de ce que nous entendons par "nature". Et elles montrent bien que ces appréhensions divergentes génèrent des conflits politiques sur les questions de gestion des terres, des territoires, des ressources, de la biodiversité, dès lors que sont imposés à ces formes d’attachements des processus de patrimonialisation exogènes fondés sur la rupture société/nature.
Le processus est flagrant avec la construction du concept de "patrimoine commun" sur l’historique duquel revient le 1er article, non seulement parce que "cette notion juridique peut donner lieu à des interprétations et manipulations qui aboutissent à une situation inverse de celle qui était recherchée" (p. 35), mais aussi parce que, comme le montre l’engagement international de la FAO sur les ressources phytogénétiques, leur classement comme "patrimoine commun" a été le moyen de les définir comme étant disponibles, en libre accès, exploitables, et ce principalement pour les intérêts capitalistes qui ont pu s’approprier ainsi les richesses végétales du sud et les transformer en produits de marché.
Cette notion qui alimente toujours une importante rhétorique humaniste a été pour le moins dans les faits un véritable "jeu de dupes" (p. 63). On l’a vu encore récemment avec la question du génome humain proclamé "patrimoine commun", simple déclaration de principe sans aucune portée juridique contraignante, interdisant par exemple la pratique du brevetage abondamment pratiqué par les firmes biotech.
D’ailleurs, dans patrimoine, il y a "propriété", et ce qui transparaît dans les lignes des différents auteurs, c’est qu’une autre conception de l’usage (au sens éthique) du monde insiste sur le fait que ce n’est pas la propriété qui importe, mais la composition de la multiplicité des usages autour d’un objet commun.
Didier Muguet