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Le développement soutenable
Franck-Dominique Vivien
2006, par
La Découverte, coll. Repères, Paris, 2005. 122 pages. 8,5 euros.
Franck-Dominique Vivien est spécialiste d’économie de l’environnement. Il travaille sur la problématique du développement soutenable et sur l’économie de la diversité biologique. Il a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées nationales et internationales sur ces thèmes. Dans cet ouvrage de la collection Repères, F.-D. Vivien propose une réflexion sur les origines économiques du développement soutenable. Pourquoi soutenable ? "Nous retiendrons l’adjectif "soutenable" en arguant, d’une part que le terme durable existe en anglais et que ce n’est pas celui-ci qui a été retenu, et, d’autre part, qu’il existe un vieux terme français que l’on rencontre notamment dans les textes des ordonnances qui régissaient jadis la gestion des forêts (...) où l’on parle de la nécessité de "soustenir" celle-ci en bon état. On peut aussi souligner que le terme "durable" a tendance à renvoyer à la durée du phénomène auquel il s’applique, comme si le problème se résumait à vouloir faire durer le développement. Or la notion de soutenabilité permet de mettre l’accent sur d’autres questions relatives à la répartition des richesses entre les générations et à l’intérieur de chacune des générations. " (p. 4) Cette présentation sémantique n’a donc rien d’une simple coquetterie d’auteur. La lecture du livre permet de saisir toute l’importance de cette perspective offerte par le choix d’un adjectif, résultant d’une construction récente (chapitre 1 : "le développement soutenable : au moins trente ans de débat").
La thèse de l’ouvrage propose une réflexion sur les limites actuelles de l’analyse économique de la soutenabilité : en s’interrogeant sur les origines intellectuelles de l’économie, en suivant l’évolution de ses justifications théoriques, comment les sciences économiques peuvent-elles, aujourd’hui, appréhender la notion de soutenabilité ? Car, comme le souligne l’auteur, il faut s’interroger sur la posture unanimiste des communautés scientifiques et politiques à l’égard de la soutenabilité : tout le monde y est favorable... Etonnante fraternité... Mais s’agit-il du même objectif ? Souhaite-t-on utiliser les mêmes chemins pour y parvenir ? A-t-on bien conscience des implications de nos choix actuels pour bâtir cette soutenabilité ? En cela, loin de constituer une réponse, le développement soutenable est davantage un problème : de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on invoque cette notion ? F.-D. Vivien décrypte ici les silences de l’économie : d’emblée, elle considère le développement soutenable dans une optique normative, mais sans lui conférer de normes effectives ; autrement dit, l’économie s’assigne un objectif de soutenabilité sans se donner en même temps des contraintes propres, ou sans assumer les conséquences d’une telle vision normative.
Comprendre cette inconséquence intellectuelle ne peut se faire sans un rappel des relations historiques entre l’économie et la question "naturelle". F.-D. Vivien montre alors comment les termes du débat entre soutenabilité et développement étaient déjà posés dans la réflexion économique (des classiques aux néo-classiques). Cependant, le livre permet de comprendre que la situation actuelle soulève des questions inédites. La première consiste à s’interroger sur l’idée de la croissance (chapitre 2). Cette notion, qui émerge véritablement sur la scène internationale après la seconde guerre mondiale, contribue à renflouer la légitimité du concept de développement, en renouant avec une vision optimiste de l’activité économique ; le développement soutenable serait alors un prolongement de l’hypothèse volontariste et positive de l’approche classique de l’économie. L’environnement constitue la deuxième question inédite : l’émergence de courants théoriques comme l’économie écologique (chapitre 3) contraint la réflexion économique à tenir compte de la particularité d’un certain nombre de questions. Pour le dire autrement, les questions environnementales imposent l’élaboration d’un cadre de gestion spécifique, entraînant la nécessité de construire un rapport de complémentarité avec la nature (en valorisant un capital naturel) et non plus dans un rapport de substitution. Cela permet d’évoquer le concept de patrimonialisation de la nature. Reste encore à déterminer ce qu’il convient de garder, de sauvegarder et de transmettre aux générations futures... et qui donc sera chargé d’établir une telle liste ?
Enfin, troisième question soulevée par l’auteur, comment redéfinir le développement ? (chapitre 4) Celui-ci doit être reformulé non seulement dans ses modes de construction (en posant par exemple la question d’une redéfinition des modes de redistribution des richesses) mais dans ses finalités (le développement pour qui ?). En ce sens, le développement soutenable pourrait être considéré comme un simple prolongement, un peu plus qualitatif, du développement actuel. On peut aussi considérer cela comme un simple aménagement technique, mais qui ne peut faire face aux enjeux actuels ; l’auteur présente alors les alternatives au développement autour des idées de "décroissance" (p. 97-106). Il nous semble que d’autres questions auraient pu prétendre à constituer d’autres chapitres. Ainsi, la question de l’évolution des techniques mériterait une plus large place. Les innovations technologiques actuelles -notamment dans le domaine des biotechnologies -obligent à une réflexion importante sur notre capacité à construire une soutenabilité de nos choix sociaux. L’optimisme de l’économie classique s’élabore dans un environnement socio-technique maîtrisé ; comment continuer à concilier un tel optimisme avec une incertitude, la plus souvent complète, du devenir des biotechnologies ?
Autre question qui mériterait sans doute des prolongements : comment expliquer cette prééminence de l’économie qui affirme, avec prétention, sa capacité à assurer la soutenabilité de notre futur ? L’auteur présente de nombreux courants animant le champ de l’économie, mais ne nous dit rien des raisons (intellectuelles, institutionnelles, académiques, etc.) qui justifient la domination d’un courant économique légitimant encore les concepts de la croissance et du développement. Si, comme le souligne fort justement l’auteur, le développement soutenable est une "question politique" (p. 107) il convient d’interroger ce mécanisme de légitimation d’une vision de l’économie par rapport à une autre...
Fidèle aux objectifs de la collection, qui consiste à donner des repères sur une question, on pourrait regretter que la présentation élabore une démonstration trop distanciée, compte tenu des enjeux soulevés. Rien n’est moins vrai. Franck-Dominique Vivien possède le rare talent de ne pas laisser les mots engloutir l’idée. L’écriture n’est pas dupe des mécanismes qu’elle démontre : la présentation, souvent académique des auteurs, ne s’enferme pas dans une présentation simplement technique. Au contraire, les nombreux encarts qui illustrent le texte montrent à quel point la réalité vient sans cesse relativiser les constructions scientifiques. Nous invitons le lecteur à traquer la formule qui interroge la démonstration et offre un levier pour déconstruire l’évidence du modèle scientifique.
Bruno Villalba