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PAC : changer de modèle et d’objectifs

samedi 23 mai 2009, par José Bové

La prochaine mandature du Parlement européen va être cruciale pour l’agriculture
européenne et ses paysans. José Bové, ancien syndicaliste paysan (Confédération
paysanne) et porte-parole de Via Campesina, qui s’était présenté aux Présidentielles de
2007, est aujourd’hui candidat et tête de liste (Sud-Ouest) d’Europe Écologie. Le futur
député européen et paysan José Bové rappelle l’importance des prochaines négociations
autour de la PAC d’ici 2013 et livre ses analyses et propositions.

900 millions d’hommes et de femmes
souffrent de la faim de par le monde et,
chaque année, 40 millions en meurent. En
Europe, le nombre de paysans s’effondre,
avec un exode rural qui s’accélère.
L’agriculture industrielle et productiviste
n’est plus en mesure de nourrir correctement
l’ensemble des habitants de la
planète. La libéralisation du commerce
imposée par l’OMC a aggravé la situation.
L’Union européenne, du fait de politiques
commerciales agressives, a été, avec les
États-Unis, la principale responsable de
cette crise. À cet échec alimentaire et
agricole s’ajoute maintenant une crise
environnementale sans précédent à
laquelle les techniques agricoles contribuent
de manière importante.

Les dégâts et les ravages causés par les
exportations européennes de produits
agricoles ont précipité des centaines de
milliers de paysans des régions du Sud
dans la misère. Par exemple, l’industrie
avicole européenne a déversé des
milliers de tonnes d’ailes de poulet
congelées pour se débarrasser d’une
production que les consommateurs
européens refusaient, tout en étant
subventionnée par l’Union européenne.
Au Cameroun, pour dénoncer cela,
l’Association Citoyenne de Défense des
Intérêts Collectifs (ACDIC) a lancé une
vaste campagne pour alerter les consommateurs
des dangers du poulet importé.
Une analyse faite par l’Institut Pasteur a
montré que 80 % du poulet testé était
impropre à la consommation humaine et
dangereux ! De plus, 40 000 emplois
locaux ont été détruits par ces importations
en l’espace de quatre ans. Pour les
jeunes Camerounais, restait alors la route
périlleuse de l’émigration pour tenter de
trouver un emploi hypothétique derrière
les murs de Schengen.

Sous couvert de protéger son agriculture
intensive et ses rapports avec les pays du
Sud, l’Europe mêle un discours caritatif
et paternaliste d’un côté et une pratique
commerciale agressive et cynique de
l’autre. Il est temps de modifier la
politique agricole cynique (PAC) de
l’Union européenne.

Souveraineté alimentaire au Nord et au Sud

La souveraineté alimentaire est un droit
des peuples, au Nord comme au Sud. Il faut commencer par relocaliser la production
agricole, ici et ailleurs. C’est un
impératif écologique, mais aussi une
nécessité sociale pour des dizaines de
millions de paysans qui ne vivent que des
revenus de leurs cultures, menacées par
les grandes compagnies et les mirages
des OGM. L’Union européenne doit
permettre aux pays du Sud et de l’Est de
construire leur développement agricole,
centré autour de productions vivrières.
L’objectif de la souveraineté alimentaire
est aussi un impératif en termes de
respect de l’environnement ; il s’agit de
laisser à des petits producteurs la possibilité
de nourrir les populations locales
avec des produits locaux, adaptés aux
conditions agro-climatiques locales. Cela
passe par le développement d’une
agriculture paysanne familiale, autonome
et hautement créatrice d’emplois,
s’appuyant sur des techniques agraires
renouvelées, mais adaptées aux
contextes locaux. Cette reconstruction de
l’agriculture locale et vivrière doit pouvoir
se faire à l’abri, si nécessaire de barrières
douanières, qui permettraient d’éviter le
dumping de produits massivement
subventionnés par l’Europe.

Sur la planète, 90 % des productions
agricoles sont encore consommées
localement et ne participent pas au
commerce mondial. Les échanges restent
majoritairement nationaux. L’OMC a
imposé des règles internationales au
commerce agricole et a imposé des politiques
agricoles axées sur le
développement des cultures d’exportations.
Cette politique libérale a mis en
concurrence 1,4 milliards de paysans
contre 25 millions d’agri-managers et a
poussé à la spécialisation (monoculture
massive, spécialisation) au détriment de
produits consommables et échangeables.
Pousser les agriculteurs à se lancer
dans l’exploitation d’un seul produit à
seule fin de récupérer des devises pour
pouvoir ensuite payer des importations
de biens industriels ou rembourser des
emprunts est une nouvelle forme de
colonialisme !

Une évolution très rapide a modifié
profondément la réalité agricole, en
quelques décennies. Depuis 2007, la
population mondiale est devenue majoritairement
urbaine. Il y a 50 ans, les
populations rurales européennes étaient
encore largement majoritaires et l’agriculture
de l’après-guerre nécessitait une
relance, comme la CECA pour le charbon
et l’acier dans l’industrie. C’est une des
raisons qui ont fait de la Politique
Agricole Commune la pièce centrale de
cette construction et le principal budget
européen dès les origines (autour de
50% des dépenses). Convaincus de
l’intérêt d’une politique intégrée et de
l’urgence d’une autosuffisance alimentaire,
les États européens ont défini une
politique commune sans interférences
extérieures, comme celles imposées à
l’heure actuelle par l’OMC. Le développement
de l’agriculture européenne,
critiquable à bien des égards, a été
réalisé à l’abri d’un protectionnisme
douanier. Incapable de gérer ses
excédents en interne, elle les a ensuite
exportés – grâce à des subventions
publiques – sur les marchés des pays du
Sud, ruinant au passage les exploitations
traditionnelles et les familles paysannes
les plus pauvres de la planète.

Mais la souveraineté alimentaire et la
remise en question des objectifs de la
PAC ne concernent pas que le rapport aux
pays du Sud. L’Union européenne doit
réformer radicalement sa Politique
Agricole Commune pour rééquilibrer
aussi ses propres productions et
développer rapidement un secteur
agricole vivrier de qualité, dont l’objectif
sera de nourrir correctement les
Européens. Aujourd’hui, nous importons
50 millions de tonnes de protéines
végétales pour alimenter les animaux de
nos élevages. L’Europe a ainsi besoin,
pour ces besoins en aliments animaux,
d’une surface de 25 000 000 ha (l’équivalent
de la surface agricole française)
au-delà de ses frontières ! Nous devons
orienter l’effort vers l’augmentation de
surface dédiée aux protéines végétales, à la place des protéines animales, dont la
production provoque l’émission de gaz à
effet de serre directement ou non (CO2,
méthane). De plus, la surproduction de
produits carnés entraîne une poussée sur
le marché alimentaire et une surconsommation
de viande, qui s’avère de plus en
plus néfaste pour la santé et crée déjà
des problèmes d’obésité et de maladies
cardio-vasculaires en hausse.

2013 : rendez-vous pour une nouvelle PAC

Le prochain grand rendez-vous pour
l’agriculture européenne est fixé en 2013,
puisque l’Union européenne devra
mettre en place une nouvelle Politique
Agricole Commune et opérer des choix
importants à cette occasion. En tant
qu’écologistes, nos efforts au cours de
cette mandature seront tendus vers la
mise en place d’une "Politique
Alimentaire et Agricole Commune" axée
sur le développement de produits alimentaires
de qualité, de l’agriculture
paysanne et familiale, de la mise en place
de la souveraineté alimentaire, de la
préservation des ressources naturelles et
la mise en place d’échanges équilibrés et
équitables avec nos partenaires commerciaux.

En 1957, l’objectif numéro un était
d’accroître la productivité agricole, pour
mettre fin aux années de privation qu’ont
connues les Européens à la suite de la
seconde guerre mondiale. Ce but a été
atteint au-delà des espérances des pères
de l’Europe. Mais finalement, la course
aux gains de productivité est devenue
une fin en soi et produit des effets
pervers, tant que la finalité de l’agriculture
que sur ses moyens.

Les vaches qui produisaient 7 litres de lait
par jour en 1960 en produisent maintenant
35 ; les rendements céréaliers ont
été multipliés par quatre ; les techniques
agressives pour l’être humain et les
animaux ont été développées dans les
laboratoires, dont les impacts négatifs
sont apparus rapidement. La concentration
des élevages hors sols a entraîné
une dégradation des eaux et des sols,
comme en Bretagne, où les algues vertes
pullulent désormais le long des côtes
toute l’année. La monoculture céréalière,
dopée aux engrais chimiques et aux
pesticides, a fragilisé les sols et détruit la
fertilité naturelle des terres. L’irrigation
forcée a entraîné l’assèchement des
rivières et la destruction des nappes
phréatiques. La biodiversité animale et
végétale a été laminée par le productivisme.
Les productions ont été
concentrées dans les zones les plus
favorables pendant que les autres
régions se sont vidées peu à peu de leur
population. Paradoxe absolu, l’agriculture
qui produisait de l’énergie est
aujourd’hui un des secteurs les plus
consommateurs d’énergies fossiles. Le
fonctionnement de l’agriculture productiviste
et industrielle est désormais
dépendant de la pétrochimie et de l’agri-industrie.
Enfin, l’agriculture industrielle
n’est compétitive économiquement que
parce qu’elle est sous perfusion des
subventions publiques et parce qu’elle
ne paie pas les coûts induits de son
développement, sur l’environnement ou
sur la santé.

Il est vital de tourner la page du productivisme
agricole et d’écrire celle de
l’autonomie des paysans. Il faut une
nouvelle PAC, aux objectifs radicalement
modifiés. Cette politique commune doit
renforcer la cohésion européenne, de
solidarité entre les États et entre les
régions de nos pays. L’activité agricole et
paysanne produit une richesse qui va bien
au-delà de l’alimentation ; façonneuse
de paysages, elle offre un cadre de vie
privilégié à un grand nombre d’Européens
et permet le développement du tourisme
rural et de nombreuses activités indispensables
à l’équilibre de nos sociétés. Cet
apport, parfois non marchand, ou non
quantifiable en termes financiers, doit
être reconnu et devrait être valorisé par le
maintien et le développement de subventions
publiques. Mais au lieu d’aider en fonction du volume de production – qui
favorise les plus gros producteurs –, il
faut assurer un revenu décent à tous les
paysans, et rémunérer l’activité sociale
incomparable des paysans.

Cette réorientation devra être menée de
manière graduelle et transparente pour
permettre une adaptation de nos partenaires
commerciaux et éviter des
perturbations sur les marchés mondiaux.

PAC et nouvelle organisation des échanges mondiaux

L’agriculture n’est pas qu’une industrie.
La nourriture n’est pas qu’une marchandise.
L’agriculture a modelé nos
territoires et les paysans ont entretenu
les écosystèmes. L’Union européenne
doit contribuer à une réorganisation des
marchés mondiaux de produits agricoles.
Une renaissance des Organisations
Mondiales de Marché est urgente ;
pour éviter les spéculations et les
positions dominantes de grands groupes,
le marché mondial des produits tropicaux
(café, cacao, sucre, fruits tropicaux) doit
être géré de manière collective entre les
pays exportateurs et les pays importateurs,
comme l’Union européenne. Des
quotas d’importation pourraient être
répartis entre les pays intéressés afin de
répondre à des enjeux planétaires
sociaux, environnementaux et politiques.
Les échanges seraient rendus équitables
 ; c’est-à-dire qu’il y aurait une juste
rémunération des paysans du Sud et une
assurance de paiement à des prix
décents à terme. Aucune production de
rente ne devra se développer aux dépens
des cultures vivrières et de l’alimentation
des populations locales. Elles seront
issues des agricultures paysannes et
familiales.

Il faut en finir avec les fausses aides, qui
sont parfois des prétextes pour écouler la
surproduction européenne. L’Union
européenne devra arrêter de privilégier
systématiquement l’aide alimentaire directe en nature à ces pays, car elle nuit
aux capacités de productions locales
qu’il aurait fallu aider. Elle serait plus
utile en achetant les denrées aux
marchés locaux des zones de production
et en les acheminant vers les poches de
disettes ou de famines. Enfin, cette
Europe doit travailler activement avec les
gouvernements, mais aussi les organisations
paysannes, les associations de
consommateurs pour mettre en place,
sur le terrain et avec les populations
concernées, des systèmes d’alertes et
des banques de céréales.

Une nouvelle agriculture, respectueuse des écosystèmes et des savoirs paysans

Tout comme nous devons étendre le
principe de l’équité à l’ensemble des
échanges commerciaux, nous devons
étendre les principes de l’agriculture
biologique et paysanne à l’ensemble de
la production agricole. L’utilisation de
pesticides et d’engrais chimiques
entraîne des dégâts importants en
termes de santé publique et d’environnement
 ; 40 % de l’énergie utilisée en
agriculture est engloutie dans les pesticides
et dans les engrais, les énergies
fossiles sont surconsommées. Il nous
faut sortir de ce cercle vicieux de production/
pollution qui stérilise les sols.

Un rapport de la FAO de 2007 estimait
que cela était possible pour l’ensemble
de la planète. La conversion de la "ferme
Europe" sera graduelle, car l’objectif est
ambitieux pour les chercheurs et les
scientifiques, mais il ouvre de nouveaux
champs de recherche, au sein desquels
les savoirs des paysans doivent être
valorisés. L’effort portera sur la formation
agro-écologue et les fonds publics ne
seront plus alloués au développement
d’organismes génétiquement modifiés
(dont 80% de nos concitoyens ne veulent
pas). Pour que l’Union européenne
puisse garantir à l’ensemble des consommateurs
une alimentation sans OGM, il
faut commencer par interdire les cultures
OGM en plein champs, ainsi que les
importations de produits issus de l’agriculture
transgénique (aliments pour
bétail, produits transformés, viandes....).
Cette décision est indispensable pour
réorienter notre agriculture vers des
techniques autonomes qui s’appuient sur
des énergies renouvelables, et non plus
sur des ressources fossiles qui disparaissent
à vue d’œil. De même, une réforme
profonde et urgente de la réglementation
sur les semences est nécessaire, de façon
à reconnaître et valoriser les semences
paysannes (sélectionnées par les
paysans et associations), à modifier les
critères de description et d’inscription
variétale (pour intégrer les "populations
végétales" ainsi que les variétés sélectionnées
pour l’agriculture biologique) et
à mettre en œuvre une véritable
recherche participative (basée sur les
besoins et objectifs des paysans et des
consommateurs, et associant réellement
les paysans à l’ensemble de la démarche
de sélection). Le droit imprescriptible des
paysans à ressemer les semences issues
de leurs récoltes doit être reconnu et
garanti.

L’Europe a répondu dans les années 50 à
une situation de pénurie, en développant
un modèle de production intensive
largement subventionnée et orientée vers
la production de masse. Aujourd’hui, elle
doit être capable de changer sa façon de
penser l’agriculture et l’alimentation,
pour répondre aux crises que nous
subissons en réorientant rapidement et
radicalement son modèle agricole. Il en
va de la survie d’une profession, d’une
portion importante des populations
rurales du Nord comme du Sud, mais
aussi de la capacité de la terre elle-même
à continuer de nourrir les hommes qui
l’habitent, à court terme.