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L’Europe, un obstacle ?
Propos recueillis et traduits par Aude Vidal
samedi 23 mai 2009, par
Le groupe Vert au Parlement européen n’est pas aussi unanime que les médias
français le disent. Pendant longtemps, par exemple, les Verts suédois se sont opposés
à l’entrée de leur pays dans l’Union européenne. Ici, Carl Schlyter, député européen
suédois, répond aux questions d’EcoRev’ où il explique sa vision de l’Europe, ce qui le
rapproche et l’éloigne des autres Verts européens.
EcoRev’– On sait les Suédois très critiques
vis-à-vis de la construction de l’Union
européenne mais, en tant que Vert et
même si vous partagez cet euro-scepticisme,
vos idées à ce propos doivent
différer sensiblement de celles de vos
compatriotes. Qu’en est-il exactement ?
Carl Schlyter – La critique suédoise vise
prioritairement le fait que l’Union
européenne fait trop de choses. La plupart
de gens ne comprennent pas en quoi ceci
est une conséquence du marché commun.
Les Suédois veulent bien du marché
commun, mais pas des régulations qui
l’accompagnent. Mais l’on ne peut pas
choisir l’un ou l’autre, car tous deux sont
indissolublement liés.
La France a une tradition différente de la
nôtre : à moins d’être expressément autorisé
par la loi, tout y est interdit, en Suède c’est le
contraire. Or dans le cadre d’un marché
commun, chaque déviance nationale à la
norme continentale peut être considérée
comme une barrière au commerce, sur
laquelle l’Union européenne va agir par des
régulations pointilleuses.
La plupart de la gauche suédoise tient à
réguler le capitalisme mondialisé et les multinationales.
En tant que Vert, je m’inquiète
donc de ce que lorsque l’on centralise la prise
de décision, au niveau continental par
exemple, l’on offre alors un avantage aux
plus gros acteurs économiques, ces multinationales
justement, qui peuvent ainsi
d’autant plus prospérer. Par exemple, aucune
multinationale ne peut implanter ses lobbies
dans chaque municipalité de l’Union
européenne mais peut facilement avoir des
centaines de lobbyistes à Bruxelles. Le
pouvoir du peuple est relativement plus fort
au niveau municipal qu’au niveau national,
au niveau national qu’au niveau européen.
Un pouvoir accru au niveau européen et une
prise de décision centralisée sont donc
utilisés par les acteurs économique
dominants pour ainsi renforcer leur pouvoir
économique. Ce dernier devient alors un pouvoir politique dans la mesure où il influe
directement sur les décisions qui se prennent
à Bruxelles. Ce pouvoir est d’autant plus
renforcé par un manque de transparence –
l’une des grandes valeurs suédoises – qui,
avec une prolifération de lois (il y a à l’heure
actuelle 40 000 lois en vigueur dans l’Union
européenne), rend très difficile la tenue de
débats publics chaque fois que l’on travaille
sur une loi au parlement. Ils ne sont possibles
que sur de rares sujets – et même quasiment
inexistants faute d’espace public où les tenir
– alors que l’on devrait produire moins de lois
et encourager plus fortement la discussion au
niveau local, le plus démocratique.
Les réponses politiques pourraient alors
varier d’un endroit à l’autre car il est difficile
d’imaginer qu’une loi puisse être aussi
efficace et juste à Naples que dans le Nord de
la Suède.
L’Union européenne doit certes être une
instance où l’on discute de nos buts, où l’on
délibère sur la meilleure manière de les
accomplir, mais la décision doit rester à un
niveau moins élevé et encourager le
pouvoir populaire.
En ce moment, par exemple, on discute
dans l’Union européenne de la durée de la
protection des œuvres musicales, qui
devrait être prolongée de 50 ans à 99 ans.
Tous les partis suédois s’y opposent, ainsi
que le gouvernement, le parlement
national, les députés européens suédois.
Mais au niveau européen, ce changement
sera probablement imposé. Une dimension
importante de la démocratie est la responsabilité
des élu-e-s devant leur électorat.
Mais personne en Suède ne pourra
assumer la responsabilité d’une telle loi
puisque tou-te-s les représentant-e-s ont
voté contre ! On est ici devant un déni de
démocratie.
Beaucoup en Europe mettent en avant la
solution fédérale. Mais si des blocs importants
votent dans un système majoritaire, alors la
voix des petits groupes disparaîtra de la même
manière. Voici en quoi l’Union européenne
pose problème sur le plan démocratique.
Vous retournez aux fondamentaux de
l’écologie politique, à savoir l’idée de
"small is beautiful", sur le plan politique
aussi bien qu’économique...
Oui, je pense qu’il est important que
chacun-e se rendre compte de son
influence sur le monde qui l’entoure. Ceci
est rendu possible par un renforcement
démocratique local qui à sont tour renforce
la démocratie au niveau européen. Parce
que les personnes qui se sentent liées à
l’action publique ne se désengagent pas,
ne cessent pas leur participation aux
élections européennes.
Et sur le plan économique, quelles sont les
perspectives qu’ouvre cette relocalisation
de la prise de décision ?
Une décision prise au niveau européen n’a
pas le même impact sur les entreprises en
fonction de leur taille. Les possibilités de
survie des petites entreprises sont
moindres au sein du marché commun alors
même que nous devrions – d’après le
modèle en cours aux États-Unis – accorder
des autonomies régionales sur le plan
économique pour promouvoir le commerce
local et diminuer le transport qui n’est pas
nécessaire. Ainsi pour une grande partie
des États-Unis, suite à un appel d’offre, il
est possible à une administration de choisir
une offre locale de préférence à une offre
venue d’un autre état qui lui est de 5%
inférieure. Et les entreprises locales sont
bien souvent de petites entreprises. Au
contraire, l’Union européenne met en
danger les petites entreprises qui irriguent
le tissu local en les soumettant à la concurrence
venue de toute le continent.
C’est l’un de ces mécanismes qui établissent
un marché de production et de
consommation à échelle continentale...
L’idée principale du marché européen, c’est
de promouvoir une plus forte consommation
pour générer une plus forte production, des
transports plus nombreux dans l’Union
européenne, etc. Depuis que la Suède a
rejoint l’Union il y a quinze ans, le volume des
transports a augmenté, à l’importation
comme à l’exportation, ce qui rend le travail
sur les problèmes environnementaux
d’autant plus difficile à mener. Un marché
commun qui intégrerait notamment les externalités
négatives des transports permettrait à
l’Union européenne d’être une force
d’équilibre entre les différent acteurs
économiques, en permettant à l’activité
économique locale de se redéployer au profit
des acteurs les plus fragiles, et ce de manière
pertinente face aux problèmes environnementaux.
Le slogan du parti vert européen pour ces
élections est au contraire "think big".
N’allez-vous pas à l’encontre de ce
message ?
Ce slogan est d’abord une attaque contre les
partis socialistes et conservateurs qui font
appel aux intérêts particuliers de leurs
électeurs et électrices : "Avec nous, vos
intérêts seront représentés, vous allez gagner
avec notre politique." Nous enjoignons au
contraire les électeurs et électrices Vert-e-s à
voir plus loin. "Pensez en grand", c’est
"pensez au-delà de votre personne". Car au
fond vous aurez une vie meilleure si le monde
va mieux. C’est une façon de penser qui se
refuse à l’égoïsme, mais qui ne fait pas appel
aux grandes solutions.
Il fait aussi allusion à des problèmes
environnementaux qui ont une dimension
globale, et à la nécessité pour nous de les
penser à une même échelle...
Certainement mais qui porte cette voix
dans l’Union européenne ? Notre politique
commerciale est dictée par le European
Services Forum. Y règnent les plus grosses
entreprises qui court-circuitent la prise de
décision démocratique. Nous ne pouvons
pas dans ces conditions être en conflit avec
la libéralisation à l’américaine qui tend à
diviser le monde en grandes régions d’influence.
Nous ne nous opposons pas à cette
politique et nous contentons seulement de
nous partager le monde avec les États-Unis.
Quelles sont les dimensions de l’Union
européenne qui vous semblent intéressantes
pour mener une politique
écologiste ?
Au sein de notre marché commun, promouvoir
des critères écologiques et sociaux est
possible grâce aux législations européennes
qui pallient aux carences législatives
nationales. Nous sommes bien entendu
forcés de prendre de plus en plus de
décision au niveau européen, mais nous
devons surtout réécrire les règles du marché
commun et faire en sorte qu’il ne représente
plus la légitimité dernière, mais une simple
partie des politiques européennes.
La démocratie suédoise s’est exprimée
pour ne pas traiter l’alcool comme
n’importe quelle marchandise et le taxer
sévèrement. L’Union européenne ne devrait
pas pouvoir nous obliger à importer de
l’alcool bon marché en passant outre ce
choix démocratique. De la même manière,
l’Autriche ne veut pas d’OGM : ce ne sont
pas des choix égoïste, ils sont mus par des
raisons idéologiques ou éthiques qui
méritent considération.
Le marché commun pourrait être basé sur la
liberté du commerce comme une règle
générale tout en respectant ce type de choix.
Aujourd’hui ce genre de réserves n’est pas
recevable, il faut prouver qu’il y a danger
pour les populations pour que la cour
respecte ce type de refus. Nous devrions
faire plus confiance aux choix nationaux.
Même si le marché commun n’opère pas
parfaitement il reste une opportunité pour
la démocratie européenne mais s’il devient
hégémonique, le seul moyen de le contrôler
est d’instaurer une gouvernance au niveau
européen, là où les grosses entreprises
dominent. Il s’agit donc de rétablir le
pouvoir politique pour équilibrer celui du
marché qui est actuellement au-delà de la
démocratie.
Mais dans le cadre de la lutte contre le
changement climatique, par exemple, des
pays coalisés n’ont-ils pas une voix plus
forte que la seule Suède au niveau
mondial, c’est à dire là où des mesures
doivent être prises ? L’Union européenne
compte lors des négociations internationales
et peut faire avancer des dossiers
comme celui-là...
Certes, mais l’Union européenne a poussé
dans le sens inverse lors des dernières
négociations, en promettant une réduction
de 20% de ses émissions pour 2020 et en
ne prévoyant qu’une réduction de 7% en
interne, pour mettre 60% de son fardeau
sur le compte de pays pauvres. L’Union
européenne ne met pas en œuvre des politiques
internationales équitables pour les
pays les plus pauvres et n’a pas cette
influence positive qu’on lui prête. Les
citoyen-ne-s européen-ne-s ne veulent pas
de cette situation et souhaitent assumer la
réduction de 20%.
Mais le seul dossier du climat fait des
milliers de pages, il n’y a que des lobbyistes
pour pouvoir vraiment travailler dessus.
Ainsi de nombreux dossiers échappent à la
vigilance démocratique, qui a nettement
moins de ressources. Par ailleurs, le
nombre de dossiers est tel qu’il ne permet
pas le débat public, et leur gestion nous
empêche d’accorder l’attention nécessaire
à un dossier tel que celui du changement
climatique.
Les Verts suédois ont récemment adopté
une résolution selon laquelle ils ne
souhaitent plus désormais le départ de
leur pays de l’Union européenne. S’agit-il
d’un tournant dans la culture écolo
suédoise ?
Il s’agit surtout d’une stratégie pour faire
partie du gouvernement (rire). Et puis
imaginer sortir de l’Union européenne est
de plus en plus difficile. Ainsi, même si
nous restons opposés à cette institution,
après plus de quinze ans de lutte maintenant,
nous nous mettons à faire avec ce qui
nous est imposé : c’est une histoire de
résignation.