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La Montée des eaux
jeudi 23 avril 2009, par
La Montée des eaux, Charles C. Mann, Allia, 2009, 61 p., 3 euros.
L’ouvrage paraît dans une collection de littérature, et
il faudra toute l’aide de nos libraires - certain-e-s l’ont
déjà disposé dans leur rayon écologie, grâces leur
soient rendues - pour que son propos politique soit
bien compris. D’autant que le titre n’aide pas,
traduction plus poétique que précise de The Rise of Big
Water, soit le succès montant de l’oligopole mondial
de la gestion des eaux. Big Water, c’est la fierté de
l’Union européenne, trois compagnies leader sur leur
marché, loin devant leurs concurrentes américaines :
Véolia dont il sera beaucoup question, mais aussi
Suez, autre française, et Thames Waters, dont on finit
par oublier la nationalité. Trois entreprises parmi les
plus haïes de la planète et de ses habitant-e-s ingrate-
s qui n’ont pas encore compris l’utilité de leur travail.
"L’eau est un don de Dieu, mais il a oublié de poser les
tuyaux", dit aimablement un de ses dirigeants. D’où
l’incompréhension populaire, qui ne peut s’empêcher
de considérer l’eau du robinet comme un bien
commun, sans prendre en compte le travail d’ingénierie
(et de commercialisation, et de corruption) de Big
Water.
Comment est-ce que 10% de la population terrestre a
pu être connectée aux réseaux d’eau de Big Water ? Par
les vertus d’un "cours d’économie de première année"
selon lequel "la meilleure façon de distribuer de l’eau à
la population (...) est d’en confier la responsabilité au
secteur privé. Si l’eau se fait rare, augmentez-en le
prix - laissez faire la loi de l’offre et de la demande. Si les
gens veulent que leur eau soit non seulement
abondante, mais également propre, augmentez-la
encore". Et par celle, au Sud, de l’incurie de pouvoirs
publics peu volontaristes, qui ont laissé se dégrader
leurs systèmes de distribution et de traitement des
eaux, ont été incapables de contrôler l’exode rural et
l’urbanisation des mégalopoles. Et qui ne peuvent plus
demander à la Banque mondiale ou au FMI de prêts
pour mettre en œuvre ces aménagements. Une seule
réponse désormais à ce genre de demande : faites
appel à Big Water, nous avons à votre disposition la
mémoire de quelques échecs pour vous rappeler votre
incapacité. Au Nord, il s’agit moins de captivité que de
cultures nationales. Parfois étonnantes, car aux USA on
vivrait comme un retour en arrière la privatisation de
la distribution d’eau, alors qu’en France c’est une
tradition bien ancrée et qui n’a jamais été trahie, de
Napoléon III à Jean-Marie Messier.
Quelles sont les vertus écologiques de ce type de
structure ? On a bien compris que faire payer chaque
mois aux plus pauvres un quart de leur revenu pour
leur consommation d’eau les rendrait très vertueux.
Quoique, la densité de population et la promiscuité
dans les quartiers pauvres ne permettent jamais aux
compteurs d’être individuels (et partant "responsabilisants").
Mais, si la consommation semble maîtrisée
par le marché, qu’en est-il de la préservation des
ressources en eau ?
Une industrialisation chaotique et mal réglementée,
dont l’auteur va chercher l’exemple en Chine - lieu de
la fabrication centralisée et en masse de tous les biens
de consommation qui inondent le monde -, est la
première source de pollutions. L’auteur fait état de
récriminations contre une eau "noire comme de la
sauce soja" à la sortie d’une usine papetière dont les
conduits se jettent dans la rivière Liu. Les autorités sont
incapables de faire un arbitrage entre croissance économique
et préservation de l’environnement, et préfèrent
se tourner vers une hypothétique "troisième voie",
même si son promoteur n’agira pas en amont des
problèmes d’accès à une eau propre. Fait rare là-bas,
le sauveur est étranger, mais Véolia n’y trouve pas
autant de complaisance que dans des pays autrement
plus pauvres, et le contrat qu’elle signe avec Pékin,
pour secret qu’il soit, passe pour très exigeant. Pas
question de dégager des profits aussi énormes qu’à
son habitude, le gouvernement chinois n’ayant pas
envie de voir se répéter les émeutes de l’eau de
Cochabamba, en Bolivie.
Autre source de pollution, le défaut de traitement des
eaux usées et le rejet dans la nature des excréments
et ordures diverses dans les quartiers périphériques
mal raccordés. Mais comment raccorder ces populations,
qui s’avèrent non-solvables ? Avec des budgets
publics, complément indispensable pour bien assurer
les profits privés ? Si tant est que Big Water tienne ses
promesses, une réponse néo-libérale et technicienne à
ce problème précis d’environnement semble à tous
points de vue inadaptée...
Charles C. Mann nous emmène d’une Chine en pleine
industrialisation jusqu’aux locaux classieux de la
néanmoins discrète Veolia, dans une enquête parue en 2004 dans Vanity Fair. Belle forme journalistique qui,
entre les cinq pages de (grand ?) reportage dans un
hebdo et l’épais bouquin en librairie, nous apporte ici
dans le même temps une présentation susceptible de
toucher un large public et une enquête sérieuse et
fouillée. Tradition ancienne, qui perdure dans la presse
américaine mais à qui nous ne savons plus en France
offrir que le livre (voir par exemple Le Stade Dubaï du
capitalisme, de Mike Davis, New Left Review et Les
Prairies ordinaires).
Même si l’allusion à un changement climatique dont on
ne verra pas les effets avant "plusieurs décennies" est
particulièrement mal venue (d’où viennent donc ces
défauts de précipitations, entraînant des pénuries
nouvelles et que l’auteur a pris soin de noter, en
Californie comme dans le Bassin méditerranéen ?), on
apprécie la largeur de vue du propos et la mise à la
disposition du public francophone d’un outil de
réflexion aussi accessible. L’écriture est agréable, le prix
à la portée de tou-te-s, la couverture élégante et le
papier délicat. Un bel objet, dont le succès ne serait pas
pour nous déplaire...