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Editorial

mardi 23 mars 2010, par EcoRev’

Crise climatique, crise énergétique, crise alimentaire, crise économique, crise de sens, crise de civilisation...
La crise écologique, d’ampleur mondiale et aux conséquences "glocales" et
transgénérationnelles, n’est plus une menace. C’est une réalité, une urgence. Face à cet impératif écologique,
André Gorz nous mettait en garde contre la tentation du "fascisme vert" où "la production
programmée d’un milieu de vie optimal sera confiée à des institutions centralisées et à des techniques
lourdes" (Écologie et liberté) et où il expliquait que "la sortie du capitalisme aurait lieu d’une façon
ou d’une autre, civilisée ou barbare" (ÉcoRev’ 28). Parce que nous croyons que l’écologie politique
peut apporter une réponse civilisée à l’urgence écologique, il est indispensable de se pencher sur la
théorie et la praxis démocratiques qui peuvent accompagner cette sortie du productivisme et la mise
en place d’une gestion soutenable, respectant libertés individuelles et intérêt général aujourd’hui et
demain, au Nord et au Sud.

De son côté, Cornelius Castoriadis, qui est ici notre classique, rappelait de même qu’il n’était pas
impossible que, face à une catastrophe écologique mondiale, des régimes autoritaires imposent des
restrictions draconiennes à une population affolée et apathique. Ce pour quoi il prônait une indispensable
"insertion de la composante écologique dans un projet politique démocratique radical" et,
comme l’expliquent Antoine Chollet et Romain Felli – qui nous proposent une vision condensée de
la pensée du philosophe de Socialisme ou barbarie – un nécessaire passage de l’autonomie à l’écologie
et d’une l’émancipation vis-à-vis du système technico-productif.

Pour réaliser cette émancipation Bruno Latour réfléchit, dans un entretien réalisée par Isabelle
Lamaud, à la place, et à la signification, de la nature et des non-humains en politique et à la redéfinition
de fond en comble de "la fonction politique, du rôle même des parlements, de la notion de
porte-parole pour retrouver des règles d’autorité, de procédure, de débats" pour décider de notre futur.
Bruno Villalba et Luc Semal nous incitent à intégrer le plus tôt possible dans nos sociétés démocratiques
les contraintes temporelles, exogènes, égalitaires et sociales de la crise écologique, "c’est-à-dire
la prise en compte d’un compte à rebours (…) et l’acceptation d’une courte période pendant laquelle
nous serons contraints à effectuer les choix salutaires."

Nous nous demanderons ensuite avec Hervé Kempf si la démocratie peut être la voie de sortie face
au capitalisme, à une élite et une oligarchie prédatrices. De leur côté, et c’est l’objet de l’article de
Myriam Cau, nos représentants ont-ils conscience de l’impératif écologique et le prennent-ils en compte
dans leurs décisions et pratiques courantes ? La représentation est-elle pour autant morte ? Avec Aude
Vidal, nous nous pencherons sur les propositions d’une "démocratie écologique" de Dominique Bourg
et Kerry Whiteside, qui souhaitent s’appuyer d’une part sur la légitimité politique des ONG écologistes
et d’autre part sur la mise en place d’une "chambre haute" du long terme.

Au-delà de grandes réformes structurelles et au travers d’un regard critique sur les potentialités et
faiblesses des mécanismes participatifs existants, Florent Marcellesi et Hans Harms nous indiquent
qu’il est d’ores et déjà possible, et ceci "sans attendre aucune nouvelle société, ni nouvelle morale,
ni un engagement pour toute la vie" de repenser la démocratie de façon concrète. C’est d’ailleurs une
de ces pistes, le "jury citoyen", qu’Antoine Vergne étudie en se demandant quelles sont les conditions
de réalisation du potentiel de la démocratie participative et délibérative face à l’urgence
écologique. De même, en suivant ce besoin de concrétion, ce numéro d’ÉcoRev’ interroge la façon
dont il est possible d’envisager une relocalisation démocratique de l’économie, à l’aide par exemple
de monnaies locales (Patrick Viveret), une démocratisation de l’espace éducatif grâce à une "universitaire
coopérative" (Mikaël Chambru et Davy Cottet) ou une réappropriation démocratique et
écologique des processus productifs dans le monde rural, comme le propose le Mouvement des sans terre
au Brésil (Tiago Bueno Flores et Luiz Henrique Gomes de Moura).

Au cœur de cette révolution lente de nos systèmes démocratiques, quelle place reste-t-il alors aux
partis politiques ? Pour apporter quelques éléments de réponse, nous avons demandé à André
Gattolin de nous donner son point de vue sur la mise en œuvre de la démocratie au sein de la
nébuleuse Europe Écologie. Sa réflexion est suivie d’une défense optimiste et engagée des apports
du numérique par Anita Rozenholc et Emmanuel Dessendier, alors que balbutie la société de l’intelligence
telle que l’imaginait André Gorz.

Nous finirons ce parcours en faisant nôtre la maxime "penser global, agir global". D’un côté, alors
que le besoin d’Europe se fait de plus en plus sentir pour mettre en place une meilleure "gouvernance"
supranationale répondant aux défis écologiques transnationaux, Gérard Onesta tente de
concevoir une "démocratie" à l’échelle mondiale. De son côté, au vu de l’échec des négociations sur
le climat à Copenhague, Jérôme Gleizes réfléchit aux conditions d’un cycle post-Seattle.

Il s’agit d’être d’une extrême vigilance dans une période où pointent les risques totalitaires induits
par une gestion capitaliste du monde dénuée de toute prise en compte de l’écosystème. La
construction d’une société écologiste ne pourra advenir sans affirmer le besoin fondamental d’une
réelle démocratie.