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La gauche radicale est-elle devenue germanophobe ?

dimanche 21 juin 2015, par Arno Münster

Dans cette tribune publiée sur Lemonde.fr, le 1er juin, Arno Münster, membre de notre comité de rédaction, interroge la posture prise par Jean-Luc Mélenchon dans son dernier livre.

Quelle mouche a piqué Jean-Luc Mélenchon, auteur du livre Le Hareng de Bismarck, le poison allemand (Plon, 150 pages, 10 euros) ? Traversé par une crise intérieure provoquée par les divisions internes et affaibli par les mauvais résultats électoraux obtenus aux derniers scrutins, le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon est-il menacé par une crise d’orientation idéologique ? A-t-il éventuellement choisi de se lancer dans une fuite en avant, en ciblant tout à coup, encouragé par la victoire de Syriza en Grèce, les socialistes et la politique d’austérité qui leur est reprochée ?

Et-ce peut-être la raison pour laquelle le co-président du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon a décidé de publier maintenant ce pamphlet violent contre l’Allemagne ? Mais n’a-t-il pas, comme le souligne Henri Weber, avec son « délire complotiste », avec ses sorties sur Chavez, puis Maduro, avec sa complaisance envers Vladimir Poutine et sa germanophobie « aux accents déroulédiens », « fini par avoir raison des Verts et des communistes les mieux disposés ? » N’est-il pas allé beaucoup trop loin ? N’a-t-il pas choisi non pas la voie raisonnable de la construction mais plutôt celle de la destruction et celle d’un nationalisme de gauche ?

Certes, ce n’est pas pour la première fois que l’Allemagne dont la puissance et la stabilité économique sont assez souvent perçues comme une concurrence « dangereuse » par ses voisins, est critiquée sinon diabolisée en France. On se rappelle la campagne contre « L’Europe allemande » des chévénementistes et du PCF (sous Georges Marchais), déjà à la fin des années 1970. Mais les critiques qu’exprime M. Mélenchon et le ton avec lequel il aborde l’Allemagne sont si excessives et passionnées qu’on peut se poser la question de savoir si ici la ligne jaune n’a pas été délibérément dépassée.

Certes, M. Mélenchon n’a pas tout à fait tort en citant, statistiques à la main, des chiffres prouvant que le « secret » de la réussite économique allemande résiderait aussi dans le fait que le travail y est beaucoup moins rémunéré qu’en France. Par ailleurs, il n’y a pas dans ce pays, du moins jusqu’au 1er janvier 2015, de salaire minimum garanti, et dans le classement de Shanghai, l’université allemande n’arrive que 49e, tandis que la première université française est à la 35e place. Mais ne frôle-t-il pas l’absurdité lorsqu’il affirme que « L’Europe parle allemand » et que l’Allemagne aurait « confisqué l’Union européenne », alors que dans la Commission européenne les Allemands ne comptent que 9 chefs et chefs adjoints de cabinet sur 28 ? Son président est Jean-Claude Juncker, un Luxembourgeois ! Et le Parlement européen est-il vraiment devenu, comme le prétend Jean-Luc Mélenchon, «  la troisème chambre du Parlement allemand », seulement parce que son président actuel est le socialiste allemand Martin Schulz ?

Il est, certes, tout à fait légitime de critiquer l’attitude extrêmement dure de l’actuel ministre des finances allemand et chrétien-démocrate Wolfgang Schäuble (CDU) à l’égard de la Grèce. Mais quand Jean- Luc Mélenchon affirme que « l’impérialisme allemand est de retour », que « la dictamolle européenne est son nouvel uniforme », que « l’ordolibéralisme son credo » fait oublier par une stigmatisation extrême de l’Allemagne, que cette dernière n’est pas le seul pays-créancier de la Grèce et que le principal responsable de la situation dramatique de la Grèce est la globalisation néo-libérale et la dictature financière mondiale, rappelons-lui que le FMI est dirigé par une Française (Madame Lagarde), la Banque Mondiale par un Américain et la Banque centrale européenne par un Italien (Mario Draghi) ! Et quand on met, pendant les manifestations d’Athènes, Madame Merkel en uniforme nazie, pour la brûler en effigie, on oublie trop facilement que la même chancelière avait, dans un discours très applaudi par les membres de la Knesset, à Jérusalem, sincèrement demandé pardon, au nom du peuple allemand, pour les crimes contre l’humanité et l’Holocauste commis par le régime nazi.

Finalement, lorsque M. Mélenchon évoque constamment « l’annexion » de l’ex-RDA par la République Fédérale, ou bien « l’annexion (économique) des pays ex-soviétiques de l’Europe de l’Est par l’Allemagne », il évoque un fantasme ! La réunification de l’Allemagne en 1990 s’était produite à la demande d’adhésion légitime des nouveaux länder de l’Allemagne de l’Est à la République Fédérale. Elle a certes eu des aspects négatifs mais ce n’était pas une « annexion ». Et les pays baltes et les autres Etats de l’Est qui se sont émancipées de la domination russe-soviétique après 1991 n’ont pas du tout été annexés par l’Allemagne. Dans cette région et ces derniers temps, il n’y a eu qu’une seule annexion incompatible avec le droit international : celle de la Crimée par la Russie de M. Poutine. Mais cela, M. Mélenchon n’en dit point mot dans son livre !

Tribune publiée sur Lemonde.fr le 1er juin, version intégrale en ligne : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/06/01/la-gauche-radicale-est-elle-devenue-germanophobe_4644742_3232.html